Littérature

 Contes des mille et un matins - Bouscot

Contes des mille et un matins

Bouscot

Le Matin — 14 mai 1909

Voilà bien dix qu'on me répète : « Vous qui avez connu Bouscot, contez-nous donc sa vie. »

Conter la vie de Bouscot ? Quelle entreprise ! Et puis, contant sa vie, il faudra, au bout de l'histoire, en arriver à sa mort qui fut une bouffonne et pitoyable mort. Ce serait trop triste.

D'ailleurs, pour raconter une telle existence, il faudrait trouver des images, forger des phrases neuves et il y a si longtemps qu'on trouve des images et qu'on forge des phrases que la provision doit être épuisée. Enfin, fixer l'histoire de ce petit Bouscot qui fut la plus folle, la plus misérable, la plus irréelle, la plus belle histoire qu'il ait, lui-même, jamais écrite, le suivre dans ses grandes envolées, dans ses chutes et dans ses retraites où il disparaissait jusqu'au prochain coup d'ailes qui l'emportait au-dessus des cimes, dans les nuages, hors de notre vue… non, non !

Il avait quitté le village comme tant de petits frères, pour venir faire éclore à Paris les idées qui bourgeonnaient dans sa tête, et il avait débarqué sans autre bagage, les mains dans les poches, le nez au vent, et, dans le gousset, quelques pièces et un sou percé pour regarder la Lune travers.

Nous l'invitions à dîner de temps autre. Il nous apportait sa jeunesse, son soleil et le parfum de ses Landes. Quel être charmant et qu'il nous disait donc de jolis vers !

De quoi vivait-il ? Nul de nous n'aurait su le dire. Son équipage n'était pas brillant : le même veston, les mêmes chaussures, le même chapeau, tout cela râpé mais strictement propre. Nous ignorions même où il perchait sa misère insouciante.

Certains soirs, il nous arrivait avec de grandes balafres aux joues.

— Ah ça ! Bouscot ! faisait-on. Ta main tremble quand tu te rases ?

Il répondait « Oui ! » drôlement et semblait avoir hâte de changer de sujet.

D'autres fois, il apparaissait avec des cheveux noir de jais, rouge queue de vache ou jaunes comme un soleil, la raie de côté, la raie au milieu, coiffés en brosse ou taillés aux enfants d'Edouard, mais toujours avec des coups de ciseaux malheureux qui formaient des escaliers. Nous feignions de n'y pas faire attention — et lui de même ses cheveux, bast ! ils étaient si au-dessus de son front qu'il ne s'en occupait point. Mais il arriva, un jour, la figure comme rongée par un acide.

— Ne m'en parlez pas, nous dit-il, ça m'assommait de me raser. J'ai voulu en finir avec ma barbe, j'ai essayé d'une pâte épilatoire, et, ma foi, j'ai mis la dose un peu trop forte.

La barbe de Bouscot repoussa pourtant et nous revîmes de nouvelles balafres. Avec ses joues tailladées, il finissait par ressembler à un étudiant allemand.

Un beau soir, il entra tout fringant, vêtu de neuf, fumant un gros cigare bagué, et tenant à la main un jonc de cinq ou six louis.

— Un héritage, Bouscot ?

II avait sa face de Chinois qui s'amuse en silence.

Cependant, à la fin du dîner, nous nous aperçûmes qu'il devenait blême, et, soudain, dans une brusque détente, lâchant son sourire et crispant les mains sur son estomac, il se rejeta en arrière, tomba sur le parquet et se mit à se tordre sans un mot.

Nous le crûmes empoisonné. Le médecin qui accourut tenta de le questionner, mais le petit Bouscot avait les dents serrées et faisait : « Non, non, non… » de la tête. Mais quand il comprit qu'on voulait le conduire à l'hôpital, il s'agrippa aux meubles et pria, entre deux hoquets, qu'on le transportât chez lui.

C'est ainsi que nous connûmes son adresse.

Il habitait tout là-bas, aux Gobelins, dans un pâté de bicoques en carton que bousculent des rues à noms magnifiques rue des Cinq-Diamants, rue de l'Espérance, rue de la Butte-aux-Cailles…

C'était un grenier propre et clair qui lui ressemblait mais bien sûr qu'il y a des maisons qui ressemblent à des gens !

Dans un coin, un petit lit de fer rafistolé de cordes, un escabeau, et, cloués au mur, un béret de la Lande et une branche de pin avec ses fruits durs — le pays C'est là que Bouscot berçait ses rêves de poète. Pas de table, pas d'encrier, pas une feuille de papier, rien pour immobiliser sa pensée vagabonde.

On l'étendit sur son lit, des voisins arrivèrent et quand il fut plus calme, un de nous s'offrit passer la nuit.

— Comme pour une femme en couches fit tristement Bouscot.

Non point ! Il ne voulait personne. Il nous serra les mains et nous congédia gentiment.

Le lendemain matin, lorsque je revins aux nouvelles, sans le rassemblement qu'il y avait devant une porte, je n'aurais pas reconnu la maison.

Eh bien ! le petit Bouscot venait de mourir ! Était-ce possible ?

— Je l'ai entendu frapper à la cloison, faisait une grosse femme qui me suivait dans l'escalier. Je débarbouillais mes drôles ; je suis entrée chez lui. Il avait le cou tendu, les bras raides et il respirait, respirait. Ah mon Dieu ! J'ai couru chercher son ami le coiffeur. C'est lui qui a reçu son dernier soupir.

— Oui, monsieur, c'est moi qui ai reçu son dernier soupir ! reprit un grand bonhomme barbu qui se tenait fièrement à la tête du lit de Bouscot. Et on peut le dire, parfaitement ! J'étais son ami… et son bienfaiteur, monsieur ! Je lui fournissais la nourriture, les vêtements et je payais son loyer.

Mais, tout à coup, montrant le poing, il éclata :

— C'est ce cochon de pharmacien qui qui me l'a empoisonné avec ses sales inventions ! Moi, n'est-ce pas, j'étais bon pour M. Bouscot, alors M. Bouscot me rendait de petits services il m'aidait à dresser des garçons. Nous avions fait un arrangement. Comme sa barbe poussait vite, mes apprentis le rasaient le matin et le soir. Nous avions aussi une convention pour les cheveux : taille, teinture et coups de fer. Que voulez-vous, pour apprendre le métier à ceux qui veulent y goûter, on ne peut tout de même pas les faire opérer sur des mannequins !... Et maintenant, à cause de ce cochon de pharmacien, tout est fichu Cette canaille-là avait éventé mon truc et il avait traité avec M. Bouscot pour ses sales drogues, à faire engraisser ou à faire maigrir. M Bouscot les essayait et lui faisait de rapports où il constatait qu'il avait souffert de l'estomac ou bien qu'il n'avait pas souffert. Tout ça pour dix francs par mois, deux habits neufs par an et une canne dont il avait eu envie ! Si c'est pas malheureux ! Justement, hier, M. Bouscot m'avait dit « Firmin, je prends ce soir une drogue pour faire venir la poitrine c'est rigolo, hein ? Oui, oui ! C'est rigolo ! Et pour moi, donc ? C'est rigolo, peut-être ?

Il se croisa les bras et nous restâmes tous les deux silencieux devant ce cadavre.

— C'est pas tout ça, recommença le coiffeur, il va falloir s'occuper de la toilette D'abord, on va lui laisser sa canne. Depuis deux jours qu'il l'avait, il ne la quittait plus.

Mais s'étant approché de la figure de Bouscot, il se releva vite en s'écriant :

Elle a repoussé ! Ah nom d'un chien ! Elle a repoussé !

Et, plein d'entrain, il courut à la fenêtre, appela un gamin dans la rue et lui commanda de courir à sa boutique : « Tu ramèneras Emile ! Tu lui diras d'apporter son rasoir, le blaireau et la poudre de savon. Dépêche-toi !... Émile ! Tu entends ? Émile, le nouvel apprenti qui est entré hier ! »

— Ça lui fera la main, à ce gosse, fit-il en se retournant.

Gaston Chérau.

Le 13e en littérature

La Butte-aux-Cailles

Coeur d'enfant

par
Charles de Vitis

— Voyons d’abord du côté de la Butte-aux-Cailles, pour tâcher de trouver un logement.
Jacques connaissait l’endroit pour y être venu avec Fifine, une fois ou deux, du temps qu’il vivait chez ses parents.
C’était un quartier misérable situé à proximité de la place et du boulevard d’Italie ; on y arrivait par la rue du Moulin-des-Prés.

(1899)

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La cité Doré

Coeur d'enfant

par
Charles de Vitis

À la hauteur de la place Pinel et de l’abattoir, entre le boulevard de la Gare et le boulevard de l’Hôpital, s'étend un vaste terrain qui est loué par bail à divers locataires. Le type même de la saleté et de la misère imprévoyante se trouve dans le rassemblement de masures, coupé de ruelles en zigzag et qu’un hasard ironique fait appeler cité Doré. Les cours des miracles devaient être ainsi.

(1899)

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Rue du Banquier

Madame Gil-Blas

par
Paul Féval

Le fiacre tournait court l'angle de la rue du Banquier.
Cela s'appelle une rue, mais c'est en réalité une manière de chemin pratiqué entre des murs de jardins. Il n'y a pas une âme en plein jour.

(1856)

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Barrière des Deux-Moulins

Les Chifffonniers de Paris

par
Turpin de Sansay

En suivant les rues Saint-Victor, du Marché-aux-Chevaux et de Campo-Formio, on arrivait à la barrière des Deux-Moulins, située de l'autre côté du boulevard extérieur.

(1861)

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Barrière des Deux-Moulins

Causerie d'un camarade

par
Jean Loyseau

Allez un dimanche, ou , même , un lundi soir , du côté de l'ancienne barrière des Deux-Moulins : regardez, respirez et écoutez, si vous en êtes capables , tout ce qui frappe à la porte de vos cinq sens : votre odorat percevra je ne sais quelle odeur nauséabonde et méphitique, dans laquelle se mêlent indistinctement la fumée de tabac ; les exhalaisons du cabaret, qui forment , à elles seules, tout un arsenal d'infection...

(1862)

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La Butte aux-Cailles

Les Loups de Paris

par
Jules Lermina

Il est sur la rive gauche de la Seine, au-delà de la rue Mouffetard et de la Montagne-Sainte-Geneviève, un lieu étrange, sauvage...

(1877)

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En remontant le boulevard de l'Hôpital

La petite Miette

par
Eugène Bonhoure

Ce jour-là, 3 octobre 1886, le train express de Bordeaux — deuxièmes et troisièmes classes — avait eu plus d'une heure de retard et le service de l'arrivée s'en ressentait...

(1889)

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Saviez-vous que... ?

Le 19 juillet 1927, le nom de rue de Gentilly fut donné à la rue du Gaz. Le nom de rue de Gentilly avait été, jusqu'en 1899, celui de la rue Abel-Hovelacque d'aujourd'hui. Cette nouvelle rue de Gentilly perdit ensuite son nom au profit de Charles Moureu et d'Albert Bayet.

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La quartier de la Maison Blanche a été tout entier détaché de la commune de Gentilly. On l'appelait le petit Gentilly. La rue Abel Hovelaque portait le nom de rue du petit Gentilly.

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La rue du Petit Banquier que Balzac et Victor Hugo rendirent célèbre, l'un dans le colonel Chabert, l'autre dans les Misérables, perdit son nom au profit du peintre Watteau par décret impérial du 27 février 1867.

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En 1880, on décida de l'installation de postes-vigies dits postes-avertisseurs fonctionnant au moyen d'un télégraphe à cadran permettant de rentrer en communication avec la plus proche caserne de pompiers où un soldat du feu était toujours présent afin de recevoir la déclaration de personnes venant faire connaître un incendie. L'un des ces postes fut installé au 26 de la rue des Cinq-diamants.

L'image du jour

rue Nationale - Quartier de la Gare (image colorisée)

La rue Nationale était l'axe majeur du quartier de la Gare. La rue Jeanne d'Arc n'était pas encore transversante et était dédiée à l'industrie. La rue Nationale rassemblait commerces et services. Elle était le centre de l'animation d'une vraie vie de quartier populaire qui fut voué à la destruction par son classement en « ilôt insalubre ».  ♦