Un drame entre chiffonniers
Le Journal — 2 janvier 1914
Boulevard Masséna, Louis Brunot frappe mortellement son cousin
Parmi les chiffonniers qui forment, aux environs de la porte d'lvry, une remuante agglomération connue sous le nom de « village nègre », s’est passé, hier après-midi, un drame rapide et sanglant.
Vers 3 heures, une bande de jeunes gens excités par d'abondantes libations passait boulevard Masséna.

Parmi eux se trouvait un chiffonnier de vingt ans, Louis Brunot, dit « la France », qui demeure chez sa sœur, 160, rue Nationale. Il vit soudain venir à lui son cousin germain, Louis Boulanger, chiffonnier comme lui, habitant 18, boulevard Masséna.
Boulanger, qui a trente et un ans, est vigoureux et d'humeur violente et batailleuse. Souvent déjà il avait abusé de sa force contre son cousin. Cette fois, le vin le faisait plus agressif encore que d'habitude. Il chercha querelle à Brunot avec des paroles injurieuses et menaçantes. L'autre fut exaspéré : il avait une ancienne rancune à satisfaire et il se savait le plus faible. Il n'hésita pas : s'armant d'un couteau à cran d'arrêt, il en porta un coup furieux à son adversaire, qui tomba en s'écriant : « Je suis planté ! »
Pendant qu'on s'empressait autour du blessé, le meurtrier prenait la fuite.
M.
Yendt, commissaire de police du quartier de la Salpêtrière, rapidement averti,
chargeait les inspecteurs Muller et Rousse de l'arrêter. Ils le trouvèrent chez
sa sœur, à qui il avait demandé asile. On saisit sur lui le couteau encore sanglant
qui lui avait servi à perpétrer son crime.
Conduit devant M. Yendt, il essaya cependant de nier, mais bientôt, convaincu par l'évidence, il se décida aux aveux.
Il tenta de s'excuser en alléguant qu'il était ivre et qu'il avait voulu à la fois venger ses anciennes injures et prévenir les sévices dont son cousin le menaçait à nouveau ; Il a été envoyé au Dépôt.
Boulanger a été atteint à l'aine, au niveau de l'artère fémorale droite. IL a perdu beaucoup de sang et c'est dans un état grave qu'il a été admis à l'hôpital de la Pitié.
Une remuante agglomération connue sous le nom de « village nègre »... Cette appelation n'a été que trés rarement utilisée par la Presse et essentiellement autour de l'année 1910.
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