Drame de la misère
La Presse — 23 septembre 1894
Dans un misérable taudis situé au numéro 54 de la rue du Château-des-Rentiers, vivaient une pauvre vieille femme, Mme veuve Crozier, âgée de soixante-dix ans, et son fils François âgé de trente-six ans, chiffonnier, qui partageait avec sa mère l'unique chambre composant tout le logement.
Une misère noire régnait dans ce pauvre intérieur. La veuve, complètement paralysée, ne pouvait quitter son grabat, et le fils, qui faisait la « cueillette » dans les rues de Paris, ne gagnait pas toujours de quoi manger du pain.
Depuis près d'un an, ces malheureux n'avaient pu payer le propriétaire, et celui-ci, à bout de patience et sans tenir compte de l'infirmité de la vieille femme, fit signifier aux chiffonniers un acte d'expulsion dont ils ne tinrent aucun compte, ne sachant où aller. Hier matin, M. Bolot, commissaire de police du quartier de la Gare, faisait procéder à leur expulsion.
Leurs quelques hardes et un méchant lit de fer raccommodé avec des cordes et sur lequel, est clouée, la paralytique, furent descendus dans la rue mais le fils de l'infortunée veuve, au lieu de s'occuper de la faire entrer dans un hospice, prit les quelques objets constituant son mobilier et s'enfuit, abandonnant-sa-mère sur le trottoir.
Pour comble de malheur, de cruels gamins trouvèrent amusant de couper les cordes qui maintenaient la petite couchette de fer, qui, à demi brisée, s'affaissa, et la malade roula sur la chaussée.
Des voisins, indignés, allèrent prévenir le commissaire de police. Le magistrat demanda par télégramme à l'Assistance publique l'envoi d'une voiture d'ambulance qui a transporté la malheureuse paralytique à; l'hôpital Cochin, où elle a été admise d'urgence, en attendant qu'elle soit transférée dans un hospice d'incurables.
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