Promenades

 Les gosses en marge - 8

Les gosses en marge

8 - Et quand ils seront grands

Toute cette marmaille grandira. Un jour prochain (les années filent si vite !) Mimile, Tolor, Tatave n'iront plus à la quête du charbon. On les trouvera, les soirs de paye, accoudés, à des zincs malpropres, fumant, buvant, lorgnant les filles. Car Mimile, Toior et Tatave, poussés par la nécessité de vivre, se seront choisi un métier.

Oh ! pas des, métiers difficiles, bien sûr. Ils n'en pincent pas pour l'apprentissage. Mimile sera quelque chose dans les chiffons ; Totor vendra des bricoles, à la sauvette ; Tatave, hirondelle des chantiers, fera partie de la grande confrérie des « macadams » et, tous les mois, traînera dans les cliniques d'accidentés du travail, des blessures soigneusement ratissées au papier de verre. Ils marcheront en roulant des hanches, casseront la visière de leur casquette, mèneront au cinéma leurs petites voisines dont la chevelure poisseuse se frottera, dans l'ombre, à leur maigre épaule. Alors, il ne fera plus bon les regarder de trop près. Des gars élevés dans une rébellion constante contre toute règle, contre tout maître, ont la main prompte à dix-sept ans ; la violence les habite. Déjà, bien qu'ils soient encore tout petits, leur mère ne se risque pas à leur tirer trop souvent l'oreille. Quand ils- auront grandi, leur père lui-même, devra filer doux.

*             *

C'est le samedi soir qu'il faut rôder autour de la cité Jeanne-d'Arc ou louvoyer dans les parages de la fontaine à Mulard, si l'on veut se rendre compte de ce que seront bientôt les gosses qui maintenant sont en chasse devant l'usine à gaz ou la gare de Gentilly. On ne manque jamais de tomber sur une scène de famille.

En voici une entre tant d'autres. Le père et le fils se sont rencontrés chez le bistrot ; le père a déjà visité quelques zincs, le fils a plusieurs verres dans le nez. Le premier voit depuis longtemps avec peine la transformation que l'âge provoque en sa progéniture : naguère le petit ne travaillait pas et il rapportait de l'argent à la maison ; les sous qu'il gagne maintenant, c'est lui seul qui les dépense.

— Qu'est-ce que tu viens f... ici, dégoûtant ? crie-t-il, .dans une rage soudaine. Tu ferais mieux de filer à la maison et d'aider à nourrir tes frères.

Le gars, très pâle, a marché sur le vieux :

— Et toi, alors ?

Le père prend à témoin la salle, qui commence à rire :

— Vous l'entendez ?... « Proparien », va ! Sale voyou ! T'as pas honte de répondre, à ton père ?»… J'veux pas que tu m'répondes t'as compris… Tiens, va-t-en, ou j'te…

Il a la main levée. Mais le garnement est plus vif ; soudain, le nez du vieux saigne, sous le choc d'un poing. Une courte bataille s'engage, qu'excitent les buveurs. Des verres éclatent sur le sol. Le cafetier, sentencieux, explique :

— Ça n'a pas de bon sens. Ça voudrait être respecté et ça laissait dans le temps son gosse barboter à tous les coins-de rue. Un gosse peut pas devenir honnête avec cette éducation-là.

Et il conclut, haussant les épaules :

— Y a tout de même une justice, pas vrai ?

J'ai compris ainsi que le zinc est une rare école de philosophie. Certes, pour devenir plus qu'une idée vaine, l'abstraction Justice doit se mettre à la mesure du justiciable. Mimile, Totor, Tatave, quand devenus grands ils boxeront leur père ou leur mère, accompliront les obscurs desseins de la Providence et, par des voies immorales, rétabliront l'équilibre de la moralité.

Le malheur est qu'ils n'en sauront jamais rien et que jusqu'à la consommation du treizième arrondissement, les enfants y continueront de s'adonner à l'école charbonnière.

R. Archambault.

Début...

 



Les promenades

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La Butte-aux-Cailles

Le Courrier de Paris (1902)

De la Salpêtrière à la Maison-Blanche

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Les promenades
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Rue de Tolbiac, un an après l'explosion

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et l’hôtel de Scipion Sardini

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Le roman de la Bièvre
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1922

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L'Intransigeant (1923)

Paysages parisiens
par L. Paillard

Sur la Butte-aux-Cailles

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En villégiature à Paris

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Les gosses en marge
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Promenade à travers Paris

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Le Matin (1929)

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V - Autour de la Butte-aux-Cailles :

VI - Le Faubourg Souffrant :

XII - Envers de la gloire

Paris-Soir (1930)

Retour à la terre

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L'Intransigeant (1930)

Les vestiges
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de la Butte-aux-Cailles aux Gobelins

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La Glacière et les Gobelins

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Paris 1933

Le Treizième arrondissement

Le Journal (1933)

Jacques Audiberti

Les ilots de la misère

Le Petit Parisien (1937)

Saviez-vous que... ?

En 1887, Camille Claudel vivait dans un atelier loué pour elle par Auguste Rodin, la Folie Neubourg ou Clos Payen, 68 boulevard d’Italie, actuel boulebard Blanqui

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A la création de l'arrondissement, la mairie était installée dans un des anciens pavillons de l'octroi à la barrière de Fontainebleau qui deviendra la place d'Italie.

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Dans la nuit du 5 avril 1579, la Bièvre provoqua de si graves dévastations que le peuple appela cette inondation le « déluge de saint Marcel ».

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En 1865, les frères Goncourt passaient une journée dans le 13e :
« Jeudi, 16 mars. — Nous avons passé la journée chez Burty, rue du Petit-Banquier, dans un quartier perdu et champêtre, qui sont le nourrisseur et le marché aux chevaux. Un intérieur d’art, une resserre de livres de lithographies, d’esquisses peintes, de dessins, de faïences ; un jardinet ; des femmes ; une petite fille ; un petit chien, et des heures où l’un feuillette des cartons effleurés par la robe d’une jeune, grasse et gaie chanteuse, au nom de Mlle Hermann. Une atmosphère de cordialité, de bonne enfance, de famille heureuse, qui reporte la pensée à ces ménages artistiques et bourgeois du dix-huitième siècle. C’est un peu une maison riante et lumineuse, telle qu’on s’imagine la maison d’un Fragonard. »

L'image du jour

La folie Neubourg sur le boulevard Auguste Blanqui, déjà en partie démolie.