Promenades

 De la Salpêtrière à la Maison-Blanche - 1908

Causerie

De la Salpêtrière à la Maison-Blanche

La France — 30 mars 1908

En nous retrouvant sur la rive gauche, au débouché du pont d'Austerlitz vieux de plus d'un siècle déjà, puisque construit de 1803 à 1806, sur les places de Becquey-Beaupré, et pour le passage duquel on acquittait jusqu'en 1848, un droit de péage, nous laissons à notre droite le Jardin du Roi, devenu le Jardin des Plantes et que le séjour de Bernardin de Saint-Pierre, de Beaumarchais, de Cuvier et de maint savant doublé d’un lettré, a rendu cher aux poètes ; et longeant le boulevard de l’ Hôpital, que sépare affreusement le viaduc du Métro aérien démontrant une fois de plus l’absence totale de sens esthétique de nos ingénieurs, nous aboutissons à cette sorte de demi-lune au fond de la quelle s’ouvre la porte d'entrée de la Salpêtrière.

Cet établissement hospitalier, l’un des vestiges les plus imposants de notre architecture au dix-huitième siècle, a ses traditions.

Commencé en 1636, par Libéral Bruant qui en construisit la façade de l'église, ce bâtiment d’une étendue considérable remplaçait une maison affectée jusqu’alors à la fabrication du salpêtre, et que, pour cette raison, l’on dénommait le petit Arsenal, ou la Salpêtrière.

Dès l’achèvement de l'immeuble principal, renforcé à diverses époques de pavillons supplémentaires qui lui ont donné l'aspect irrégulier qu’il affecte au jourd’hui, la Salpêtrière fut affectée aux mendiants des deux sexes, au traitement de maladies spéciales et à l’internement des filles de joie.

La licence des mœurs populaires au dix-septième et surtout au dix-huitième siècle, encouragée tacitement par le peu de retenue que mettaient les gens de qualité à débaucher les filles, nécessitait assez fréquemment des rafles dont les coupables victimes payaient assez chèrement les suites. Le séjour de la Salpêtrière était comme un lazaret d’attente d’où les pauvres malheureuses ne sortaient guère que pour aller peupler les Antilles et la Nouvelle Orléans. Parfois leurs soupirants de cœur les y rejoignaient ainsi que nous l’a décrit l'abbé Prévost dans son chef-d’œuvre, l’Histoire de Manon Lescaut.

En 1802, la destination de l’hôpital fut modifiée, et il n’y rentra plus que des femmes indigentes ou aliénées. C’est ainsi que Théroigne de Méricourt, devenue folle, y mourut en 1817, après avoir fourni au célèbre médecin Esquirol de précieux sujets d’observation sur cette forme spéciale de la folie née de l'exaltation révolutionnaire poussée au maximum d’exaspération, depuis le jour où le crédit de celle amazone populaire avait été anéanti par la chute des Girondins et par les sévices de ses admiratrices de la veille, les tricoteuses, qui publiquement la fouettèrent. Disons encore que lors des massacres de septembre 1792, trente-cinq détenues furent mises à mort, au nombre desquelles se comptait la femme du célèbre empoisonneur Desrues.

Depuis que l’hospice a repris sa double destination actuelle, lieu de repos pour les pauvres vieilles indigentes, oubliettes pour les cerveaux fêlés devenus sujets d’études aux aliénistes, nulle date mémorable ne s’est plus inscrite à son histoire. Seule, une belle et noble figure de sainte laïque est venue symboliser le dévouement de la corporation des infirmières.

Le souvenir de maman Boltard, qui passa soixante années de sa vie à soigner les pensionnaires de la maison, et fut décorée de la Légion d’honneur quelques années avant sa mort, survenue il y a trois ou quatre ans, demeure légendaire dans les annales hospitalières. C'était une de ces créatures angéliques dont il n’est plus d'exemple, ou presque, dans les générations actuelles ; ne quittant jamais l’hospice, était la Providence des malades aussi bien que des médecins et des internes ; et sa voix, sans l'ombre d’un commandement, faisait autorité. Mais en ce temps-là, qui était le temps les apostolats, les appâts du pourboire et les soucis de coquetterie ne hantaient pas le bonnet ou la jupe des infirmières, et la conscience du devoir accompli suffisait à ces âmes angéliques et simples.

Quittant la Salpêtrière pour aborder des parages plus centraux, nous voici devant l’ancien Marché aux chevaux qui, de longue date, s’ouvrait le mercredi et le samedi, comme aujourd'hui encore, dans le voisinage où il vient d'être transféré, au négoce de la race chevaline. Il y avait aussi dans un coin de ce marché, une sorte d’estrapade destinée à ta punition des soldats qui manquaient à leur devoir. Celte estrapade se trouvait précédemment sur les fossés de la porte Saint-Jacques, où, tout récemment, il fut question de transférer le lieu des exécutions capitales.

Le boulevard Saint-Marcel, qui doit son nom à l’antique bourg Saint-Marcel, créé aux alentours d’une nécropole gallo-romaine sous l'invocation du saint de ce nom, inhumé en 436, nous conduit aux Gobelins. Le cimetière dont maint vestige décore aujourd'hui les collections archéologiques de Carnavalet, se situait entre la Bièvre et l’actuelle manufacture de tapis. Il occupait en quelque sorte la petite colline qui, de Mont Cétard, est devenue Mouffetard ; la voie de ce nom, primitivement route de Sens, traversait en effet la Bièvre.

La Bièvre près du boulevard Arago par Eugène BonnetonCette Bièvre, qui jadis égayait ce coin des environs de Paris et venait confiner, à la Seine, non loin de la rue qui porte son nom, près la place Maubert, fut déviée, de son cours primitif au seizième siècle, et depuis, canalisée et couverte sur presque tout son parcours parisien, vient mêler ses eaux boueuses et multicolores à celle d’un égout collecteur aboutissant à quelques mètres du pont d‘Austerlitz, près le Jardin des Plantes. Les teinturiers et les tanneurs, en effet, l'ont, depuis plusieurs siècles, captée pour les besoins de leurs industries, et si pittoresques que nous apparaissent, dans leurs aspects mélancoliques, les mille peintures, dessins et gravures des artistes que ces parages propices à leurs visions ont inspirés, les Lepére, les Richomme, les Pequegnol, les Bonneton, les Toupey, les Charles Jacque et tant d’autres avant eux, dont les cartons et les galeries regorgent à Carnavalet, il n’est pas moins désolant de comparer ce lamentable ruisseau à la pimpante rivière qui traverse le bois de Verrières et donne aux villages avoisinants une note de fraîcheur et de gaieté.

Mais, adieu la petite Suisse chantée par Delvau ; il n’est plus à Paris d’yeux bienveillants que pour l’industrie et la mécanique, sources de bénéfices, et c'est le Rémois Jean Gobelin qui, sans s’en douter, lui porta le premier coup fatal, lorsqu’il vint s’établir avec son frère, ainsi que Rabelais en fait mention, au faubourg Saint-Marcel, pour teindre la laine en écarlate, et créer une maison si renommée, que, plus d’un siècle plus tard, elle motiva l’établissement de la tapisserie royale aux destinées de laquelle préside aujourd'hui, succédant à l’érudit Jules Guiffrey, le critique d’art Gustave Geffroy.

Dans ces alentours, se signale encore à l’attention la maison dite de la Reine Blanche, située dans la rue des Marmousets, dont les vestiges élégants contrastent avec la hideur ambiante, et rappellent qu’il y eut là depuis le grand siècle une habitation luxueuse, laquelle remplaçait, disent quelques historiens, le palais de Blanche de Castille, reine blanche parce que veuve. Dans ce palais aurait eu lieu le fameux Bal des Ardents terminé par un incendie qui ébranla les facultés mentales du jeune roi Charles VI, miraculeusement sauvé par la duchesse de Berry sa tante.

Mais d’autres écrivains affirment que cette mascarade célèbre se donna à l’hôtel Saint-Pol, en sorte que le doute plane encore sur ce sujet. C’est, en tout cas, dans cet immeuble qui, de dépendance des Gobelins avait été transformé en brasserie sous la Révolution, que se tenait un des nombreux clubs jacobins, avec, pour principaux acteurs, le commandant Alexandre et le boucher Legendre.

Voici encore, dans la ruelle des Gobelins, le vivant souvenir du pavillon où M. de Julienne venait se reposer quand il ne lui prenait pas envie de pousser jusqu’à Nogent-sur-Marne, où, comme on sait, le peintre Watteau vécut dans sa villa ses derniers printemps.

Enfin, si nous voulons encore découvrir un asile oublié de quelque propriétaire dilettante, pénétrons un peu plus avant dans ce quartier Croulebarbe rendu célèbre, en 1827, par le meurtre de la petite bergère d’Ivry, tragiquement assassinée par un précoce satyre du nom d’Ulbach, lequel avait du moins la faible excuse d’être un amoureux évincé, et à l’angle de la rue Edmond-Gondinet et du boulevard Auguste-Blanqui, nous serons en présence des ruines d’une folie du dix-huitième siècle, construite en 1702 par l'architecte Peyre aîné, pour M. Le Prêtre de Neubourg, qui possédait les terres avoisinantes. On croit que par la suite, Corvisart, le médecin de Napoléon 1er et de Joséphine, habita ce pavillon ; mais d’aucuns affirment par ailleurs que ce n’était plus, à celle époque là déjà, qu’un rendez-vous de chasse devenu sans objet, et laissé comme don par l’Empereur à une blanchisseuse, la mère Camille, laquelle y mourut vers 1860.

Ce qui est plus certain, c'est que le sculpteur Rodin y avait son atelier quelques années avant son installation au dépôt des marbres, et ; qu’aujourd’hui cette masure, dont le toit veuf de la plupart de ses tuiles, n’est plus qu’un prétexte de risée pour les voyageurs du Métro qui passe à quelques mètres plus haut, sur le viaduc qui longe le boulevard, mériterait bien d'être préservée de l’effritement total qui la menace. Mais ainsi vont les choses, domaine public et domaine privé souffrent et meurent de la sottise de leurs propriétaires ou de la veulerie administrative et le Clos Payen, puisque c'est le nom que porte aujourd'hui ce pavillon, nom d’ancien occupant évidemment, disparaîtra avant peu, privant d’une curiosité rétrospective ce pauvre quartier Croulebarbe qui, pourtant, n’en possède pas une notable quantité.



Les promenades

Les chiffonniers de la Butte-aux-Cailles

L'événement (1875)

Le boulevard Saint-Marcel et le marché aux chevaux

Paris pittoresque (1883)

La Bièvre et la Butte-aux-Cailles

Le XIXe Siècle (1887)

La Maison-Blanche

La Cocarde (1894)

La Butte-aux-Cailles

Le Courrier de Paris (1902)

De la Salpêtrière à la Maison-Blanche

La France (1908)

Les promenades
de Georges Cain


Rue de Tolbiac, un an après l'explosion

L'Heure (1916)

Les jardins des Gobelins
et l’hôtel de Scipion Sardini

Une promenade au départ de la ruelle des Gobelins

La Revue hebdomadaire (1921)

Le roman de la Bièvre
par Élie Richard

1922

Les quartiers
qui changent de visage

Une promenade à l’ancienne Butte-aux-Cailles

L'Intransigeant (1923)

Paysages parisiens
par L. Paillard

Sur la Butte-aux-Cailles

Le Petit-Journal (1925)

En villégiature à Paris

La Butte-aux-Cailles prend le frais

Le Siècle (1926)

Découvertes de Paris

Paysages tentaculaires

L'ère nouvelle (1926)

Les gosses en marge
par R. Archambault

Paris-Soir (1929)

Promenade à travers Paris

Là où jadis coulait la Bièvre

Le Matin (1929)

La Tournée
par Élie Richard

V - Autour de la Butte-aux-Cailles :

VI - Le Faubourg Souffrant :

XII - Envers de la gloire

Paris-Soir (1930)

Retour à la terre

Ce matin, au bord de la Bièvre, dans les jardins des Reculettes

L'Intransigeant (1930)

Les vestiges
pittoresques du passé

de la Butte-aux-Cailles aux Gobelins

Le Journal (1931)

Claude Blanchard

La Glacière et les Gobelins

Le Petit Parisien (1931)

Paris 1933

Le Treizième arrondissement

Le Journal (1933)

Jacques Audiberti

Les ilots de la misère

Le Petit Parisien (1937)

Saviez-vous que... ?

En 1887, Camille Claudel vivait dans un atelier loué pour elle par Auguste Rodin, la Folie Neubourg ou Clos Payen, 68 boulevard d’Italie, actuel boulebard Blanqui

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La rue Damesme doit son nom au général Edouard-Adolphe-Déodat-Marie Damesme né en 1807 à Fontainebleau qui fut mortellement blessé lors les événements de juin 1848. Elle porte ce nom depuis 1868 et s'appelait auparavant rue du Bel-Air

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La rue de la Colonie s'appella ainsi en raison de la présence d'une colonie de chiffonniers dans le secteur.

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La municipalité parisienne inaugurait, le 26 juin 1936, le passage souterrain qui, sous le boulevard militaire, reliait le boulevard Masséna et le boulevard Kellermann, sous la porte d'Italie, de manière que les courants de circulation en sens opposé ne se contrarient pas.
M. Romazzotti, secrétaire du Conseil municipal, entouré de MM. Villey, préfet de la Seine ; Louis Gélis, député, conseiller municipal ; Gïraud, directeur général des travaux, coupa le ruban symbolique et franchit avec eux la nouvelle voie souterraine.

L'image du jour

La folie Neubourg sur le boulevard Auguste Blanqui, déjà en partie démolie.