Littérature

 sans titre 1

25 juillet

Derniers câblogrammes 

Eh bien ! je n'ai pas découvert l'embouchure de la Bièvre. Comble de l'humiliation pour un explorateur, j'ai été obligé de m'informer auprès des riverains ! Ils m'ont appris qu'elle n'a plus, à partir de la rue Geoffroy-Saint-Hilaire, ni embouchure ni rives. La police sanitaire l'a captée là et enfermée dans un égout. Après des kilomètres de répugnant labeur, après avoir été souillée, empoisonnée, rendue puante, après avoir enrichi quantité de patrons, mégissiers et tanneurs, elle s'en va méprisée, conspuée, reniée de tout le monde.

Je ne veux pas, non, je ne veux pas rentrer dans le Jardin des Plantes ; j'aime mieux passer derrière, par la rue de Buffon... Oh ! là ! là ! quelle collection de bonnes têtes ! Sept décapités accrochés au long d'un mur, comme des Malgaches. Ils s'appellent... attendez... leur nom est écrit au-dessus : Brongniart, encore un Brongniart, Becquerel, Duméril, Claude Bernard, Buffon, Decaisne, Connaissez-vous ces gens ? Bernard... Il y a trois députés de ce nom à la Chambre des députés. Buffon... Celui-là je sais qui c'est... Mais les autres ? Le commandant Marchand et le général Galliéni sont bien plus célèbres !

Hum ! Pouah ! ça commence à sentir. La rivière industrielle n'est pas loin.

À propos, je suis tout près d'un pavillon — des Princes — que jadis j'habitai, sous l'Empire d'abord, sous la République ensuite. C'était une dépendance d'un vaste ancien couvent, qui avait sainte Pélagie pour patronne.

La prison de Sainte-Pélagie,
rue du Puits de l'Ermite dans le 5ème arrondissement
Photo Atget vers 1898-1900

Mais quoi ? Voici bien la rue du Puits-de-l'Ermite, où, d'ailleurs, je ne vis jamais ni ermite, ni puits. Et Sainte-Pélagie ? Disparue aussi. On bâtit des maisons de rapport à la place.

Tout s'en va, tout passe, tout dégénéra. Plus de Bièvre, plus de Pélagie ! Heureusement on fait des prisons confortables et des usines très saines, ailleurs.

Rue Monge. Impasse de la Photographie. Pas de photographie, mais... un cul-de-sac où des terrassiers piochent, où des maçons cimentent une voûte à ras de sol : c'est pour ma pauvre rivière, toujours cherchée, pas encore aperçue. Où la verrai-je ? La verrai-je jamais ?

Tiens ! une église de village, toute festonnée de lierre ! Qui donc l'a apportée là ? On ne l’a pas apportée. C'est le village qui s'en est allé. Cette paroisse est Saint-Médard, fameux sous Louis XIV, par le tombeau du diacre Paris, où venaient se convulsionner… les convulsionnaires.

Voilà la rue Mouffetard. Elle finit là et se prolonge en ..., laissez-moi lire la plaque bleue... en rue Bazeilles ! Ah ! je n'attendais pas ici un souvenir de nos défaites de 1870 !

Ce n'est qu'au boulevard Arago qu'il m'est enfin permis d'apercevoir, à travers une palissade crasseuse, la rivière de Bièvre. On la voit, à dix mètres en bas, dormante, parée d'une mousse blanchâtre. On dirait de la crème. Je cherche un chemin pour m'en rapprocher. Je découvre (rue des Marmousets) une pente descendante ; je traverse une passerelle moisie ; me voici, enfin ! sur une berge étroite, encaissée dans des bâtiments vieux, vieux, prêts à s'effondrer.

"Ce n'est qu'au boulevard Arago qu'il m'est enfin permis d'apercevoir, à travers une palissade crasseuse, la rivière de Bièvre..."

Ce lieu s'appelle la ruelle ou la rigole des Gobelins. Il est comme il était il y a deux siècles. À gauche, voici un long bâtiment, sans porte, à fenêtres rares. Il suit les courbes de l'odorant ruisseau. Tout à coup, il se renfle, comme un abcès, percé de doux hauts vitraux à plein cintre, qui éclairent probablement le chœur d'une chapelle. Qu'est cela ? C'est un restant de la vieille abbaye de Saint-Victor, où fut installée la manufacture de tapisseries des Gobelins. De l'autre côté du ruisseau, derrière une muraille bien fermée, des arbres s'élèvent, quelques-uns sont des poiriers chargés de fruits. C'est le jardin des artistes tapissiers de la manufacture.

Mais qu'est devenue la Bièvre ? Elle a disparu. Je remarque une belle maison, laide, neuve, adornée, çà et là, de briques vernissées. Elle a pour fronton une enseigne de mégissier. Elle est attenante à un petit pavillon de pierre, très sale, très délabré, très noir, et architecturalement majestueux quand même.

"La ruelle des Gobelins vers l'aval de la Bièvre"

Ah ! je ne suis pas un admirateur de vieilleries, mais, vrai ! à côté de la maison de briques vernies, cette ruine me parait jolie, bien d'aplomb et d'ensemble, c'est de l'architecture ; l'autre n'est que du bâtiment.

La ruelle des Gobelins me mène à la rue Croulebarbe. À l'endroit de la jonction, la Bièvre réparait, mais enfermée. Le négociant qui est là a posé une barrière et personne n'a protesté.

Mais... cette encoignure... les morceaux de muraille qui subsistent... C'est ici qu'était le fameux moulin de Croulebarbe, illustré par Fieschi, Fieschi le régicide, qui faillit renverser la royauté de Louis-Philippe, douze ans avant février 1848.

S'il avait réussi, la République aurait gagné — au moins — ces douze années. S'il avait réussi, nous n'aurions peut-être pas eu cette ignominie, cette Bièvre de l'histoire de France qui s'appelle l'Empire de Napoléon III.


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Le 13e en littérature

De la place d'Italie à la Bièvre via l'avenue de la soeur Rosalie et la ruelle des Reculettes

Le faiseur de momies

par
Georges Spitzmuller et Armand Le Gay

Dans ce roman paru en feuilleton dans Le Matin, Georges Spitzmuller et Armand Le Gay emmènent leur lecteur sur la piste de M. Ducroc, chef de la sûreté, pour qui le XIIIe arrondissement n'avait pas de secret.

(1912)

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Rue du Dessous-des-Berges

La dame de pique

par
Jules de Gastyne

Il existe à Paris, dans les quartiers perdus, des rues mornes et désertes qu'on traverse avec un sentiment de stupeur.

(1906)

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A travers la Maison-Blanche

Les apaches de la Butte-aux-Cailles

par
Lucien Victor-Meunier

Un instant plus tard, elle était dehors dans le terrain vague qui descendait en pente rapide vers la vallée de la Bièvre...

(1907)

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La poterne des Peupliers

La vague rouge

par
J. H. Rosny Ainé

Un homme s'arrêta sur la route, près de Gentilly. Il considéra le paysage misérable et puissant, les fumées vénéneuses, l'occident frais et jeune comme aux temps de la Gaule celtique.
Si l'auteur nomme une poterne des Tilleuils, c'est bien de la poterne des Peupliers dont s'agit.

(1910)

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Rue des Peupliers

Perdues dans Paris

par
Jules Mary

Un des coins de Paris, misérable et sinistre. La longée des fortifications plantées d'arbres en double ou triple rangée, le côtoie pourtant de verdures plaisantes durant la belle saison, mais, en réalité, sépare pour ainsi dire cette région parisienne du reste du monde. Du haut de la rue des Peupliers...

(1908)

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Quartier Croulebarbe

Les esclaves de Paris

par
Émile Gaboriau

C'est là un quartier étrange, inconnu, à peine soupçonné de la part des Parisiens...
Où Emile Gaboriau fait découvrir le quartier Croulebarbe à ses lecteurs.

(1868)

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La Cité Jeanne-d'Arc

Un gosse

par
Auguste Brepson

La cité Jeanne-d'Arc est ce vaste ensemble de bâtiments noirs, sordides et lugubres percés comme une caserne de mille fenêtres et dont les hautes façades s’allongent rue Jeanne-d'Arc, devant la raffinerie Say.

(1928)

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Saviez-vous que... ?

En 1887, Camille Claudel vivait dans un atelier loué pour elle par Auguste Rodin, la Folie Neubourg ou Clos Payen, 68 boulevard d’Italie, actuel boulebard Blanqui

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En mars 1897, M. Yendt, officier de paix, était nommé commissaire de police des quartiers de la Salpêtrière et de Croulebarbe, en remplacement de M. Perruche, admis à faire valoir ses droits à la retraite.

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Edmond Gondinet (7 mars 1828, Laurière – 19 novembre 1888, Neuilly-sur-Seine) dont une rue du 13ème arrondissement porte le nom était un auteur de théâtre qui fit jouer sur les scènes parisiennes une quarantaine de pièces.
On lui doit notamment "Le Plus Heureux des trois" en collaboration avec Eugène Labiche.

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Contrairement à la légende habituellement véhiculée par le parti communiste français, René Le Gall n'est absolument pour rien dans la création du jardin ouvert en 1938 et qui porte son nom depuis 1944.
Le jardin des Gobelins est une résultante de la convention conclue en 1934 entre l'État et la ville de Paris, en vue de la réimplantation du mobilier National dans le 13e arrondissement dont les terrains d'assise, situés en bordure de l'avenue Rapp, devaient être libérés en vue de l'exposition internationale de 1937.
Pour ce faire, l’État cédait à la ville le jardin historique des ouvriers de la manufacture des Gobelins à charge pour elle d’y réaliser une promenade publique sur le surplus du terrain où le nouveau mobilier national trouverait désormais sa place.

L'image du jour

La folie Neubourg sur le boulevard Auguste Blanqui, déjà en partie démolie.