Dans la presse...

 La Tournée des Édiles (1909)

La Tournée des Édiles

Le Journal — 29 mai 1909

Le temps n'est plus de ce qu'on appelait la tournée des grands-ducs. C'était, à travers quelques bas-fonds de Paris et sous la conduite rassurante d'un fonctionnaire ou d'un agent de la Sûreté, la promenade traditionnelle des personnages de distinction en quête de sensations fortes.

On leur montrait généralement le dédale des ruelles qui avoisinaient la place Maubert, Saint-Sévérin et Saint-Julien-le-Pauvre. On ne manquait pas, surtout, de leur faire visiter le Château-Rouge et le cabaret du père Lunette, l'un rue Galande et l'autre rue des Anglais.

On y voyait boire et cuver leur ivresse, pêle-mêle, de nombreux pégriots. On ne disait pas encore apaches. Quelques-uns, fâcheusement célèbres, semblaient être en vedette pour des représentations au bénéfice du patron de l'endroit. On était confirmé dans cette impression par les chants et les boniments que l'on entendait. Peu de pittoresque, beaucoup de battage… Des démolitions ont heureusement modifié l'aspect de ce coin de Paris et fait disparaître ces bouges de parade : le Château-Rouge et l'établissement du père Lunette.

À présent, c'est autour des Halles et de Saint-Merri que se font accompagner Les amateurs, étrangers de passage à Paris ou publicistes qui le découvrent.

La curiosité des uns et des autres ne tire aucunement à conséquence. Il n'en sera pas de même, espérons-le, de l’idée qu'un conseiller municipal, M. Evain, a eue.

Il a groupé ceux de ses collègues qui représentent à l'Hôtel de Ville un quartier de la périphérie, et il leur a proposé la tournée des édiles, c'est-à-dire une promenade aux recoins les plus malsains de Paris. Si bien que les conseillers municipaux qui ont fait la semaine dernière cette investigation pourront désormais parler ensemble, et en connaissance de cause, non seulement des verrues de leur propre quartier, mais des ulcères sanieux dont les autres quartiers excentriques sont également affligés.

En constater l'existence, c’est prendre implicitement l'engagement de fermer ces plaies.

Le premier jour, le groupe dit de la périphérie a parcouru pour commencer une région parisienne que j'ai moi-même battue dans tous les sens et qui est située dans les treizième et quatorzième arrondissements.

La Pointe-d'Ivry, la Maison-Blanche, le quartier Croulebarbe, la Butte-aux-Cailles, le parc de Montsouris et ses alentours !... Que d'explorations ces noms me rappellent ! Certaines, restées pour moi notamment inoubliables, sont celles où j'eu pour guide un homme dont j'ai déjà parlé et pour qui la structure du treizième arrondissement n'a point de secrets : M. le docteur Mangenot.

Ah ! ce n'est pas de la faute de celui-là si l’œuvre d'assainissement qu'on annonce l'intention de poursuivre n'est pas plus avancée ! Il n'a pas attendu la tournée des édiles pour faire la sienne et pour en consigner les résultats dans un travail considérable que lui avait demandé la Société des habitations à bon marché.

J'ai souvent cité comme un modèle du genre l'enquête sur la Pointe-d'Ivry, qui est un îlot faisant partie du quartier de la Gare. Cependant, le docteur Mangenot se défendait d'innover. Il avait simplement, disait-il, adopté la méthode des grands hygiénistes sociaux du siècle dernier : Villermé, Blanqui, Villeneuve de Bargemont.

On lui avait confié une enquête sur les logements ; or, il avait tout de suite reconnu que cette enquête serait incomplète s'il ne l'étendait pas aux locataires, à leurs professions, à leurs salaires, à leurs budgets, Et c'est ainsi que cet homme modeste, son long travail terminé, avait osé enfin l'intituler : Étude d'hygiène sociale.

C'en était une, en effet, de premier ordre, et qui a précédé pour les maisons l'institution du casier sanitaire. Tout le quartier de la Pointe-d'Ivry avait le sien dans l'exposition détaillée dont le docteur Mangenot est l'auteur. Écrite il y a une douzaine d'années, elle n'aurait besoin que de bien légères retouches pour paraître datée d'hier.

Preuve qu'il ne suffit pas de signaler le mal pour qu'on y remédie, puisque la population étudiée et recensée par M. Mangenot est exactement logée aujourd'hui à la même enseigne qu'il y a douze ans !

Au moment où Paris, Orléans, Compiègne, Marseille, Bordeaux, Lyon, etc., se pavoisaient en l'honneur de Jeanne d'Arc, je vous assure que le contraste était violent entre ces fêtes et l'aspect de la cité qui porte, à Paris, le nom de l’héroïne nationale !

Il n'est, en effet, nulle part de lieu plus désolé, plus misérable, plus infect… Là, aux taudis superposés de vastes casernes noires, grouillent en tas hommes, femmes et enfants, confondus, des marchands et des musiciens ambulants, des chiffonniers, des mendiants, des camelots, des gagne-deniers sans travail et qui en cherchent, en priant le bon Dieu pour ne pas en trouver, comme, on dit…

Le quartier est triste, pauvre et altéré… À chaque pas, des débits, des buvettes, une odeur de boissons alcooliques chaudes. On vend le boire plus que le manger. L'atmosphère est aussi lourde dehors qu'à la fabrique. La soif prime la faim. Des rogatons, des arlequins attendent, sur le comptoir, en portions égales, les sorties d'ateliers. Les ateliers sortent et s'humectent avant tout. Des ouvrières passent, affairées, allant faire remplir un litre vide… ; d'autres déjeunent d'une salade et d'un hareng, qu'elles arrosent de vin noir ou de piquette limoneuse, à la « terrasse » d'un bistro. Elles prennent le frais — le frais du trottoir aride et mou ! — pardessus le marché. Beaucoup sont des ouvrières de la raffinerie Say ; on reconnaît celles qui viennent de travailler dans les fabriques de cuirs et peaux du voisinage, à ce qu'elles sont légèrement poudrées à frimas par les raclures envolées.

"La cité Doré a trois entrées, — ou trois sorties, — l'une rue Jenner, l'autre boulevard de l'Hôpital et la troisième place Pinel, où se trouvait l'ancienne barrière d'Ivry. On dirait, à présent, une petite place pour exécutions capitales."

Mais l'endroit pittoresque par excellence, la véritable curiosité du quartier, c'est la cité Doré, la cité des chiffonniers, qui a reçu, naturellement, la visite de nos édiles. Elle a trois entrées, — ou trois sorties, — l'une rue Jenner, l'autre boulevard de l'Hôpital et la troisième place Pinel, où se trouvait l'ancienne barrière d'Ivry. On dirait, à présent, une petite place pour exécutions capitales.

La cité Doré, qui existe, depuis une soixantaine d'années et qui porte le nom de son propriétaire à cette époque, un honorable chimiste, chevalier de la Légion d'Honneur ; la cité Doré, qui résiste à tous les assauts des commissions de salubrité, a su parfaitement bien, elle, se débarrasser d'une voisine impure ! Celle-ci avait élevé ses cabanes couvertes de paillassons et de toiles goudronnées sur un terrain appartenant à l'Assistance publique. On appelait ce réceptacle d'ordures ménagères et de détritus de toutes sortes : la cité des Kroumirs, en souvenir de l'expédition de Tunisie. Qui se ressemble s'assemble, dit le proverbe.

Il paraissait donc impossible que les locataires de la cité Doré et ceux de la cité des Kroumirs ne s'entendissent pas ensemble. Ce fut le cas cependant. En 1881, quelqu'un de la cité Doré dénonça à la préfecture de la Seine la malpropreté des Kroumirs, et, chose plus extraordinaire encore, la plainte fut prise en considération !

Il y a bien encore, à Paris, une l'impasse des Kroumirs, et même nos conseillers en tournée s'y sont transportés : mais c'est dans le 18e arrondissement qu'il faut la chercher.

Telle qu'elle, d'ailleurs, la cité Doré, avec ses étroits passages qui se croisent, ses constructions en plâtras composées de rez-de-chaussée où bêtes et gens respirent parmi les sacs de chiffons et les débris de toute nature qui tapissent le sol en terre battue ; la cité Doré, dis-je, est encore un spectacle rare.

On a eu tort de la comparer à une cour des miracles, car elle est habitée, en grande partie, par ces courageux chiffonniers que je vois rentrer, chaque matin, vers neuf heures, dans les brancards des voitures à bras que poussent ou escortent frères, sœurs, mère, femme. Quelquefois la voiture est traînée par un petit âne, voire par un chien de renfort. Et quelque chose d'infiniment touchant, je vous jure, est le sommeil, sur les tas de chiffons, d'enfants que leurs-parents ont emmener pour ne point les laisser seuls au logis... Là, sa récolte quotidienne étalée, le coureur, le « biffin » va procéder au « tricage » ; ensuite, il ira proposer les déchets qu'il a triés et classés par catégories au maître-chiffonnier dont il reçoit juste de quoi vivre, au jour le jour…

Maintenant, si je vous disais que l'état sanitaire est moins mauvais à la cité Doré qu'en beaucoup d'endroits de meilleure apparence, vous ne me croiriez pas.

C'est pourtant la vérité. Sur ces fumiers poussent le teint rose, des gosses joyeux, vaccinés contre les épidémies impitoyables pour les enfants élevés « dans du coton ».

Je m'empresse d'ajouter que ce n'est point une raison pour dissuader le chirurgien d'opérer ces kystes, dont le moins qu'ils puissent faire est toujours d'enlaidir le visage de Paris.

LUCIEN DESCAVES.



Dans la presse...


L’état de santé de Blanqui

À l'issue de la réunion, le brusque passage d'un milieu chauffé dans l’atmosphère humide de la rue lui causa un frisson : Blanqui eut une défaillance dont il se releva aussitôt. Il voulait marcher, mais les personnes qui l'accompagnaient l'obligèrent à monter dans un fiacre où, malgré sa résistance, on le recouvrit d'un gros pardessus.
On le conduisit chez un de ses amis, 25, boulevard d'Italie. (1880)

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L'œuvre des petits chiffonniers

Si le promeneur, en haut de l'avenue d'Italie, avait l'idée de prendre à droite le passage Raymond, il aurait bientôt une vision étrange ! En plein Paris, à cinquante mètres d'une large voie, sillonnée de tramways, il se trouverait en face d'innombrables cahutes, d'aspect sordide où vivent pêle-mêle près de deux mille chiffonniers. (1901)

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A bas les taudis !

Suivez, comme nous, les rues Nationale, Jeanne-d’Arc, Campo-Formio, Louis-Français, Esquirol, Baudricourt, traversez la Cité Doré, le passage Grouin, l’impasse des Hautes-Formes et de temps en temps, arrêtez-vous devant un immeuble... (1926)

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Des masures à l’impasse Moret

L'impasse Moret est, dans le treizième arrondissement une enclave insalubre et sordide qui ne vaut pas mieux, si toutefois elle n'est pire, que les taudis sinistres de l'impasse du Mont-Viso [...]
Ce petit coin du vieux Paris, où la Bièvre étale encore en plein air ses eaux noires qu'empuantissent les déchets des tanneries dont elle est bordée, présente en ce moment pour les fervents du passé, un vif attrait. (1911)

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Les mensonges des patrons mégissiers

Le citoyen Deslandres, conseiller municipal socialiste de Paris, aura rendu un service signalé au quartier de Croulebarbe, en obtenant de la Ville qu'elle recouvre et transforme en égout les deux bras de la Bièvre qui traverse le passage Moret à ciel ouvert. (1911)

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Saviez-vous que... ?

En 1887, Camille Claudel vivait dans un atelier loué pour elle par Auguste Rodin, la Folie Neubourg ou Clos Payen, 68 boulevard d’Italie, actuel boulebard Blanqui

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La galerie de la manufacture nationale des Gobelins située sur l'avenue du même nom est l'oeuvre de l'architecte Jean Camille Formigé (1845-1926).

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L'école 8 rue Kuss, a été construite en 1934, par l'architecte Roger-Henri Expert, qui utilisa largement le béton.

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C’est en juillet 1938 que fut posée, par le Ministre Jean Zay, la première pierre du stadium universitaire qui allait prendre place à l’angle du boulevard Kellermann et de la porte de Gentilly et auquel le nom de Sébastien Charletty (1867-1945) à l'origine de la Cité Universitaire de Paris, fut donné.

L'image du jour

La folie Neubourg sur le boulevard Auguste Blanqui, déjà en partie démolie.