L’incendie de la rue du Pot-au-Lait
La Patrie — 19 mars 1895
Les anciens décors de l'Hippodrome. — Une fabrique détruite. — Sauvetage difficile. — À l’hôpital Cochin. —- État désespéré.
Dans le fond du quartier de la Glacière, rue du Pot-au-Lait, à l’angle de la rue Robine, M. Fauvel établissait, il y a un an, une grande fabrique de bûches résineuses, occupant une douzaine d’ouvriers.
Attenant à sa fabrique d’une superficie de 500 mètres environ, servant de resserre au bois, M. Fauvel habitait une maison de deux étages, dont il louait un appartement.

Ce matin, vers quatre heures, M. Fauvel se leva et commença à ranger son atelier. Il mit ses machines à vapeur sous pression et alluma les fourneaux de ses chaudières à résine.
Il était quatre heures et demie lorsqu'il commença à tremper les bûchettes dans la résine bouillante.
Tout à coup, une violente explosion se produisait, et la résine tombant sur le foyer produisait une gerbe de flamme qui aveugla M. Fauvel, l’éclaboussant de résine enflammée.
Le malheureux appela au secours, mais ses cris ne furent pas entendus.
Alors, le visage couvert de plaies, les membres brûlés par la résine, il assista, impuissant, à l'incendie qui dévorait son magasin.
En rampant, il put gagner son logement où il voulait prévenir sa femme, mais, arrivé dans la salle à manger, il perdit connaissance. L'incendie gagnait, alimenté par plusieurs centaines de kilogrammes de bûches amassées ; il gagna les combles, les remises de bois où étaient empilés tous les montants des vieux décors de l’Hippodrome et un craquement sinistre se fit entendre, la toiture croulait.
Les locataires de M. Fauvel, la famille Kneepkens, composée de trois enfants de 11, 13 et 15 ans, du père et de la mère dormaient à côté du brasier.
M. Kneepkens se leva vers cinq heures pour faire du café ; une violente odeur de fumée emplissait sa chambre à coucher. Il réveilla son fils aîné, en lui disant :
— il y a le feu ici. L'enfant se mit à la fenêtre, il aperçut une gerbe de flammes de pins de dix mètres qui paraissait sortir de la maison.
Alors, sans dire un mot, en chemise, il sauta par la fenêtre et alla briser l’avertisseur d'incendie.
Quand il revint, la maison d'habitation était la proie des flammes.
Il parvint cependant à monter chez lui, et, avec l'aide de ses parents, il put descendre ses jeunes frères par la fenêtre.
Cependant des gardiens de la paix, attirés par la lueur, arrivèrent.
Du rez-de-chaussée chaussée partaient des gémissements. Le gardien de la paix Bellan enfonça la fenêtre et pénétra à l'intérieur avec le jeune Kneepkens.
Sur son lit, Mme Fauvel râlait ; la porte laissée ouverte par M. Fauvel avait laissé pénétrer la fumée, et la malheureuse femme était à demi asphyxiée.
On la transporta dans une pharmacie voisine où elle ne reprit pas ses sens, une voiture d'ambulance la conduisit à l'hôpital Cochin.
Bientôt les pompiers arrivèrent sur les lieux de l'incendie ; les pompes de la rue Jeanne-d'Arc, du boulevard du Port-Royal, de la caserne du Lion de Belfort et de la rue de Poissy.
En route, la pompe de la caserne Jeanne-d'Arc accrocha une voiture et deux pompiers furent projetés à terre ; ils ont été fortement contusionnés.
Enfin vingt lances furent mises en batterie, mais il était trop tard : l'usine était totalement détruite.
Un cheval qui était à l'écurie a été retrouvé calciné.
On se borna donc à préserver la maison d'habitation fort endommagée déjà. À huit heures du matin, tout danger était conjuré et à dix heures on commençait à noyer les décombres.
Au cours des travaux, les pompiers découvrirent le corps de M. Fauvel dans la position que nous avons décrite, il fut transporté à l'hôpital Cochin où déjà se trouvait sa femme.
Le colonel des pompiers, accompagné de M. Lépine, préfet de police, s'est rendu sur les lieux de l'incendie dans la matinée.
Le préfet de police a remis un secours à la famille Kneepkens et a félicité le fils de sa courageuse conduite. Il a promis à ces malheureuses gens, qui ont eu tous leurs meubles détruits par l’incendie, de s'occuper d’eux.
À l'hôpital Cochin, où nous nous sommes rendu à une heure, on nous a déclaré que l'état de M. Fauvel était désespéré.
On a encore quelque espoir relativement à sa femme.
Sur la rue du Pot-au-Lait
La rue du Pot-au-Lait, selon la légende, tire son nom d'une enseigne représentant Perette et le Pot-au-Lait. Rien ne vient étayer cette affirmation. La rue allait initialement de la route militaire pas encore boulevard Kellermann à la jonction des rues de la Glacière et de la Santé. La création du chemin de fer de ceinture amena sa prolongation jusqu'à la rue des Peupliers. A partir de sa rencontre avec la rue de la Fontaine-à-Mulard, elle longeait un bras de la Bièvre et les prés submersibles qui constituaient les étangs de la Glacière. Après 1898, devenue rue Brillat-Savarin depuis 1895, son parcours a été rectifié et son niveau relevé de plusieurs mètres. Elle se termine désormais à la jonction des rues Henri Becque, Boussingault et Wurtz et offre une longueur totale de 1080 mètres.
Faits-divers
- Sur les bords de la Bièvre - 1874
- Au cabaret d la mère l'Hercule - 1873
- Attaqué par quatre chevaux - 1873
- Descente de police rue du Pot-au-Lait - 1874
- Ça porte bonheur - 1887
- Terrible incendie rue du Pot-au-Lait - Le Soleil — 19 mars 1895
- L’incendie de la rue du Pot-au-Lait - La Patrie — 19 mars 1895
Dans la littérature
