Rue du Banquier
L’Ami du peuple — 22 octobre 1930
C’était un ancien chemin conduisant à Villejuif. Sa dénomination de rue du Banquier est assez ancienne, puisqu’elle remonte à 1676.
L’on se demanda longtemps qui pouvait être ce banquier qui valait son nom à une voie maraîchère, signée au faubourg Saint-Marcel, où n’abondent point les maisons de banque.
Or, une tradition populaire était à l’origine de ce baptême, et l’on découvrit qu’un homme d’argent, nommé Patouillet, avait possédé nombre de terrains dans le quartier, notamment un vaste clos appelé le Clos Patouillet.
La rue du Banquier commençait autrefois rue du Marché-aux-Chevaux, pour finir rue Mouffetard. Le percement de la rue des Gobelins a modifié ses abords.
Il existait, rue du Banquier, une rue d’Ivry, une rue des Cornes, une rue du Petit-Banquier, une rue des Vignes ; la rue d’Ivry est devenue rue Titien ; la rue des Cornes (ancienne rue Creuse), rue Oudry ; la rue du Petit-Banquier, rue Watteau ; enfin la rue des Vignes, rue Rubens. Les rues de ce quartier sont, en effet, pour la plupart, dédiées à des artistes, et l’on y trouve encore les rues Coypel, Véronèse, Primatice, Le Brun. Philippe-de-Champaigne dont la plupart des chefs-d’œuvre furent-reproduits paroles tapissiers des Gobelins.
Longtemps notre rue du Banquier fut déserte et peu bâtie. Des ouvriers fréquentaient l’usine de noir animal de la rue des Cornes, ainsi appelée parce qu’on y emmagasinait les cornes de bœufs prélevées dans les nombreuses tanneries du quartier Saint-Marceau.
La Compagnie générale des Omnibus y eut aussi un grand dépôt pour voitures et ses chevaux.
La rue du Petit-Banquier, ouverte 1760, fut, par ordonnance, fermée à deux extrémités en 1774, et rouverte au public en 1788 ; nous avons dit que le nom du peintre Watteau lui fut donné (1867).
On peut voir encore rue du Banquier, une vieille maison fermière et charretière, aux 13-15, une ancienne propriété particulière d’époque premier Empire : le fond est à usage industriel, reste la porte ornée de piques et de couronnes, attributs militaires sans doute.
Au 23, coin de l'ancienne rue du Petit-Banquier, à présent rue Watteau, s’élève une vieille maison ; au 27, une autre maisonnette rurale. On peut relever, au 29, coin de la rue Rubens (ancienne rue des Vignes), une villa Rubens, bâtie en 1900, bien de son époque et devant Rubens fût tombe raide mort, tout ce qu’il y a rue du Banquier, centre d’industrie automobile.
Dans l’admirable récit de Balzac qu’est le Colonel Chabert, le héros du grand écrivain, le colonel, habite, au faubourg Saint-Marceau, rue du Petit-Banquier, « chez un vieux maréchal des logis de la garde impériale, devenu nourrisseur et nommé Vergniaud ». Et Balzac donne une description de la ferme, au-dessus de laquelle était peinte l’enseigne : Vergniaud, nouriceure. Nous ne passons jamais rue du Banquier sans évoquer la silhouette du colonel Chabert, et sans nous rappeler le court colloque entre Chabert et l’avoué Derville ; l’étonnant génie de Balzac est tout entier dans ces quelques lignes, où il fait surgir un revenant :
— Monsieur, à qui ai-je l’honneur de parler ?
— Au colonel Chabert.
— Celui qui est mort à Eylau ?
— Lui-même.
Balzac a laissé, de la rue du Petit-Banquier, une saisissante description, que l’on peut encore vérifier en présence des quelques masures subsistances. — J. H.