Inauguration du puits artésien de la Butte-aux-Cailles.
Discours de M. Henri Rousselle, conseiller municipal du quartier de la Maison-Blanche
Messieurs,

Mon premier devoir est de remercier M. le ministre des Travaux publics de s'être fait si dignement représenter à cette cérémonie par son chef de cabinet, M. Voguet. Cette tâche m'est particulièrement agréable, car j'entretiens avec M. Voguet depuis de longues années les relations les plus affectueuses. Il vient de me donner une nouvelle preuve de son amitié en rappelant le souvenir de mon père et en le : rattachant à l'œuvre que nous inaugurons aujourd'hui. Je lui en suis profondément reconnaissant.
Malgré son état de santé, le très distingué président du Conseil municipal, le sympathique M. Deville, a eu à cœur de venir; il nous a apporté l'autorité de son talent et les sympathies de l'assemblée qu'il préside; j'ai l'honneur de lui exprimer toute la gratitude des habitants du quartier, je remercie également dans sa personne nos collègues du Conseil municipal qui, en nous accordant les crédits nécessaires, nous ont permis de mener à bien cette entreprise audacieuse que tant de sceptiques avaient jusqu'à ce jour considérée comme irréalisable. (Très bien ! Très bien ! — Vifs applaudissements.)
Cependant, aujourd'hui l’œuvre est exécutée.
M. le Préfet de police, qui a en quelque sorte la garde de l'hygiène de Paris, a tenu à venir en personne saluer la victoire de nos ingénieurs et à s'associer, ainsi que M. Laurent, son secrétaire général, au député de la circonscription, aux quatre conseillers municipaux de l'arrondissement, à sa municipalité, à ses médecins, à sa population tout entière, pour célébrer cette nouvelle conquête dont bénéficieront la santé publique et les travail- leurs. (Applaudissements.)
Le quartier de la Maison-Blanche et l'arrondissement tout entier (mes collègues me permettront d'être leur interprète en cette circonstance) remercient donc tous ceux qui ont pris part à cette fête et en particulier notre cher député M. Buisson, dont l'esprit et le cœur, tout absorbés qu'ils soient par l'étude et la solution des questions d'ordre général, sont néanmoins toujours attentifs aux choses de la circonscription. Je dois même à ce sujet dire aux récompensés du jour qu'il fut auprès des pouvoirs publics l'avocat le plus éloquent de leurs mérites. (Vive approbation et bravos.)
Je ne referai pas l'historique du puits artésien de la Butte-aux-Cailles ; M. le directeur administratif des Travaux, avec sa haute compétence et dans un discours très remarquable, a fait cet historique tout à l'heure, au nom de M. le Préfet de la Seine, qui l'a délégué à cette cérémonie et qui ne pouvait faire un choix qui nous fût plus agréable. (Très bien ! Très bien !) Je le remercie à la fois et de sa présence et de ses paroles éloquentes. Il a rappelé les difficultés sans nombre qu'il a fallu surmonter et qui ont été aplanies grâce aussi au concours technique de nos ingénieurs, MM. Bechmann et Geslain, et surtout grâce à la ténacité, à l'heureuse initiative industrielle de MM. Paulin Arrault et de son successeur M. René Arrault fils.
Je suis d'autant plus heureux d'associer l'œuvre du chef actuel de la maison Arrault à celle de son père qu'elle me rappelle un des souvenirs les plus agréables et j'oserai dire les plus touchants de mes fonctions municipales.
Lorsque M. René Arrault succéda à son père, les difficultés auxquelles je viens de faire allusion étaient telles que l'hésitation était bien permise de la part d'un jeune entrepreneur. J'allai trouver M. René Arrault et je lui dis : « C'est votre père qui avait inspiré au mien confiance dans l'achèvement de l'œuvre entreprise ; il avait en elle cette foi absolue qui permet seule de convaincre ; il ne ménageait pas d'ailleurs, pour la faire partager, ni les paroles, ni les actes ; ne pensez-vous pas qu'il y a là pour vous, son fils, un engagement à tenir et une œuvre à achever ? »
M. René Arrault fut sensible à cette considération sentimentale et il reprit avec entrain et vaillance la tâche commencée ; il a aujourd'hui la satisfaction de la voir terminée. Je suis heureux de lui adresser publiquement « mes plus vives félicitations. (Vifs applaudissements.)
Il me sera bien permis de dire devant vous, mes amis du 13e arrondissement, que, sur ce point spécial comme sur tant d'autres, la tâche entreprise par Ernest Rousselle et dont j'ai accepté de poursuivre l'achèvement reçoit aujourd'hui une solennelle consécration.
Sans doute, ce puits artésien n'est qu'une toute petite partie de ce vaste programme, qui a été entrepris en 1880, qui a été poursuivi sans relâche par la collaboration incessante et de la population de la Maison-Blanche et de ses représentants au Conseil municipal, programme que je me suis engagé moi aussi à continuer, et qui avait pour objet l'amélioration, la transformation, la métamorphose de toute la région. (Applaudissements prolongés.) Cette œuvre, vous me permettrez de le dire, elle est achevée aujourd'hui dans toutes ses parties essentielles.
Les anciens se souviennent de la situation du quartier en 1880, de sa physionomie inculte, de ses marais, de ses chemins informes, de son aspect sauvage et tel qu'on se serait cru dans un coin perdu au fond de quelque province inhabitée.
Aujourd'hui, après une série de travaux successifs, faits sans bruit et sans réclame, mais aussi sans interruption, il ne reste rien de l'ancienne région, ni de ses lacs, ni de ses fossés, ni de ses sentiers rustiques et boueux ; tout a été desséché, assaini, égalisé : nous sommes en présence d'un quartier neuf, aux rues larges et salubres, aux maisons saines et belles, alimenté d'eau de source, parfaitement éclairé, aux communications nombreuses et faciles, sillonné de tramways, et enfin aménagé au point de vue de l'hygiène et des services publics avec l'élégance et le confortable des conceptions les plus modernes. Sans doute il reste encore à faire ; sans. doute le mérite en revient et à mon toujours regretté prédécesseur et à ce noyau de vieux citoyens du quartier qui ont été ses premiers collaborateurs ; quant à moi, je ne revendique d'autre titre que d'avoir continué leur œuvre et d'avoir mis une bonne volonté inlassable et une ténacité irréductible à achever ce qui avait été si bien commencé et par mon père et par vous-mêmes. (Assentiment général et bravos.)
Le puits artésien de la Butte-aux-Cailles lance aujourd'hui, comme une réponse à ceux qui niaient son existence, ses eaux jaillissantes et claires. Mais celles-ci, il s'agissait de les utiliser, et c'est à cela que s'est appliqué celui qui a l'honneur d'être votre mandataire. (Vifs applaudissements.)
Il a pensé que dans notre population de travailleurs, où chacun peine tout le jour, rien ne devait primer les considérations d'hygiène, et surtout le souci des soins de propreté à donner aux enfants, afin non seulement de les entretenir en bonne santé, mais encore de leur faire contracter, dès le jeune âge, ces habitudes salutaires, qui ne les abandonnent plus au cours de leur existence, et qui sont — au milieu des travaux les plus pénibles — comme les auxiliaires et les gardiennes de leur vigueur et de leur santé physique et morale.
Et c'est pourquoi nous avons destiné ces eaux, dont les propriétés thermales ont été scientifiquement reconnues, à l'alimentation d'une vaste piscine mise gratuitement à la disposition des travailleurs.
Je ne terminerai pas sans associer aux collaborateurs que j'ai déjà nommés M. Paul Leroy, le dévoué chef de chantier du puits artésien.
C'est un ouvrier de la première heure, dont le savoir et les qualités professionnelles ont été pour nos ingénieurs un puissant concours.
Parmi les accidents multiples qui ont souvent interrompu ces travaux si complexes, il a montré un sang-froid, une confiance dans le résultat final, une ingéniosité pratique dont il est juste de le remercier en ce jour de fête. Je suis heureux de lui adresser mes félicitations les plus vives pour la distinction si méritée que vient de lui décerner le Gouvernement de la République. Il n'est pas le seul qui ait été méritant, ni le seul qui soit aujourd'hui récompensé. Je félicite également tous ces heureux du jour, et je le fais avec d'autant plus de plaisir qu'il s'agit de récompenses après le travail, et pour ainsi dire de décorations obtenues sur le champ de bataille, car n'est-ce pas une véritable bataille que cette lutte, si longue et si mouvementée, pour une œuvre si difficile ? (Vive approbation.)
Nous avions espéré que cette cérémonie serait l'occasion de reconnaître d'une façon éclatante les éminents services de M. Geslain, ingénieur aussi modeste que distingué de notre service des Eaux. Nous formons le vœu que M. le ministre des Travaux publics veuille bien récompenser comme il le mérite ce serviteur dévoué de la ville de Paris. (Très bien ! Très bien !) J'ai fini. À la place des vieux chantiers du puits artésien, la rue Bobillot, jusqu'à ce jour interrompue, aura bientôt réuni ses deux tronçons ; le square qui existe sur un des côtés aura de l'autre son pendant de verdure et de fleurs, et, pour achever cette métamorphose, j'adresse le plus pressant appel à M. le directeur des Travaux de Paris ; sa diligence nous est connue, il me permettra de compter sur lui. (Applaudissements prolongés.)
Sur le puits artésien de la Butte-aux-Cailles
Les travaux de creusement du puits artésien de la Butte-aux-Cailles durèrent globalement près de 40 ans dont 20 durant lesquels ils furent totalement à l'arrêt. Les travaux proprement dits commencèrent en avril 1863 et rencontrèrent de multiples difficultés qui ne permirent pas d'avancer significativement. La Commune de Paris n'épargna pas le puits et les communards incendièrent les installations. Après la Commune, les travaux reprirent mais s'interrompirent dès 1872 ou 1873 faute pour la ville de trouver un accord financier avec l'entrepreneur pour les travaux restant à accomplir mais aussi dans l'attente des résultats définitifs du creusement d'un autre puits artésien, place Hébert.
Première époque (1863-1872)
- Des nouvelle du puits artésien de la Butte-aux-Cailles (Le Siècle - 26 avril 1864)
- Le puits artésien de la Butte aux Cailles (Le Siècle - 27 aout 1865)
- Le puits artésien de la Butte aux Cailles (Le Journal des débats politiques et littéraires ― 18 septembre 1868)
Deuxième époque : le puits oublié (1872-1892)
Une fois les travaux interrompu, le puits artésien de la Butte-aux-Cailles tombe dans l'oubli.
Il faut dire que sa nécessité n'est plus évidente. Paris avait fait face à ses besoins en eaux et l'idée de base du
puits, avoir un jaillissement d'eau en un point haut de la capitale, n'est plus la seule réponse aux problèmes d'alimentation
en eau.
En 1889, le journal Le Figaro pose la question du devenir du puits sans susciter d'écho. En janvier 1892, c'est
le quotidien le Soleil, sous la signature de Marcel Briard, qui pose à nouveau la question mais cette fois,
une réaction semble s'enclencher.
Ernest Rousselle, conseiller municipal du quartier Maison-Blanche, se saisit de l'affaire et finallement, en juillet
1892, le préfet de la Seine décide de relancer les travaux et présente au conseil municipal de Paris un mémoire tendant
à la reprise des travaux interrompus depuis près de 20 ans.
- Le puits artésien de la Butte aux Cailles (Le Figaro - 12 septembre 1889)
- Le puits de la Butte aux Cailles (Le Soleil - 8 janvier 1892)
Troisième époque : reprise des travaux et l'inauguration du puits (1893-1904)
Les travaux reprirent donc début 1893 et dans les premiers jours d'août 1897, l'eau tant recherchée,
enfin, jaillit. Cependant, l'histoire n'était pas terminée car ce n'est pas encore la nappe d'eau visée par les géologues
qui a été atteinte. Il faut encore creuser. La presse se montre de plus en plus critique ou sacarstique à l'égard du
chantier car il est clair que le puits artésien, 35 ans après son lancement, ne répond plus à aucune nécessité. Tout
au plus, sont évoqués un usage pour améliorer le flux des égouts voire l'idée d'une piscine gratuite pour les habitants
du quartier.
Le 16 septembre 1898, la nappe recherchée est atteinte. Les espoirs sont vite déçus, le débit s'avère faible mais suffisant
pour la piscine projetée. En attendant, l'eau, à 28°, s'écoulait dans une vasque à disposition des parisiens à raison
de 600 litres à la minute avant d'aller se perdre dans les égouts. Le puisatier mourut. Deux ans après, sous la direction
du fils du puisatier, on se remit à creuser. Le 19 novembre 1903, une nouvelle nappe était atteinte à la cote 582,40
mètres. Cette fois, on décida d'arrêter les frais. L'inauguration officielle du puits eu lieu le jeudi 7 avril 1904
à 2 heures.
- Reprise des travaux à la Butte-aux-Cailles (Le Soleil - 19 janvier 1893)
- Un travail cyclopéen (Le Soleil - 27 janvier 1896)
- Le puits artésien de la Butte aux Cailles (Le Temps - 11 août 1897)
- Un travail cyclopéen (2) (Le Soleil - 24 août 1897)
- 1898, les travaux ne sont toujours pas terminés (Le Monde illustré – 1er octobre 1898)
- Le puits artésien de la Butte aux Cailles (Le Petit-Parisien - 22 octobre 1898)
- Pour prendre un bain (Le Temps - 24 juillet 1901)
- Un puits artésien (Le Français — 24 septembre 1902)
- Les eaux thermales de la Butte-aux-Cailles. (La Presse — 23 novembre 1903)
- Le puits artésien de la Butte aux Cailles (Le Petit-Journal - 22 décembre 1903)
- Inauguration - Discours de M. de Pontich, directeur administratif des Travaux de Paris, représentant le préfet de la Seine
- Inauguration - Discours de M. Henri Rousselle, conseiller municipal du quartier de la Maison-Blanche
- A propos de l'inauguration du puits artésien de la Butte-aux-Cailles (Le Voleur — 24 avril 1904)