A bas les taudis !
Promenade à travers le 13e arrondissement
par Charles
FRAVAL.
L’ère nouvelle — 2 février 1926
Peut-on appeler une promenade, la visite que je fis, hier, aux nécessiteux du treizième, en compagnie de mon ami Paul Dobelle, administrateur du bureau de bienfaisance de l’arrondissement et secrétaire général de la Fédération de la Libre-Pensée, par-dessus le marché.
Non. Car cette course, par un jour gris, dans des rues boueuses, semée d’arrêts dans des maisons sales et puantes, n’avait rien de reposant, ni d’agréable.
Suivez, comme nous, les rues Nationale, Jeanne-d’Arc, Campo-Formio, Louis-Français, Esquirol, Baudricourt, traversez la Cité Doré, le passage Grouin, l’impasse des Hautes-Formes et de temps en temps, arrêtez-vous devant un immeuble — il y en a des centaines — dont le visage triste et malpropre vous frappe. Pénétrez, escaladez les marches vermoulues, poussez les portes branlantes, interrogez les habitants. Au bout de quelques instants vous suffoquerez et vous vous éloignerez rapidement, heureux de vous retrouver à l’air libre et au jour, même s’il est pâle et sans soleil.
Voici d’abord, de part et d'autre de la rue Esquirol, une série de maisons d’habitation dont la plupart appartiennent à la Ville de Paris et sont destinées à être démolies lors du prolongement de la rue Jeanne-d'Arc. En attendant ce jour souhaité, mais lointain, des ménages d’ouvriers ont trouvé là un abri précaire contre le froid et la pluie.
Pénétrons dans l’une de ces maisons. Un escalier extérieur mène à une galerie, extérieure elle aussi, qui fait le tour de la cour. Sur cette galerie donnent des fenêtres et des portes. Nous heurtons à l’une de ces portes. Une femme d'une cinquantaine d'années vient nous ouvrir et la conversation s'engage.
Nous apprenons qu'elle attend toujours les secours promis par l'Assistance. En attendant ils vivent à six dans deux pièces étroites. Il y a des enfants. L'un a la variole, l'autre est fiévreux. Un troisième est mort au début de l'hiver, à l’hôpital.
Loyer : trente francs par mois, mais l’eau et les closets dans la cour. Il faut chauffer avec un poêle à charbon de bois qui consomme beaucoup et qui fuit.
Voici une autre famille. Le père, poitrinaire, travaille avec sa femme pour subvenir à leurs besoins et à ceux des trois enfants. Ces derniers, deux, trois et quatre ans, restent seuls toute la journée. Aujourd’hui, ils sont tous trois couchés, atteints par la variole. Une voisine charitable les soigne.
Un autre immeuble, rue de Campo-Formio. La concierge qui nous le fait visiter a eu dix-sept enfants. Cinq sont morts. Onze autres sont mariés et au loin. Un seul, un gamin de quinze ans, est resté. Il travaille chez un commerçant et gagne cinq francs par jour. La vieille femme n’a pas d’autres ressources. Elle a un mot plein de philosophie :
— On est pauvre, voilà.
Et dans son voilà, elle met toute sa résignation et toute sa tragique impuissance.
En voici une autre. Il y a vingt ans, son visage était frais et gai. Elle rayonnait de joie et de santé. Un homme passa qui l'aima six ans durant et l’abandonna.
Elle a eu cinq enfants. Trois sont mariés. Un autre s’est engagé. Il lui reste une fille de dix-huit ans, qui travaille chez un fabricant d’articles de Paris, boulevard du Temple. Elle, encore valide, bricole. Dans dix ans, ce sera la vieillesse et l’impuissance cruelles aux pauvres gens. Ce sera l’Assistance publique et l’asile, prison des vieux qui n’ont pas fait fortune !...

CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet
Enfin, voici l’impasse des Hautes-Formes.
Un relent de pourriture et de mort flotte dans l’air. L’impasse qui fut pavée jadis est au jourd’hui pleine de crevasses, d’eau fétide et de boue. De chaque côté des masures sordides de un et deux étages. Partout des logements étroits et infects où des familles entières habitent dans la pourriture. Partout des tuberculeux et des enfants malades.
Ici, comme dans les rues Nationale, Jeanne-d'Arc et autres la tuberculose est souveraine, et la mortalité effrayante.
II faut aller au secours de ces gens qui meurent peu à peu. Il faut que les pouvoirs publics entendent l'appel que lancent les gens de cœur pour ces malheureuses épaves de la vie. Mais voudront-ils l'entendre ?