La Bièvre et la Fête des Fraises
Le Petit Journal — 27 juin 1926
Le soleil s'étant mis de la partie, la fête des fraises fut des plus réussies, dimanche dernier, à Bièvres. Oh ! évidemment, elle ne fit pas tort au grand Steeple. Il y avait moins de monde sous les marronniers de la Place de la Mairie, devant des paniers rouges de fruits, qu'au pesage d'Auteuil, devant les tribunes, mais on y respirait un peu moins de poussière, et les costumes du cortège de la délicieuse Reine des Fraises, était tout aussi chatoyant à l'œil, que les toilettes de certaines de nos élégantes.
Si le cadre était plus simple, il n'en était pas moins joli, et la fraîcheur des fleurs se communiquait à l'entourage.
Ce n'était pas seulement la fête des fruits savoureux de l'Ile-de-France, c'était aussi la fête de la jeunesse... une jeunesse qui voulait faire revivre le passé. Car il y a bientôt un demi-siècle que la petite ville de Bièvres a perdu le souvenir de sa foire traditionnelle. En ce temps-là, le Parisien se contentait de parcourir la charmante petite vallée chantée par. Huysmans « Pour passer un bon dimanche ». Arcueil, Antony, Jouy, suffisaient à ses promenades. Aujourd'hui, il se doit à lui-même d'aller déjeuner à 50 ou 100 kilomètres de Paris, au moins, s'il veut s'amuser suivant la mode de son temps. Il faut bien sortir l'auto. !
Aussi ne va-t-on plus voir le vallon de Bièvre, les trois fontaines qui donnent naissance à cette rivière qui commence si bien et qui finit si mal.
Elles sont pourtant jolies toutes ces petites sources qui alimentent le cours d'eau limpide... et potable, à son début, dans la riante prairie si proche de Versailles.
On n'a plus le souvenir des petits coins ombragés, à l'endroit le plus large de la rivière... quatre mètres, s'il vous plait ! Non ! La campagne, si justifiée des hygiénistes contre les eaux malodorantes et pestilentielles de la Bièvre, dans la traversée de Paris, a tué le souvenir même de la poésie de sa naissance.

Oh ! évidemment, nous ne pourrons plus suivre le cours d'eau, refaire le bon voyage de nos aïeux à travers la rue Barrault, toute bordée de jardinets, la rue du Pot-au-Lait, les ruelles des Peupliers, et de la Fontaine-à-Mulard !
La Bièvre est morte à cet endroit, pour le grand bien des riverains. Coupés les saules, évanouies les floraisons de jardinets, envolées les lavandières ; la rivière des Gobelins, lasse, putride, accaparée par les industriels, a fait place à un égout, un vilain égout caché aux regards des citadins.
Il nous reste les eaux-fortes, les lithographies de Schrœder, de Deroy, de Léon-Jacques, de Raffaëlli, pour nous souvenir des haillons, des bâtis ses, des cuves, des peaux de mégissiers, dans ce coin si cher aux teinturiers... et aux chiffonniers.
Mais il ne nous reste pas grand-chose pour nous rappeler la Bièvre vive, la Bièvre morte, les moulins de Croulebarbe, Saint-Marcel-des-Prés, les féculeries, les lavoirs, la maison de la reine Blanche, et les inondations causées par ce cours d'eau pour lequel nous n’avons que dégoût et mépris.
Il nous reste toutefois la Bièvre extra-muros, mais nous ne paraissons guère nous en souvenir. C’est peut-être un tort. Aussi nous félicitons les organisateurs de la fête de dimanche dernier d’avoir appelé l’attention des Parisiens sur cette toute proche vallée si riche encore en souvenirs.
Gustave Dallier.
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