La rue des Peupliers
vue par Jules Mary (1908)
Extrait de "Perdues dans Paris"
Un
des coins de Paris, misérable et sinistre. La longée des fortifications plantées
d'arbres en double ou triple rangée, le côtoie pourtant de verdures plaisantes
durant la belle saison, mais, en réalité, sépare pour ainsi dire cette région
parisienne du reste du monde. Du haut de la rue des Peupliers ― qui n'est
pas une rue mais un simple tracé d'une voie que ne borde aucune habitation digne
de ce nom ― regardez vers les fortifications et vous apercevrez en face de vous,
à droite et à gauche, un chaos de misérables taudis et de cabanes en planches,
de maisonnettes à demi ruinées, bâties au hasard, jamais achevées, ouvertes
à tous les vents, carreaux brisés ou fenêtres défoncées, vestiges d'une ville,
qu'un fléau vient de ravager. En quelques enfoncements de terrains, cachées
derrière des palissades, des voitures de pauvres forains, toutes petites et
se faisant très humbles, pour échapper au regard des hommes, de ces voitures
comme vous en voyez par les routes, traînées par un cheval étique et poussif,
ou par un âne aux bons yeux de résignation philosophique... le plus souvent
par le mâle ou la femelle dont c'est la demeure, pendant que trottent, tout
autour, des enfants pieds nus, jambes nues, et que, sur quelque paillasse à
l'intérieur, d'autres enfants gémissent. Que font-ils là, derrière ces palissades,
les habitants de ces voitures ? On ne le sait. D'où viennent-ils ? Comment y
vit-on ? De quels expédients et de quels profits ? On ne l'a jamais su. Autant
de problèmes de la misère, du malheur, aussi bien que de la paresse et du vagabondage.
Tout ce coin de la grande ville disparaîtra quelque jour, remplacé par les confortables
maisons modernes (*), mais, en ce moment encore, il apparaît
comme une lèpre qui ronge Paris, à deux pas des élégances bien peignées du parc
de Montsouris, en face des boulevards solitaires taillés dans le glacis des
fortifs, fermé par la poterne des Peupliers et la porte de Bicêtre, animé seulement
par quelques chantiers de charpentes, par des guinguettes en planches peintes
en rouge, établissements de hasard, cantines d'ouvriers des chantiers. Ceux
qui achèvent le percement de la rue ont adopté le Repos de la Montagne, enseigne
affriolante d'une auberge étrange, invraisemblable, haute de deux mètres, et
large de cinq ou six... perchée sur un talus... Le long de toutes ces choses,
aux fenêtres, sur les palissadés, par terre, sur les voitures, sur les démolitions,
s'épandent des linges de toutes les couleurs, lessives à l'essorage.
C'est dans ce quartier, où nous avons déjà conduit nos lecteurs, que l'auto de Dédé venait de déposer les Sambut emportant Modeste comme une proie…
Dans ce quartier que domine là-haut, hors des murs, en un appel sinistre, l'hospice formidable de Bicêtre, refuge de vieillards il est vrai, mais asile des insensés et des enfants idiots, cage grillée des fous furieux et des alcooliques…

(*) Voir : Inauguration d'habitations à bon marché dans le XIIIè arrondissement (1933)