La Peste
La Lanterne — 6 septembre 1890
Quinze enfants morts en quelques jours
La Butte aux, cochons. — Un cimetière en plein vent. — Tombereaux
chargés d'ossements.
— Un quartier dans la désolation.
La Bièvre est un ruisseau tout noir
Qui sent comme un goût d'urinoir…
chantait ce pauvre Rivoire, qui chantait si lugubrement la triste épopée
d'un grelotteux de la Glacière.
La Bièvre est depuis plusieurs années, reléguée sous terre : elle circule
en de tristes canaux souterrains et n'arrose plus dans Paris, que les peaux
encore puantes que lavent les mégissiers de la ruelle des Gobelins en ses eaux
multicolores, ici blanches et écumeuses, plus loin rouges et vineuses, ou violettes
ou noires.
Et l'on comble sa vallée si pittoresque ; on réunit les unes aux autres les
buttes et les monticules qui bordaient la rivière.
D'immenses travaux de nivellement Sont entrepris entre la Butte-aux-Cailles
et la Butte-aux-Cochons. Mais savez-vous de quels débris, de quels décombres
on emplit la vallée de la-Bièvre ?
Un charnier
Hier, une lettre d'un correspondant nous informait qu'une maladie épidémique
s'était déclarée, à la Butte-aux-Cailles, à la suite d'exhalaisons pestilentielles,
et qu'il avait perdu deux enfants en moins de huit jours.
Nous nous sommes rendus dans cet étrange coin du vieux Paris, que décrivit
si poétiquement Huysmans dans ses « vieux quartiers de Paris ».
Nous voici dans la rue du Moulin des Prés. Au niveau du pont de Tolbiac,
voici tout à coup la rue qui s'éboule, qui s'effondre en un terrain immonde,
où poussent quelques touffes d'herbes jaunes, et qu'entourent de misérables
maisons.
C'est la plaine de la Bièvre. Des terrassiers déchargent des tombereaux.
Des lourds véhicules s'écroulent des amoncellements d'ossements jaunis, de fémurs,
de tibias, de vertèbres et de crânes.
La plaine est couverte, en tous points, de ces ossements humains ; et les
petits enfants courent, s'amusent dans ce vaste square, où les fleurs sont remplacées
par des débris de squelettes.
Le mal
Mais les émanations qui s'exhalent de la plaine sont mortelles à ces petits
êtres. Quinze enfants sont morts, atteints par un mal inconnu implacable.
Certaines familles ont été terriblement éprouvées : elles ont perdu coup
sur coup deux enfants.
Nous citerons des noms, au hasard, pour prouver la véracité de notre récit.
Mmes Lecomte, Dalezenne, Pouin, demeurant 46, 48 et 50, rue du Moulin-des-Près,
pleurent, chacune, deux petits morts en moins de deux semaines.
La maladie qui frappe les pauvres petits n'est cataloguée dans aucune pathologie.
Les médecins qui soignent les malades sont stupéfaits. L'épidémie présente les
symptômes du choléra, de la variole, du croup tout à la fois.
En deux jours, le mal accomplit son œuvre : ses progrès sont terribles, la
fatale terminaison inévitable.
Un habitant du quartier, qui a certaines notions d'histoire naturelle, a
recueilli une centaine de mouches charbonneuses, à tête rouge, dans la plaine
de la Bièvre. Il les a conservées dans un flacon :
— Ce sont, dit-il, mes pièces à conviction.
Réclamations inutiles
Quand on commença à décharger ces tombereaux d'ossements, presque à leurs
portes, les habitants de la rue du Moulin-des-Prés protestèrent.
Ils adressèrent au préfet de la Seine une pétition ; mais on ne répondit
pas à leurs plaintes. Les décharges continuèrent.
Quand survinrent les premiers décès causés par les émanations cadavéreuses,
les habitants firent faire, par ministère d'huissier, signification au préfet
de la Seine de cesser ces déchargements de squelettes sur la plaine.
On envoya alors deux balayeuses pendant deux jours dans la rue.
Mais on ne prit pas même les plus élémentaires précautions de désinfection.
On ne répandit sur les terrains voisins ni acide phénique, ni chlorure de chaux.
Et c'est en vain que chaque jour ces pauvres gens désolés ont cherché quelque
secours à l'Hôtel de Ville, on les a renvoyés de bureaux en bureaux. Les conducteurs
de la voirie ont reçu, avec leur aménité bien connue, leurs récriminations,
ni justes, ni légitimes !
Un bûcher
Tous les matins, à huit heures, les terrassiers allument dans la plaine un
immense bûcher sur lequel on brûle les débris de cercueils qui contiennent les
squelettes et des parties de cadavres qui sont demeurées intactes dans la terre.
À midi, hier, cet horrible bûcher flambait encore. Une fumée âcre, épaisse,
emplissait l'atmosphère de miasmes putrides.
Pour entretenir le feu, les hommes jetaient de pleins vases de goudron sur
les crânes et les tibias.
Nous avons vu parmi les horribles débris recueillis sur le charnier une tête
d'enfant, récemment ouverte, pleine encore d'une bouillie noire, qui est la
cervelle, les cheveux adhéraient encore au crâne !
— Monsieur, monsieur, nous criaient hier ces pauvres gens, si la presse ne
nous défend pas, nous pourrirons tous dans ce trou !
Le 13 septembre, le Matin et le Temps publiaient ce petit
texte sans aucun commentaire.
Rumeurs exagérées
Le Matin — 13 septembre 1890
L’Administration communique aux journaux la note suivante relative à la pseudo-épidémie
de fièvre infectieuse qui se serait déclarée, ces temps derniers, dans les quartiers
de la Glacière et de la Maison-Blanche.
« De l'enquête ordonnée par le préfet de la Seine, au sujet des faits qui
se seraient produits dans le quartier de la Glacière, il résulte qu'eu effet
des terres contenant quelques débris il ossements ont été déchargées dans un
terrain de la rue de Tolbiac, par suite d'un triage insuffisant au moment du
chargement du boulevard Saint-Marcel.
» Contrairement à ce qu'on a annoncé, on n'a brûlé aucun débris provenant
des sépultures. Les matières brûlées consistaient en vieux papiers, débris de
toitures, etc.
« Enfin, aucune maladie épidémique causée par les travaux n'existe dans
le quartier. On n'a constaté qu'un seul décès, du 1er août au 7 septembre, dans
la rue du Moulin-des-Prés. »
A lire également
La Butte aux Cailles
(1877)
La Lanterne du 19 juillet
1890
L'épidémie de la Maison-Blanche
(Le Figaro - 7 septembre 1890)
L'épidémie de la Maison-Blanche
(Le Matin - 7 septembre 1890)
La réponse de la Lanterne - 14 septembre 1890
Vu dans la presse...
1859
Décidément, la ville de Paris n'aura pas de treizième arrondissement.
Hélas ! ce treizième arrondissement, il est partout, et on n'en veut nulle part. (1859)
1872
Dans le quartier de la Butte-aux-Cailles s'est installé un impresario qui cultive une spécialité plus que bizarre. Il a centralisé là toutes les monstruosités capables d'attendrir le passant. (1872)
1928
Sous la ligne aérienne du métro dont la longue perspective s'étend à l'infini, le boulevard de la Gare monte doucement vers la place d'Italie. À droite et à gauche, des maisons basses s'alignent, coupées par de petites rues pavées, à l'angle desquelles sont nichés de ridicules et ternes jardinets. Çà et là un immeuble neuf qui usurpe des allures de building, un magasin dont l'étalage déborde le trottoir, des bars, des hôtels, des restaurants, puis encore, sur la gauche, le cube uniforme et sans fantaisie de la raffinerie Say. (1928)
1930
Entre Belleville et la Seine, c'est la zone des sifflets désespérés. Si les « Circulaires » qui vont leur petit bonhomme de route ne s’inquiètent guère du parcours à horaires fixes, les autres trains, messageries, rapides et autres, ont sans cesse besoin de demander leur route aux distributeurs de voie libre.
Cris brefs qui courent tout au long de cette frontière illusoire de Paris, cris impatients de ceux qui ne peuvent attendre ou qui s’étonnent des disques et des feux rouges. (1930)
1906
La nouvelle-section du Métropolitain, allant de Passy à la place d'Italie (ligne Circulaire-Sud), dont nous avons donné, il y a quelques jours, une description détaillée, a été ouverte, hier après-midi, au service public. Pendant toute la durée de l'après-midi, les voyageurs et les curieux se sont, pressés dans les diverses gares du parcours... (1906)
1885
Le 13e arrondissement a déjà été l’objet de travaux importants qui ont commencé à assainir le quartier de la Butte aux Cailles. Pour compléter, il faut faire disparaître l'ancien marais de la Glacière, couvrir la Bièvre et ouvrir une communication entre la place d’Italie et la nouvelle gare de marchandises de Gentilly sur le chemin de fer de Ceinture, (1885)
1913
En 1913, un groupe de gardiens de la paix du commissariat de la rue Rubens protestait, par voie de presse contre l'organisation de leur service. (1913)
1898
Quelle humiliation pour cette pauvre Bièvre ! Une rivière aux eaux pures et claires vient de jaillir des profondeurs de l'écorce terrestre, dans le quartier même par lequel l'antique cours d'eau qui jadis arrêta les légions de Labiénus et qui n'est plus qu'un noir égout, pénètre dans Paris. (1898)
1903
Les Parisiens ayant trouvé que le mot Métropolitain était beaucoup trop long pour désigner un moyen de locomotion des plus rapides, ils ont depuis longtemps supprimé trois syllabes.
Ce n'est pas là seulement une abréviation populaire ; elle est entrée dans le langage courant ; son usage est devenu général.
Donc, on ne dit plus que : le Métro ; et on s'intéresse très vivement à tout ce qui concerne le Métro... (1903)
1906
Le chemin de fer de Ceinture, presque constamment en tranchée ou souterrains sur la rive gauche de la Seine, offre cependant une agréable éclaircie. C'est lorsqu'il franchit la vallée de la Bièvre. À gauche, du côté de Paris, s'aperçoivent au loin les principaux monuments de la région Sud : l'Observatoire, le Val-de-Grâce, le Panthéon, et plus près, le pittoresque fouillis de la Butte-aux-Cailles et sa jeune église Sainte-Anne ; de l'autre côté, sur la hauteur, la sombre architecture du château de Bicêtre dominant la vallée que l'on devine derrière les fortifications, au niveau desquelles apparaît seulement le coq d'un clocher, qui est le clocher de Gentilly. (1906)
1874
L'Œuvre des pauvres malades dans les faubourgs commençait, en décembre 1873, par la visite de douze malades à Belleville. Depuis lors, elle s'est graduellement étendue aux quartiers de la Butte-aux-Cailles, de la Tombe-Issoire, de la Glacière, de Montmartre, de Clignancourt et, en dernier lieu, de Plaisance.
Cette simple énumération qui donne les parties les plus déshéritées de Paris pour champ de bataille aux courageuses missionnaires de cette œuvre de dévouement, est d'une éloquence qui dispense de tout commentaire. (1874)
1877
La nouvelle prison Saint-Lazare sera élevée dans le 13e arrondissement, sur un emplacement presque double de celui qu’elle occupe actuellement et qui est délimité par la rue de Tolbiac (qu’on perce en ce moment), la rue Nationale, le chemin de fer de ceinture et une voie projetée aboutissant à l’avenue d’Ivry. (1877)
Ailleurs sur Paris-Treizieme
La nouvelle-section du Métropolitain, allant de Passy à la place d'Italie (ligne Circulaire-Sud), dont nous avons donné, il y a quelques jours, une description détaillée, a été ouverte, hier après-midi, au service public. Pendant toute la durée de l'après-midi, les voyageurs et les curieux se sont, pressés dans les diverses gares du parcours... (1906)
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Entre la rue Nationale et la rue Jeanne-d'Arc, dans le quartier de la Gare, serpente un passage qui coupe la cité Jeanne-d'Arc. De chaque côté sont de hautes maisons, aux étages bas, aux fenêtres étroites, où grouille une population de chiffonniers, de mendiants, de gens sans aveu.
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Dans un des coins les moins connus de Paris, dans une rues les moins fréquentées, du quartier de la Maison-Blanche, la rue de la Colonie, habite, au n°20, un nommé Pierre V...
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« Les œufs, les beaux œufs de Pâques », criait, hier, vers onze heures et demie, d'une voix tonitruante et qui remplissait l'avenue d'Italie, un marchand ambulant. Il poussait devant lui une petite voiture, où reposaient sur un lit de mousse des œufs de Pâques de toutes les dimensions, les uns, en sucre, tout blancs, les autres, en chocolat, d'un brun foncé le plus appétissant du monde.
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Jean Rousseau, dit « Guibollard », dix-neuf ans, et Lucien Fraisier, dit le « Petit-Rat », seize ans, avaient résolu d'offrir à leurs amis de la poterne des Peupliers un repas à l'instar de ceux que s'offrent les bourgeois.
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Les Parisiens ayant trouvé que le mot Métropolitain était beaucoup trop long pour désigner un moyen de locomotion des plus rapides, ils ont depuis longtemps supprimé trois syllabes.
Ce n'est pas là seulement une abréviation populaire ; elle est entrée dans le langage courant ; son usage est devenu général.
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À l'extrémité de la rue de Tolbiac, entre les chantiers de la Compagnie du gaz et l'église Sainte-Anne de Paris, se trouvent d'immenses terrains vagues, parsemés de tessons, d'orties, parfois aussi de passeroses et de mauves sauvages, où se dressent, d'ici, de là, de petites guinguettes, derniers vestiges d'une époque où la butte aux Cailles était un rendez-vous de promenade pour les Parisiens du temps de Louis-Philippe. Au n° 178 se trouve une de ces antiques guinguettes...
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