Le Paris vivant
Les quartiers qui changent de visage
Une promenade à l’ancienne Butte-aux-Cailles
L'Intransigeant — 16 novembre 1923
Ce serait un petit concours à ouvrir : « Quel est le quartier de Paris, qui a le plus changé depuis quinze ans ? » Et il y a gros à parier que le quartier de la Glacière, alias de la Butte-aux-Cailles, se rangerait dans le peloton de tête.
Y a-t-il longtemps que vous avez été Place Verlaine ou Place des Peupliers, notamment ? Vous ne les reconnaîtriez plus.
Place Verlaine : où il y avait un immense bas-fond, où se produisit l’explosion de grenades (dite de la rue de Tolbiac) qui fit 47 morts, on finit d’édifier une énorme piscine d’aspect ultra-moderne ; et, tout autour d’elle, on a comblé l’excavation, en attendant que l’on prolonge la rue du Moulinet.
Place des Peupliers, c’est une levée de petites villas, construites en série, sur deux ou trois modèles prévoyant un garage pour auto.

Or, la plupart des constructions neuves de ce quartier (maisons de rapport, dispensaires, etc.) appartiennent à la Ville ou à l’Assistance publique. Et ce fait, si visible, en particulier rue du Moulin-des- Prés, ne sera nulle part plus sensible que rue de la Fontaine-à-Mulard, du moins dans la partie de cette rue qui va de la rue de la Colonie à la place de Rungis.

Une rue ? Une ruelle, tout au plus. Une ruelle qui escalade puis dégringole un coteau, lequel dominait la feue Bièvre. Une ruelle bien pauvre, au bas de laquelle on voit encore les restes de la modeste fontaine à Mulard.

Non seulement cette fontaine va disparaître, mais la voie à laquelle elle a donné son nom. Car, pour une rue, n’est-ce pas disparaître que de changer au point où celle-ci va changer ? On va jeter bas les maisons. On va supprimer les jardinets, frères de ceux que l’on trouve au fond des fortifs. On va élargir, élargir et redresser. On a même commencé de construire de luxueux immeubles à loyer moyen qui, eux aussi, seront la propriété de la Ville.
De la Ville... Ainsi, dans l’autre monde, le brave, M. Mulard dont la fontaine approvisionnait en eau tout le voisinage, aura-t-il la consolation de voir que lion conserve dans-sa rue, comme dans son quartier, le sens de la propriété collective.
C’est la renaissance des biens communaux. Le quartier de la Glacière est devenu le quartier municipalisé, voire municipal par excellence. La fontaine à Mulard pourra lui servir d’emblème.
André LAPHIN
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