Les vestiges pittoresques du passé de la Butte-aux-Cailles aux Gobelins - 1933
Les vestiges pittoresques du passé de la Butte-aux-Cailles aux Gobelins
Le Journal ― 20 octobre 1931
Le préfet de police étudie actuellement un certain nombre de mesures pour
faciliter la surveillance de certains quartiers du 13e arrondissement, notamment
les abords de la cour des Artistes, où, il y a un mois, tombait, victime du
devoir, l'agent Verjus dont le meurtrier comparaissait, hier, en correctionnelle
pour agression nocturne. La cour des Artistes fait partie d'un de ces îlots
qui se différencient profondément des quartiers évolués qui les enserrent. Certains
coins même ont un aspect tout à fait provincial et sont plus pittoresques que
sinistres.
Il suffirait, semble-t-il, d'intensifier l'éclairage pour que le promeneur,
le soir venu, se sente parfaitement en sécurité dans ce labyrinthe de ruelles
étroites qui, autour de deux voies larges et longues, les rues de la Butte-aux-Cailles
et des Cinq-Diamants, épousent les mouvements et les ondulations d'un sol accidenté.
Ces ruelles, où survit un passé long à mourir, serpentent, se croisent et
s'enchevêtrent. Là, tous les bruits s'étouffent, le pouls de la vie bat au ralenti.
Onze heures du matin. Des gamins, tels que les aime Poulbot, jouent sur le trottoir.
Une fillette passe, portant dans ses bras une miche énorme, comme un trésor.
Un homme sandwich déambule, perdu dans un pardessus trop ample, coiffé d'un
gibus. Au fond d'un bistrot minuscule, sanglote une rengaine mécanique. Silence
de petite ville. Une ménagère balaie le trottoir; une scie grinçante découpe
des billots dans l'ombre d'un atelier. Pas de grands magasins, petites échoppes,
petites bicoques. C'est vieillot toujours, trop souvent délabré. Des passages
dégringolent, bordés de maisons aux façades noires et usées.
Ici et là, des lambeaux de jardinets avec des arbres nains. On voit bien
que tout le monde se connaît, que le voisin n'ignore pas le voisin. C'est la
Butte-aux-Cailles ! Qu'on descende, rue Jouas, cet escalier de pierre aux marches
inégales, encaissé entre des palissades où viennent buter des baraques, où s'arcboutent
des arbres aux troncs tordus, emmitouflés d'un vert feuillage, et l'on arrive,
boulevard Auguste-Blanqui, aéré, moderne, semblable à ceux qui convergent vers
la vaste place d'Italie, les boulevards de l'Hôpital et de la Gare, semblables
à ces avenues lumineuses, charriant des foules actives comme un sang chaud et
ardent, les avenues de Choisy, d'Italie et des Gobelins.
La Butte-aux-Cailles ! Elle forme, dans un arrondissement que des transformations
successives ont disloqué, une enclave immobile, peuplée presque uniquement,
maintenant, de braves gens laborieux et paisibles, dans un territoire où s'effacent
peu à peu les traces du passé. Songez-qu'on a retrouvé, dans ce sous-sol du
13e, lors des fouilles faites en 1880, au fond d'une des galeries souterraines
dont il est sillonné, une trousse de médecin romain et dans les carrières proches
des Gobelins, les tombes chrétiennes les plus vieilles.
* * *
Le XIIIe arrondissement a une histoire particulièrement riche et il
est jalonné de souvenirs historiques dont il reste encore de nombreux vestiges.
Ce
n'est point seulement sa physionomie, son relief même qui ont changé, mais aussi
sa population. Celle-ci, si l'on en croit les chroniqueurs, était, jadis, turbulente
et agitée, pauvre et indisciplinable. Il n'y a pas si longtemps encore ― au
début de ce siècle ― et beaucoup de Parisiens s'en souviennent ―? le quartier
qui s'étend au delà de la barrière d'Italie passait pour mal famé. Apaches et
voyous descendaient volontiers des hauteurs de Montmartre et s'y donnaient rendez-vous.
rendez-vous. vous dévalisait et vous assommait sans bruit, à la mode du père
François.
Tout cela n'est plus aujourd'hui que chronique ancienne. Les années ont passé,
chassant une pègre qui, d'ailleurs, a évolué, modelant et façonnant, jetant
à bas des masures pour édifier des immeubles, ouvrant des voies spacieuses,
n'épargnant que des constructions de style et certains fiefs où persiste un
pittoresque évocateur d'une vie locale intense. Ces noms de rues désuets
et charmants ne sonnent-ils pas agréablement à vos oreilles ? Les uns emprisonnent
des souvenirs champêtres : rues du Moulin-de-la-Pointe, du Moulinet, du Moulin-des-Prés,
celle-ci devenue aujourd'hui la prosaïque rue du Banquier. D'autres sont d'un
archaïsme savoureux comme les rues Croulebarbe, des Marmousets et des Reculettes.
C'est entre les rues des Marmousets et Croulebarbe que s'insinue la
ruelle des Gobelins, dont J.-K. Huysmans disait qu'elle est « le plus surprenant
coin que le Paris contemporain recèle » De fait, quand on y pénètre on se croirait
revenu à plusieurs siècles en arrière. Là se trouve l'Ile-des-Singes ― où bien
peu de chauffeurs de taxi savent vous conduire ― décor étonnant qu'on croirait
sorti de l'imagination d'un de nos modernes metteurs en scène de cinéma. Sur
la plate-forme d'un terrain, défoncé au premier plan, s'élèvent des bâtisses
de bois noir et, par contraste, une maison aux murs rougeâtres. Dans cette ruelle
se cache le pavillon de Julienne, où Watteau aimait à venir, et, malgré les
blessures du temps, d'un art architectural exquis.
Ce n'est point le seul trésor de ces lieux ignorés des touristes. Dans la
rue Duméril se détache un antique rendez-vous de chasse de François Ier et dans
la rue des Gobelins l'élégante maison de la reine Blanche, qui sert aujourd'hui
d'entrepôt à un marchand de cuirs et qui vit se dérouler entre ses murs cette
tragédie que fut le bal des Ardents : des seigneurs costumés en sauvages, enduits
de poix et flambant pendant un bal comme des torches, sous les yeux affolés
de Charles VI. Et puis, voici les tanneries, les peausseries, où, depuis que
le teinturier Jehan Gobelin vint s'installer sur les bords de la Bièvre, tournent
les machines qui broient les peaux.
Marchons un peu et, brusquement, le tumulte des rues animées nous frappe
à nouveau. Cependant, nous avons encore à faire une petite station dans la cité
Jeanne-d'Arc. C'est, entre deux rangées de hautes façades lépreuses, une cour
qui s'étrangle. L'obscurité, la misère, les taudis, alors, qu'à quelques pas
la lumière ruisselle.
Ainsi, le XXe siècle n'a pas terminé ses conquêtes dans le XIIIe arrondissement
qui, moderne dans presque toutes ses parties, laborieux et actif, conserve,
intacts, ces îlots que nous venons de parcourir rapidement. Ils semblent se
dérober aux regards du visiteur, mais quand celui-ci les découvre, il est tout
surpris de se trouver devant de sombres eaux fortes, figées parmi les tumultueuses
images du présent.
Un jour, j'entre au marché... aux chiens, situé sur le boulevard de l'Hôpital. Il y avait environ cent-cinquante ou deux cents de ces intéressants animaux les uns aboyaient, les autres jappaient, quelques-uns mêmes gémissaient. (1868)
En cette pittoresque cité Jeanne-d'Arc, 166 bis rue Nationale, où gitent tant de laborieux chiffonniers, était, il y a quelque temps, venu se fixer un couple, assez mal assorti du reste, sur l'existence duquel on manque, pour l'instant, de renseignements.
Le terrain s'abaisse et la vue s'élargit ; voici le chemin de fer de Sceaux, puis la Glacière, Gentilly et en face une échappée de Paris, puis un coin tranquille, tout champêtre, presque silencieux, où coule la Bièvre, cette rivière parisienne ignorée. (1867)
Hier soir, vers sept heures et demie, le feu s'est déclaré, avec une grande violence, dans l'immeuble situé 24, rue des Cordelières (13è arrondissement), où se trouvent une fabrique d'eau de seltz et un dépôt d'eaux minérales appartenant à M. Aureau.
Nous avons pu rencontrer ce matin le sympathique conseiller municipal du treizième arrondissement, M. Henri Rousselle, sur l'initiative de qui les travaux avaient été poursuivis et qui, tout heureux du résultat obtenu, nous a donné sur le puits artésien de la Butte-aux-Cailles les renseignements suivants... (1903)
Le quartier de la Gare était en fête hier, et la population de travailleurs qui l'habite a chaleureusement manifesté au Président de la République les sentiments de gratitude qu'elle nourrit à son égard pour la nouvelle preuve de sollicitude qu'il vient de lui donner en faisant édifier l'établissement philanthropique qui portera désormais son nom. (1905)
D'audacieux bandits, des jeunes gens, si l'on en croit le signalement donné par les victimes, ont opéré, l'autre nuit, d'abord rue du Bois-de-Boulogne, à Neuilly, puis rue Brillat-Savarin, en utilisant une automobile volée.
Avant que d'être un égout, la Bièvre, semblable en cela à tant d'autres cours d'eau avait eu ses caprices, et avait formé, entre ce qui est maintenant le boulevard Arago et l'avenue des Gobelins, un îlot coquet, au milieu duquel poussait, au hasard des apports du vent, une flore des plus variées. (1923)
Rue Brillat-Savarin, dans un modeste logement du troisième étage, habitait depuis quelque temps un journalier, Jean Simon, âgé de quarante ans, et sa fille, laquelle fréquentait un employé de commerce, Lucien Grandet, qui venait la voir quotidiennement.