À l'époque où Paris fut divisé en arrondissements, il avait primitivement été décidé que le numéro treize écherait
à la région de Passy et d'Auteuil. Mais ce nombre fatidique n'avait pas manqué de frapper, au sein de sa population,
certains esprits prompts à s'émouvoir. On ne voulut faire à ces gens nulle peine même légère. Leur arrondissement reçut
donc, en définitive, le numéro seize, cependant que le numéro treize allait aux quartiers de la Salpêtrière, de la Glacière
et des Gobelins qui eux, s'en moquaient comme de leur première usine.
Nous ne saurions décider, quant à nous, si le nombre treize possède un pouvoir maléfique, ou si, comme le voudrait
la superstition opposée, il peut être un porte-chance. Nous espérons toutefois que, dans la seconde éventualité, le
treizième arrondissement finira par bénéficier de cette salutaire influence.
Le treizième est, en effet, du point de vue social, du point de vue humain, un des arrondissements les plus « intéressants
» de Paris. Je donne ici au terme « intéressant » le sens qu'on lui assigne quand on dit : une personne, une œuvre intéressantes.
On travaille dur, dans le treizième, mais pas toujours dans le cadre qu'il faudrait. On y a pas mal démoli, pas mal
reconstruit, et cependant il a encore grand besoin de la pioche et du maçon. Ses notabilités m'ont fait observer qu'il
est présentement « en pleine transformation » ce que je reconnais bien volontiers. 0 mystérieux nombre treize, capricieuse
divinité, fais donc que cette transformation soit rapide, qu'elle soit suffisante et qu'elle s'accomplisse pour le plus
grand bien-être de tous. ceux qui le méritent!
Les hommes ont besoin d'usines, ces usines ont besoin de cheminées, ces cheminées ont besoin de fumer et
il faut bien que tout cela soit quelque part.
Tel est le vœu que je formais, ces jours derniers, en commençant, par le quartier de la Gare, la visite du treizième
arrondissement. Nous n'espérons pas que ce quartier ressemble jamais à l'avenue Henri-Martin. Les hommes ont besoin
d'usines, ces usines ont besoin de cheminées, ces cheminées ont besoin de fumer et il faut bien que tout cela soit quelque
part. Le quartier de la Gare tirera donc toujours, de l'abondance des bâtiments industriels nécessaires à sa vie, une
physionomie assez grave, assez sombre, assez dure. Mais qu'importe si l'ouvrier, une fois, rentré chez lui, s'y sent
environné du confort et de l'hygiène indispensable, s'il y goûte, enfin, une autre douceur de vivre que celle — d'ailleurs
d'ailleurs à dédaigner — qu'il peut demander au cinéma et au café ! Je pense que vous êtes d'accord. Vous serez donc
également d'accord pour regretter l'abondance, dans ce quartier de la Gare, des immeubles vétustes, croulants et insalubres.
On m'avait conseillé de voir, entre autres groupes de taudis, la cité Jeanne-d'Arc. J'ai donc vu la cité Jeanne-d'Arc
et ses vieilles maisons d'un noir d'encre qui, d'ailleurs, ne sont pas dénuées d'une certaine beauté architecturale.
Mais foin des beautés architecturales fermées à l'air pur et au soleil, foin de ces façades sculptées derrière lesquelles
se livrent des drames où le microbe, invisible acteur, a toujours le premier rôle et, si j'ose dire, le dernier mot
! Une haute personnalité du monde artistique, M. Frantz Jourdain, qui est aussi un vieux Parisien et un grand urbaniste,
a bien voulu nous écrire pour nous encourager à persister dans cet état d'esprit. Faisant allusion à l'hypocrite indignation
de certains « artistes » devant le sacrifice de quelques nids à microbes plus ou moins historiques, il nous disait en
substance ; « Qu'ils aillent donc y habiter ! » Bien raisonné, mon cher Maître !
Le treizième arrondissement, par bonheur, est bien loin d'être tout entier dans cet état. Même dans sa partie est,
qui est la moins favorisée, on a construit, ces dernières années, bon nombre d'immeubles modernes. Ils ne sont pas toujours
sans reproche, ni du point de vue de l'architecture, ni même du point de vue de l'hygiène. Du moins représentent-ils
l'aboutissement d'un bel effort. Ou, plutôt non — pas son aboutissement : son début. En tout cas, nous le souhaitons.
Les grands immeubles roses ou beiges des boulevards Masséna et Kellermann, qui longent l'ancienne ligne des fortifications,
méritent à cet égard une mention spéciale. Des cités comme celle de la porte d'Italie — habitations de la Ville de Paris
ou Cité du Combattant — sont l'indice d'un progrès considérable. Je n'oublie pas, néanmoins, qu'un vieux manœuvre du
quartier Jeanne-d'Arc me disait avec une mélancolie résignée : « C'est encore des maisons pour les rupins ». On est
toujours le riche de quelqu'un. Conclusion: il faut construire pour toutes les bourses, même pour les plus modestes.
modestes. toutes les missions sociales, celle de l'architecte n'est pas, de nos jours, la moins importante.
Et puis, de grâce, messieurs les urbanistes, donnez un peu de verdure au XIIIe arrondissement ! Il y a, je le sais,
le square de la place d'Italie, de cette place d'Italie qui n'est pas sans charme avec ses arbres tordus pareils aux
arbres-fées de certaines légendes nordiques, et à laquelle on peut trouver une certaine ressemblance avec l'Etoile,
tant ont belle apparence les avenues spacieuses et bien construites dont elle est le carrefour. Il y a donc le square
de la place d'Italie. Et après ?
C'est à peu près tout. Il y a bien des projets. On parle notamment d'aménager un square sur l'emplacement de l'usine
à gaz désaffectée, à l'angle de la rue de Tolbiac et de l'avenue de Choisy. Pourquoi pas ? Mais, surtout, pourquoi
pas tout de suite ? Nous ne perdons pas de vue les difficultés financières de l'entreprise. Mais enfin, il est des projets
que l'on qualifie, en politique, de projets d'extrême urgence. Nous croyons que celui-là en est un.
Que rien ne soit donc négligé pour transformer les parties les plus sacrifiées du treizième arrondissement et aussi
pour les embellir. Les premiers républicains professaient avec Hugo, que le peuple a besoin de beauté. Lieu commun-
? Non pas. On fait chaque année la toilette de Paris. Qu'on songe un peu à celle du XIIIe arrondissement. Je vais prendre
un tout petit, un minuscule exemple. Il y a, devant la Salpêtrière, une statue de Charcot effroyablement rongée par
le vert-de-gris. N'étant pas entrepreneur, je ne saurais dire combien il en coûterait pour refaire à l'illustre savant
une physionomie présentable. Mais pas des millions, à coup sûr.. Je répète que l'exemple peut paraître Insignifiant.
Mais j'en pourrais citer cent autres. Or, toutes les bonnes, ménagères vous diront que pour qu'une maison soit belle,
il faut nettoyer les bibelots et les petits coins…
* * *
Une chose donne de l'espoir: c'est que dans ce treizième arrondissement au bonheur duquel ne cessent de travailler
des gens de cœur et à leur tête son maire, M. Olivier, également connu comme président de la Protection mutuelle des
agents de chemins, de fer, un très sérieux effort a été fait en faveur de la collectivité.
Une chose donne de l'espoir: c'est que dans ce treizième arrondissement un très sérieux effort a été fait en
faveur de la collectivité.
Ses établissements publics sont parmi les mieux aménages de Paris. On l'a notamment gratifié, ces dernières années,
de quelques écoles modèles qui sont exactement celles, que l'on pouvait souhaiter aux hommes de demain. Combien vaste,
combien clair, combien intelligemment conçu est par exemple, le groupa scolaire de la porte d'Ivry, dont la silhouette
se découpe sur le pâle horizon de la zone comme celle d'un paquebot aux gigantesques hublots !
Il faut quelquefois peu de chose pour enchanter l'enfance. Mais, cela, il faut toujours le lui donner. Cent mètres
carrés de terrain, un peu de gravier, quelques arbrisseaux, une légère construction de briques ou de ciment — et voilà
un jardin d'enfants. Il y en a un, sur cette place Paul-Verlaine, qui domine la Butte-aux-Cailles, et qui est tout ce
que l'édilité parisienne a trouvé dans Paris pour glorifier l'auteur des Fêtes Galantes. Je passais par-là hier. Un
choeur de voix minuscules frappa soudain mon oreille, chantant, moins les r trop difficiles à prononcer, la première
chanson que nous ayons tous chantée :
Au-clai-de-la-lune Mon-ami-Pie-ot.
Je ne pus me retenir d'entrer. Les petits que je vis là, sous la surveillance d'une jeune femme aussi douce que jolie,
n'ont certainement pas des parents bien fortunés. Ils me parurent encore trop jeunes pour aller à l'école. Pour eux,
donc, ou bien le jardin d'enfants, ou bien le pauvre logis familial, à moins que ce nesoit la loge de la concierge,
ce vestiaire où les mamans qui travaillent sont parfois bien forcées de déposer leurs mioches. Ah ! vive le jardin d'enfants
!
En dehors de ces initiatives officielles, l'initiative privée agit, elle aussi, dans le treizième arrondissement.
L'armée du Salut vient d'y créer rue Cantagrel quelque chose de très grand et de très beau : la Cité du Refuge.
Cette œuvre étonnante, jamais lasse de faire le bien, s'avisa certain jour que la quinzaine d'établissements qu'elle
possédait à Paris et dans la banlieue étaient encore bien loin de suffire à la réalisation de ses généreux desseins.
Elle décida donc de faire bâtir la Cité de la rue Cantagrel. La princesse de Polignac — dont le geste magnifique vaut
d'être signalé — lui apporta une contribution personnelle d'un million huit cent mille francs. Deux architectes fameux,
qui voient à la fois grand et nouveau, MM. Le Corbusier et Jeanneret, se mirent aussitôt à l'œuvre. On parlera sans
doute beaucoup de la Cité du Refuge, au début du mois prochain, lorsqu'elle sera inaugurée en présence de M. Albert
Lebrun. Laissez-moi vous dire dès aujourd'hui le rôle de ce formidable édifice qui apparaît, à l'extérieur, avec ses
immenses façades de verre et de ciment armé, comme une des plus audacieuses parmi les constructions modernes — à l'intérieur
comme la plus joyeuse des hôtelleries populaires, avec ses cloisons bleues, rouges et jaunes, aux couleurs de l'Armée
du Salut. Ce sera là, m'a dit le directeur de la Cité, M. Bardiaux, homme énergique et bienfaisant, comme la « plaque
tournante » de l'œuvre. Les hommes, les femmes, les familles qui s'y réfugieront y vivront la première étape de leur
relèvement. Il y aura de grands réfectoires, des dortoirs, des chambrettes ensoleillées pour les mamans et leurs petits,
des salles de douches, une nursery et un solarium pour les bébés, une salle des fêtes, un jardin. Ceux qui pourront
payer paieront — le minimum, bien entendu. Pour les autres, on sait que l'Armée du Salut n'est jamais restée indifférente
à aucune espèce d'infortune. Ceux qui ont faim trouveront du pain à la Cité du Refuge ; ceux qui vont en loques y trouveront
des vêtements. Je ne manque pas cette occasion de signaler qu'il suffit d'un coup de téléphone à l'Armée du Salut pour
qu'elle envoie prendre à domicile tous les effets qu'on veut bien lui donner. Ne croyez pas, hélas ! qu'elle en reçoive
jamais trop !
Terrible problème que celui de la zone. Elle doit disparaître, c'est décidé, c'est normal. Mais on songe à tous
ceux qui vivent là, et l'on s'attriste, et l'on s'inquiète…
Au sud, mais à l'intérieur de l'arrondissement, depuis qu'il a empiété sur les anciens territoires de Gentilly, du
Kremlin-Bicêtre et d'Ivry, la zone. Au printemps, en été, la zone a quelque chose de champêtre et de pittoresque qui
lui donne une certaine poésie que Bruant, vivant, n'eût pas manqué d'exprimer après celle des fortifs. En cette saison,
elle n'est plus qu'un lac de boue où les bicoques faites de mille débris, les hangars et les roulottes forment des îlots
noirs et sinistres.
Terrible problème que celui de la zone. Elle doit disparaître, c'est décidé, c'est normal. Mais on songe à tous ceux
qui vivent là, et l'on s'attriste, et l'on s'inquiète…
Car la zone s'est organisée. Elle n'est plus un simple campement, mais une succession de villages dont chacun a sa
ceinture de boutiques, où l'on envoie les petits zoniers acheter les légumes du pot-au-feu et l'indispensable vin rouge
à deux francs dix le litre.
Des fleurs, parfois même des arbres ont été plantés sur le seuil des cahutes. Des antennes de T. S. F. ont été installées
sur les toits. Quand le chiffonnier avait amassé, sou à sou, de quoi améliorer son intérieur, il faisait parfois l'emplette
d'un véritable mobilier. On s'était installé comme si c'était pour toujours... Une sorte de république s'était créée.
Tout ce qui vivait là semblait fait pour la zone : les automobiles modèle 1910 comme on en voyait dans les premiers
films de Charlot, les grands chiens bâtards et roux, et jusqu'au sol ingrat auquel on arrivait cependant à arracher
le sourire d'un rosier. On avait voulu oublier qu'un jour il faudrait partir. Or ce jour serait imminent…
Mais où aller ?
* * *
Le treizième arrondissement, dans sa partie ouest, change curieusement de visage. Autant nous l'avons vu, dans le
quartier de la Gare, à la fois triste et bruyant, autant il contient ici des retraites ignorées et charmantes. Cela
commence au sud, dans l'ancienne région des moulins, rue du Moulin-des-Prés, rue du Moulin-de-la-Route, rue Moulinet.
Le quartier est paisible, vieillot, petite province. Quelques arbres, au-dessus des murs font des signes d'amitié au
passant. Puis on traverse l'avenue des Gobelins et là, derrière la manufacture, on découvre de véritables jardins. J'y
ai même vu une vraie cour de ferme, où un grand escogriffe de coq vert et or escorté de trois poules blanches, se promenait
majestueusement entre un tas de fumier et un antique char à bancs « levant au ciel ses deux brancards », comme celui
du prologue de Chanceler.
Dans ce quartier où prospérèrent les tanneries, au temps où la Bièvre reflétait encore le ciel de Paris, l'enseigne
« Cuir et Peaux » subsiste sur quelques façades. Mais l'activité de ces rares établissements ne trouble nullement la
paix de la rue Croulebarbe, ni celle de la rue Corvisart, encore moins celle de cette ruelle des Gobelins, où l'herbe
et la mousse poussent entre les pavés, à l'ombre des murs adorables de la vieille manufacture. On ne peut s'empêcher,
dans ce coin chanté par maint et maint écrivain, de Victor Hugo à Huysmans, de rêver à la pauvre et gentille Bièvre,
assassinée par le Progrès — et que l'auteur de Là-Bas se figurait, mythologiquement, « incarnée en une fillette à peine
pubère, en une naïade toute petite jouant encore à la poupée sous les saules ». La Bièvre est maintenant sous six pieds
d'asphalte. Pour l'apercevoir, il faut, paraît-il, aller jusqu'au Kremlin-Bicêtre, où elle ne joue d'ailleurs pas à
la poupée, mais à la chiffonnière, au milieu des détritus qui encombrent ses rives. Inutile d'aller voir cela.
Évocations, souvenirs, fantômes..
Marius, le héros des Misérables, qui habitait tout près d'ici, « boulevard de la Santé, au septième arbre après la
rue Croulebarbe »… Jean et Philibert Gobelin marchands-teinturiers en écarlate, qui donnèrent leur nom à la manufacture…
Plus loin encore, le château de la Reine-Blanche, qui vit le terrible « Bal des Ardents », plusieurs seigneurs de la
cour de Charles VI brûlés vifs sous leurs déguisements de sauvages…
Disparu, le château ? Non pas. Le voici au fond d'une cour de la rue des Gobelins, intact de sa base trapue à la
pointe de sa tourelle. Il abrite aujourd'hui une fabrique de papiers de couleurs, ce qui n'est nullement un sacrilège.
Ce qui en serait un, ce serait de transformer, de moderniser ce quartier à la fois délicieux et grandiose. Hélas ! calmes
rues, beaux jardins, vieux souvenirs. Paris, s'il s'y mettait, ne ferait de vous qu'une bouchée ! Et j'ai bien un peu
peur pour vous…
Le 19 juillet 1927, le nom de rue de Gentilly fut donné à la rue du Gaz. Le nom de rue de Gentilly avait été, jusqu'en 1899, celui de la rue Abel-Hovelacque d'aujourd'hui. Cette nouvelle rue de Gentilly perdit ensuite son nom au profit de Charles Moureu et d'Albert Bayet.
* * *
Bobillot, héros du Tonkin, était prénommé Jules. La rue portant son nom est longue de 1.100 mètres.
* * *
La passerelle métallique d'une portée de 100 mètres reliant la place de Rungis à la rue Cacheux et au boulevard Kellermann en enjambant la gare dite "de Rungis" avait été inaugurée le 23 juin 1907 en présence de MM. Armand Bernard, secrétaire général de la préfecture de la Seine, et Henri Rousselle, conseiller municipal du quartier de la Maison-Blanche,qui prirent la parole.
* * *
C’est le mardi 11 juin 1946 que la ligne d’autobus n° 67, Place de Rungis-Place Pigalle, était mise en service. Les principaux points desservis étaient : Place d'Italie, Boulevard de l’Hôpital, Place Jussieu, Hôtel-de-Ville. Châtelet, Louvre, Grands Boulevards, carrefour de Châteaudun. En mars 1951, le terminus de la ligne fut reporté de la place de Rungis à la porte de Gentilly.
L'image du jour
rue Nationale - Quartier de la Gare (image colorisée)
La rue Nationale était l'axe majeur du quartier de la Gare. La rue Jeanne d'Arc n'était pas encore transversante et était dédiée à l'industrie. La rue Nationale rassemblait commerces et services. Elle était le centre de l'animation d'une vraie vie de quartier populaire qui fut voué à la destruction par son classement en « ilôt insalubre ». ♦