Dans la presse...



De septembre 1890 à mars 1891, l'éphémère quotidien socialiste L'Égalité publia, quasi quotidiennement, sous la signature d'Auguste Lagarde, une série d'articles intitulée "Cabarets, bouges et assommoirs" répartie en plusieurs groupes dont "Cabarets modernes ayant cessé d’exister" et "Cabarets existants". Quelques établissements du 13e arrondissement furent l'objet de ces études.

Cabarets, bouges et assommoirs

Cabarets existant

Le Bois tordu du boulevard de la Gare
Les Deux Moulins du boulevard de l’Hôpital.

Dans notre dernier chapitre, consacré à l’assommoir des Deux Moulins et au boulevard de la gare, nous avons dit que le cabaret du Bois tordu avait droit à un article spécial.

Photographie du 110 boulevard de la Gare. Le 112 avec le cabaret du Bois-Tordu y apparaît pour moitié. Ces bâtiments disparurent avec le percement du dernier tronçon de la rue Jeanne-d'Arc.
(Source : @montbazet1)

En effet, ce bouchon de la plus infime catégorie, sale, délabré, misérable, un des plus piètres assurément de ce piètre quartier; n’ayant qu’une chambre sordide avec un semblant de cuisine au fond et un pauvre comptoir en bois garni de zinc dont on ne voudrait pas dans les bobines de la rue de Bièvre; ce débit à l’aspect triste et repoussant où l’on ne voit quelques consommateurs qu’aux heures des repas des ouvriers, renferme — qui pourrait s’en douter ? — une collection de peintures murales que ne désavouerait pas un véritable artiste, et comme il n’en existe dans aucun autre cabaret de Paris. C'est un musée en miniature.

Figurez-vous deux rangées parallèles de portraits à l’huile, forme médaillon, représentant toutes les célébrités — ou peu s’en manque — des arts, des sciences et de la politique d’il y a vingt-cinq ans. Ils sont au nombre d’environ quatre-vingts, dans un pêle-mêle bizarre. Félicien David, Garibaldi, Émile de Girardin y coudoient Hégésippe Moreau, Victor Cousin et le clown Auriol ! Horace Vernet, Thiers, Lacordaire, le Père Enfantin, Alfred de Vigny ont pour voisins Jules livre, Lola Montés, Eugène Sue et Hippolyte Doré, le créateur de la cité de ce nom. Lamartine fait face à Rachel. Berryer et Corot sont à côté du bâtonniste Pradier. Quel amalgame ! Il y aussi le portrait très réussi, m’a-t-on dit, de M. Hariot, qui semble causer avec Balzac. — Hariot ! direz-vous ; qu’est-ce que ça ? — Hariot est le nom du mastroquet qui fonda le cabaret du Bois tordu, voilà bientôt quarante ans de cela. Le peintre lui a ménagé une place dans sa galerie, ou sa présence détonne un peu, j’en conviens, mais il faut pardonner à l’artiste cet acte de courtisanerie qui lui a été peut-être imposé par des circonstances que nous ne connaissons pas.

Ce qu’il y a, selon nous, de surprenant, c’est que ces portraits ont été exécutés avec un soin extrême : un artiste travaillant en vue de la postérité n’y eût point dépense plus d’application et n’eût pas été plus exact. Dire que toutes ces figures sont ressemblantes serait une assertion hasardée ; mais celles de Berryer, Proud'hon, Alexandre Dumas, Béranger, Jules Favre, dont les traits ont été popularisés par le crayon et le pinceau, et que tout le monde connaît, ne laissent pas grand-chose à désirer. On peut supposer qu’il en est ainsi des autres.

Ce n’est pas tout. Sur le haut des murs, au-dessus des portraits, règne une rangée de petits tableaux où l'artiste, cette fois, a donné libre carrière a sa fantaisie et à son imagination. Ils retracent des scènes de la vie réelle avec une vérité saisissante. Ici, une femme jouant au billard, entourée de curieux qui applaudissent ses carambolages ; là, un militaire, à la moustache retroussée, conte fleurette à une bonne d’enfant, plus loin, Thérèsa, la chanteuse populaire, reproche à son sapeur, pour qui rien n’est sacré, d’avoir liché toute la bouteille ; puis Déjazet dans une scène des Premières armes de Richelieu ; une noce de village, comprenant une dizaine de personnages ; des marchandes de poissons, les manches retroussées, le poing sur les hanches; une sorte de satyre au long cou tapant avec rage sur une grosse caisse ; un chef de cuisine au milieu de ses viandes crues et de ses casseroles luisantes, et d’autres sujets qu’on nous dispensera d’analyser. Il ne faut abuser de rien.

Toutes ces peintures, dessins et portraits, sort dans un excellent état de conservation ; mais après un séjour de vingt-cinq ans dans ce cabaret, elles ont pris forcément une teinte foncée qui les fait paraitre plus vieilles que leur âge : elles sont l’œuvre d’un artiste inconnu, M. Constant Arnould, élève de Decamps, qui a dépensé dans ce travail ingrat deux ou trois années de sa vie, le meilleur de son talent et un très grand esprit d’observation. Vivant dans un autre milieu, il eût pu, avec ce qu’il a donné à ce cabaret, se créer une notoriété de bon aloi. Bien d’autres artistes se sont fait connaître avec un bagage moins important. Qui se souvient aujourd’hui, même au boulevard de la Gare, de Constant Arnould ? Sa fin, lamentablement tragique, — car il fut fusillé à la place d’un autre pendant la répression de la Commune — ne l’a pas préservé de l’oubli.

À part ses peintures auxquelles personne ne fait attention, ce cabaret ne présente aucune espèce d’intérêt. Il a été tenu par M. Fumel, contre-maître à la raffinerie Say ; et puis, après la mort de ce titulaire, par le sous-chef des expéditions de ladite raffinerie, qui épousa la veuve Fumel. Ça été le beau temps du Bois tordu. En ce moment, il est tenu par Mme Briot, une femme sourde qui vivote et caboulot assez tristement. Le Bois tordu en est à la période du déclin. Cette enseigne n’est que la reproduction du Bois tordu de la rue Mouffetard, dont nous avons parlé au début de notre travail.

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Il y a trois ou quatre ans, un mastroquet du boulevard de l’Hôpital, voisin de celui de la Gare possédait, lui aussi, une salle ornée de peintures extraordinaires tracées avec du cirage et de l’ocre jaune. Jamais on n’avait rien vu de pareil. L’enseigne pouvait passer pour le chef-d’œuvre de ce barbouillage.

Elle était disposée ainsi :

Au Petit
...tin.

Entre ces deux lignes on avait essayé de dessiner un pot quelconque suspendu à des rubans ce qui voulait dire :

Au Petit Potin

Quelle ingéniosité ! Quel esprit !

Le Petit Potin a été transporté à la Villette ; avec armes et bagages, c’est-à-dire avec tables et bouteilles. Les prétendues peintures, qui n’avaient pu être comprises dans le déménagement, ont disparu sous une épaisse couche de chaux. C’est le sort qu’elles méritaient. Ce Potin était situé au n° 134, vis-à-vis l’entrée des abattoirs dits de Villejuif, et avait pour clientèle les jeunes et robustes gaillards préposés à la tuerie des animaux. Ils allaient là (les employés, pas les animaux), les bras nus, le coutelas accroché à la ceinture et leurs tabliers rouges de sang. Un garçon d’abattoir qui sortirait sans avoir du sang à son tablier et à ses sabots serait montré au doigt par ses camarades. C’est un genre, une sorte de chic. Le matin, à certaines heures, ces messieurs remplissaient la salle du Petit Potin, exhalant je ne sais quelle odeur âcre et repoussante. Leur conversation donnait des frisons. Ils ne s’entretenaient naturellement que des choses de leur métier, du veau récalcitrant de la veille qui ne voulait pas mourir et du bœuf ayant rompu ses liens au premier coup de massue. Aujourd’hui, ils vont boire au cabaret de la Grille, en face des Abattoirs, et à la Мaison Chenevières, formant l’angle de la rue Rubens et du boulevard.

Un peu plus bas, en allant vers la gare, au n°112, se trouve le cabaret des Deux-Moulins, deuxième de ce nom. Il était voisin de l'ancienne barrière des Deux-Moulins, et c’est de là que lui est venue son enseigne. Quant aux deux moulins à vent qui avaient donné leur nom à la barrière, ils existaient encore en 1827, mais ils n’étaient alors que deux guinguettes très fréquentées par les Parisiens du dimanche, à cause du bon marche des vins. L’une de ces guinguettes— singularité pou connue — s'appelait le Moulin de la Galette, et on y dansait les jours de fête absolument comme à la Galette de la butte Montmartre. C’est dans cet établissement, au mois de novembre 1833 que fut enlevée, un soir de bal, la jeune Rosalie Molay dont la disparition fit tant de bruit. On la retrouva quinze jours après dans un champ d’Ivry, le corps affreusement mutilé. Les auteurs de crime ne furent pas découverts.

Le cabaret des Deux-Moulins a eu une certaine renommée mais, depuis longtemps, il est tombé au-dessous des plus insignifiants caboulots. Après 1830, il était devenu, le dimanche, le lieu de rendez-vous de nombreux soldats qui, la plupart du temps, cherchaient querelle aux pékins. À la suite d’une rixe dans laquelle plusieurs personnes inoffensives furent frappées à coups de sabre, l’établissement fut fermé. Un nommé Bader, dont le beau-père était chef de bureau à la préfecture de police, obtint l’autorisation de le rouvrir et n’y fit pas de brillantes affaires. Plus tard, on y installa un bal musette que le police fit fermer.

Au moment de la guerre, ces Deux-Moulins avaient pour habitué un vieillard nommé Joseph Pasquet, bien connu dans le quartier qui avait traversé la grande Révolution. Il possédait une assez grande quantité d’assignats qu’il conservait avec le plus grand soin et qu’il tenait enfermés dans une petite cassette. Il avait également quelques monnaies de l’époque révolutionnaire qu’il montrait avec ostentation : notamment une pièce de cinq sols portant pour exergue : Siège de Mayence ; une autre de trois deniers avec cette inscription : An IV de la République etc. Parmi les assignats, il y en avait un de quinze sols. Un soir, cette cassette lui fut volée. Le pauvre Pasquet ressentit un tel chagrin de cette perte qu’il s’alita le lendemain et mourut bientôt après.

Les établissements de boissons, les garnis, les bouges sont presque aussi nombreux au boulevard de l’Hôpital qu’à celui de la Gare.

Voici le Perroquet rose, enseigne à double sens.

Un perroquet en chair et en os habillé sur son perchoir mais il était vert. Rose est le nom du propriétaire. Est-ce assez joli ? À quelques pas plus loin, le Rendez-vous de la montée, ayant pour concurrent la Buvette des charretiers. Sur le même côté s’épanouit un tableau avec cette légende : Aux cornes du père Collin. Ne croyez pas qu’il y ait dans cette enseigne peinte une allusion épigrammique. Ces cornes sont celles d’un bélier que possédait le maître de céans et Collin est le nom de l’artiste qui a peint le tableau.

Dans soixante ans d’ici, les chroniqueurs de ce temps-là, si cette peinture existe encore en l’an 1940 bâtiront avec ces cornes et ce Collin de terribles et dramatiques légendes qui feront frissonner le lecteur.

Dans la partie de ce boulevard comprise entre la gare d'Orléans et le boulevard Saint-Marcel, nous trouvons :

Le cabaret du Progrès, avec bal, comptoir de zinc et brasserie à femmes ;

Le restaurant du Pied de Mouton, moins ancien que le Pied de Mouton de la rue Vauvilliers, lequel avait été fondé lors du grand succès de la féérie de ce nom ;

Le cabaret de la Vestale, où les Vestales font complètement défaut ;

Le Phare, sans aucun phare, même en peinture ;

L’Arc-en-Ciel, cabaret de haute volée — pour l’endroit — où les clients de passage doivent en voir de toutes les couleurs.

Nous trouvons enfin, dans cette même partie du boulevard de l’Hôpital, le cabaret-hôtel de la Tour Montlhéry, dont l’enseigne-tableau rappelle cette terrible forteresse de Monthléry où Milon de Braie, vicomte de Lroyes, étrangla de ses propres mains Hugues de Crécy... Mais que vient faire cette tour historique au boulevard de l’Hôpital ?

La Casserole, cabaret spécial des chiffonniers que Victor Hugo mentionne dans ses Misérables était située dans ces mêmes parages, presque à côté du Pied de Mouton. Il y a longtemps qu’elle a disparu. Elle devait ce surnom à ce qu’on y débitait de prodigieuses quantités de casseroles de punch ou de vin chaud, à raison de cinq sous la casserole.

Auguste Lagarde


Dans la presse...


Le Puits artésien de la Butte-aux Cailles

L'achèvement prochain des travaux du puits artésien de la place Hébert est venu nous rappeler un autre puits du même genr dont le forage fut commencé presque à la même époque que celui du puits des hauteurs des Belleville, mais tombé complètement dans l'oubli depuis une vingtaine d'années : nous voulons parler du puits artésien de la Butte-aux-Cailles. (1889)

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L’impresario des mendiants

Dans le quartier de la Butte-aux-Cailles s'est installé un impresario qui cultive une spécialité plus que bizarre. Il a centralisé là toutes les monstruosités capables d'attendrir le passant. (1872)

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Les derniers mohicans de Paris : Avec les Algériens du boulevard de la Gare

Sous la ligne aérienne du métro dont la longue perspective s'étend à l'infini, le boulevard de la Gare monte doucement vers la place d'Italie. À droite et à gauche, des maisons basses s'alignent, coupées par de petites rues pavées, à l'angle desquelles sont nichés de ridicules et ternes jardinets. Çà et là un immeuble neuf qui usurpe des allures de building, un magasin dont l'étalage déborde le trottoir, des bars, des hôtels, des restaurants, puis encore, sur la gauche, le cube uniforme et sans fantaisie de la raffinerie Say. (1928)

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La mystérieuse petite ceinture : De Vincennes aux Batignolles en faisant le grand tour

Entre Belleville et la Seine, c'est la zone des sifflets désespérés. Si les « Circulaires » qui vont leur petit bonhomme de route ne s’inquiètent guère du parcours à horaires fixes, les autres trains, messageries, rapides et autres, ont sans cesse besoin de demander leur route aux distributeurs de voie libre.
Cris brefs qui courent tout au long de cette frontière illusoire de Paris, cris impatients de ceux qui ne peuvent attendre ou qui s’étonnent des disques et des feux rouges. (1930)

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Le métro sur la rive gauche

La nouvelle-section du Métropolitain, allant de Passy à la place d'Italie (ligne Circulaire-Sud), dont nous avons donné, il y a quelques jours, une description détaillée, a été ouverte, hier après-midi, au service public. Pendant toute la durée de l'après-midi, les voyageurs et les curieux se sont, pressés dans les diverses gares du parcours... (1906)

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Saviez-vous que... ?

En 1897, il y avait un magasin de porcelaine au 196 de l'avenue de Choisy dans laquelle le cheval du fiacre n°7119 entra le 26 mars…

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La Bièvre descend des plateaux de Satory, arrose Buc, Jouy, Igny, Verrières, la Croix de Berny, Antony, Bourg-la-Reine, Arcueil,Gentilly et pénètrait dans l'enceinte fortifiée de Paris par deux ouvertures entre les bastions. Ses deux bras serpentaient ensuite dans les prés de la Glacière et enclosaient ces terrains submersibles qui étaient autrefois le seul skating ring des Parisiens.

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35.892 électeurs étaient inscrits sur les listes du 13ème pour le premier tour des élections municipales du 3 mai 1925. 30.289 votèrent. Seul, M. Colly, du quartier de la Gare, fut élu à ce premier tour.

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Les derniers habitants de la cité Doré quittèrent les immeubles vétustes, délabrés, insalubres et menaçant ruines (l'un d'eux s'était effrondré en 1925 tuant 7 habitants) que la ville de Paris avait fini par acquérir pour les démolir en mars 1926. Selon le Petit-Parisien du 6 mars 1926, il ne restait plus que 22 locataires dans ces « logements ».

L'image du jour

Rue de la Fontaine-à-Mulard