Les bals de Paris
Les bals-musettes
L'Égalité — 12 juin 1889
Les bals publics de Paris se divisent en deux-catégories : les bals proprement dits avec orchestre, et les musettes, où il n'y a pas d'orchestre. Mais par suite de l'extension arbitraire donnée au mot musette on comprend sous cette dénomination tous les petits bals n'ayant qu'un instrument de musique, violon, harpe ou piano. Ceux même qui ont à la fois un violon et un autre instrument sont rangés également parmi les musettes ; — cette classification est absurde, mais elle est généralement adoptée, à cause peut-être de sa flagrante absurdité.
Comme nous faisons une monographie des bals et que nous n'avons pas la secrète ambition de réformer le langage, ce qui d'ailleurs serait une entreprise au-dessus de nos moyens, nous allons adopter tranquillement la classification idiote dont on se sert partout, c'est-à-dire que les petits bals de marchands de vins, qu'ils aient un violon ou un orgue de Barbarie, seront appelés musettes. Voilà le lecteur averti.
E. PatrickAprès avoir mentionné les bals de Paris existant actuellement, nous alloons dire un mot des musettes, qui sont aussi des bals, rigoureusement parlant.
On se figure généralement qu’il y a deux ou trois cents musettes. C’est tout au plus si on en compte une soixantaine.
Leur système d’organisation est fort simple.
Elles ne payent pas le musetier (doit-on dire mureteur ou musetier ?) qui a pour rémunération le produit des danses dont le tarif est généralement fixé à dix centimes par valse.
S’il récolte dix ou douze francs, ce qui arrive parfois, tant mieux pour lui. S’il n’empoche, au contraire, qu’une trentaine de sous, ce qui arrive aussi, il est obligé de se contenter de cette maigre récolte.
Ce sont les aléas du métier.
Le mastroquet lui, profite de ces soirées de liesse — et souvent d’ivresse — pour vendre à ses clients, plus nombreux que d’habitude, des breuvages fantastiques qu’il fait payer les prix ordinaires.
Quand la consommation ne marche pas, il en est pour ses frais d’éclairage. Dans toutes les musettes — ou presque toutes — on sert aussi à manger, de telle sorte qu’on peut jouir du spectacle de la danse en prenant sa nourriture. Il y a des gens qui aiment ça. Tous les goûts sont dans la nature.
Cela dit, nous allons les mentionner au hasard, sans ordre ni méthode, et sans garantir que cette énumération soit absolument complète.
[…]
Boulevard de l’Hôpital, 94. — Musette logée dans un hôtel qui se prétend meublé, l’Hôtel des Deux-Moulins, lequel s’appelle de la sorte en souvenir des moulins à vent qu’il y avait dans ces parages au XVIIe siècle. Naguère encore on voyait dans la boutique aux vins de cet endroit un comptoir rudimentaire qui rappelait les débitants de boissons d’il y a cent ans : deux tonneaux vides et par-dessus une grande et large planche. C’était tout. Ce comptoir primitif a disparu C'était la seule curiosité de l’endroit.
Boulevard de la Gare, 151. — Musette Chauvet avec hôtel peu garni, comme la précédente. Est placée à côté de l’Assommoir Herhard. Excellente entreprise. (Nous parlons de l'Assommoir.)
[…]
Avenue d’Italie, 15. — Une sorte de grange qui avance sur la chaussée sans respect pour alignement. Dans cette construction peinte on rouge, on trouve un garni, un café, un débit de pommes de terre frites et la musette. Il faut voir ça !
Avenue d’Italie, 150. — Musette modeste et tranquille, tenue par les époux Moès. Peu de tapage, peu d’affaires.
[…]
Ces sortes de bals se transforment souvent en véritables scènes de combat où le sang coule de temps à autre.
Au mois de décembre 1881, dans une musette du quartier Montparnasse, un garde de Paris, nommé Alcaye, manqua d’être étranglé par trois mauvais drôles qui se ruèrent sur lui sans motif et le terrassèrent. Alcaye, voyant sa vie en danger, fit un effort surhumain, se dégagea à demi, parvint à dégainer et frappa ses agresseurs à grands coups de sabre, avec une furie aveugle.
Peu de temps après, le 23 septembre 1871, dans une musette située au n° 45 de la rue des Poissonniers (elle n’existe plus) un autre garde, le garde Castelli, fut frappé d'un coup de couteau avec une telle violence que la victime dut être transportée, immédiatement à l’hôpital Lariboisière dans un état alarmant. Cette affaire eût un certain retentissement ; tous les journaux s'en occupèrent Deux ou trois fois, on annonça la mort de Castelli, ce qui était inexact puisqu’il sortit de l’hôpital parfaitement guéri après sept mois de traitement !
C’est dans une musette du faubourg Saint-Antoine que fût arrêté Philippe, dit le tueur de femmes ; c’est encore dans une musette que le nommé Pautrat, alors âge de dix-sept ans, tua net son beau-père entre deux valses, d’un coup de couteau dans le ventre !
Les musettes, cela se comprend, sont de la part de la police l’objet d’une surveillance grès active, et la plupart de ceux qui les tiennent, sinon tous — rendent des services à l’administration.
E. Patrick.
Bals de Paris, bals de barrière, cabarets, bouges et assommoirs
De par sa position géographique, le 13e arrondissement était une terre propice au développement à son voisinnage des établissements vendant des produits soumis à l'octroi. La naissance du secteur des Deux-moulins tient là son origine. Marchands de vins, salles de bal et autres s'installèrent face à Paris avant de devenir parisiens en 1860. Après la sociologie propre au 13e arrondissement a fait le reste.
Promenade à tous les bals publics de Paris, barrières et guinguettes de cette capitale (1830)
Physiologie des barrières et des musiciens de Paris par E. Destouches (1842)
Paris qui danse par Louis Bloch et Sagari (1889).
Les articles de L'Égalité (1889-1891)
Durant sa courte existence, l'éphémère quotidien socialiste L'Égalité (958 numéros entre février 1889 et octobre 1891) s'intéressa à plusieurs reprises aux bals publics de Paris et aux débits de boissons. Il republia des séries d'articles (qui y reprenait, parfois avec moins de détails des textes parus en 1885 et 1886) sous les signatures d'Emmanuel Patrick et d'Auguste Lagarde (en fait Louis-Auguste Lagarde, décédé en 1890, qui utilisait ces pseudonymes), qui entrainèrent les lecteur dans tous les coins de Paris y compris les plus infâmes du 13e arrondissement.
Les bals de Paris par Emmanuel Patrick
"Les bals publics de Paris se divisent en deux-catégories : les bals proprement dits avec orchestre, et les musettes, où il n'y a pas d'orchestre. Mais par suite de l'extension arbitraire donnée au mot musette on comprend sous cette dénomination tous les petits bals n'ayant qu'un instrument de musique, violon, harpe ou piano. Ceux même qui ont à la fois un violon et un autre instrument sont rangés également parmi les musettes ; — cette classification est absurde, mais elle est généralement adoptée, à cause peut-être de sa flagrante absurdité.
Comme nous faisons une monographie des bals et que nous n'avons pas la secrète ambition de réformer le langage, ce qui d'ailleurs serait une entreprise au-dessus de nos moyens, nous allons adopter tranquillement la classification idiote dont on se sert partout, c'est-à-dire que les petits bals de marchands de vins, qu'ils aient un violon ou un orgue de Barbarie, seront appelés musettes. Voilà le lecteur averti."
Louis-Auguste Lagarde
- Le bal du Siècle - L'Égalité — 4 juin 1889
- Le bal Giraldon - L'Égalité — 4 juin 1889
- Les bals-musettes - L'Égalité — 12 juin 1889
Cabarets, bouges et assommoirs par Auguste Lagarde
Cabarets modernes ayant cessé d’exister
Cabarets existant
- L’Assommoir des Deux-Moulins - L'Égalité — 16 janvier 1891
- Le Bois tordu du boulevard de la Gare / Les Deux Moulins du boulevard de l’Hôpital - L'Égalité — 17-18 janvier 1891
Les bals de Paris - Deuxième partie par Auguste Lagarde
Bals disparus
- Avant-propos - L'Égalité — 12 mars 1891
- Le bal Figeac, 93 boulevard de la Gare - L'Égalité — 23 avril 1891
Autres lieux
Le cabaret de la Mère Marie, barrière des Deux-Moulins
- Le cabaret de la mère Marie vu par Alfred Delvau (1859, version courte)
- Le cabaret de la mère Marie vu par Alfred Delvau (1860, version longue)
- Le cabaret de la mère Marie vue par La Chronique illustrée (1869)
- Le cabaret de la mère Marie vu par Charles Virmaître (1887)
La Belle Moissonneuse
Le bal de la Belle Moissonneuse, fondé en 1823, était installé 31 rue Nationale (ancienne numérotation).
Et encore...
- Le cabaret du Pot-d'étain (1864)
- Un bal anonyme aux Deux-Moulins - Maxime du Camp (1875)
- Le cabaret des Peupliers - J.-K. Huysmans (1880)
D'autres établissements du 13e arrondissement eurent des renommées furtives ne consistant qu'à les citer sans entrer dans les détails. Si d'aventure, des éléments d'information étaient découverts, nul doute qu'ils auraient alors leur page. C'était le cas pour :
- Le bal des Fleurs ;
- Le bal Arnold dit le "bal des Boches", fermé en 1886, 161 boulevard de la Gare ;
- Le bal Péru ;
- Le bal des Troubadours, 73 boulevard d'Italie (Auguste-Blanqui) ;
- Le bal Bern, 127 boulevard d'Italie (Auguste-Blanqui).
Le bal du Progrès, 36 boulevard de l'Hôpital, souvent rattaché au 13e arrondissement, était en fait dans le 5e.