Dans la presse...



De septembre 1890 à mars 1891, l'éphémère quotidien socialiste L'Égalité publia, quasi quotidiennement, sous la signature d'Auguste Lagarde, une série d'articles intitulée "Cabarets, bouges et assommoirs" répartie en plusieurs groupes dont "Cabarets modernes ayant cessé d’exister" et "Cabarets existants". Quelques établissements du 13e arrondissement furent l'objet de ces études.

Cabarets, bouges et assommoirs

Cabarets modernes ayant cessé d’exister

La Morgue — Le Petit-Louvre dit la « Chique morte »

Peu de Parisiens, — à part les fureteurs et les chercheurs, — ont connu un affreux tapis franc de la Cité Doré qui avait pour enseigne : Au rendez-vous des amis mais que l’on appelait communément : À la Morgue.

La Cité Doré, qui se compose de sept ruelles non accessibles aux voitures, sinon aux voitures... à bras, et qui compte une population d’environ huit cents personnes, possède, cela va sans dire, un certain nombre de comptoirs à boissons, mais tous, à peu de chose près, ont la même physionomie banale, et la Morgue a été jusqu’à présent le seul qui ait eu des traits distinctifs nettement accusés,

La Cité Doré est peu connue quoiqu’on en parle bien souvent. Quant à son histoire, elle est absolument ignorée.

Au commencement de ce siècle, il y avait, dans le XIIIe arrondissement d’aujourd’hui, entre le boulevard de la Gare, la rue Jenner et la place Pinel, une sorte de château dégénéré qu’encadraient des cabarets des guinguettes et des bals publies du dernier ordre. On appelait cette habitation le Château de Bellevue.

Quand les limites de la capitale furent reculées jusqu’au boulevard de la Gare, un spéculateur, nommé Stuart, acheta le château et le transforma en débit de chopes. Il devint la Brasserie écossaise, qui n’eut qu’un médiocre succès. En 1831, elle fut achetée à vil prix par M, Cochrane, qui fit de vains et coûteux efforts pour y attirer le public.

Quelque temps après, un fonctionnaire de l’École polytechnique, M. Doré, s’en rendit acquéreur, et y ajouta un grand terrain contigu qu’il fit planter d’arbres et entourer d’un mur en maçonnerie. Le Château de Bellevue cessa d’être une brasserie pour devenir un parc d'agrément d’une assez grande étendue (douze mille mètres carrés environ).

Mais, pendant longtemps, ce terrain avait été l’endroit préféré où les soldats avaient coutume d’aller vider leurs querelles. Ce qu’il y avait eu de duels dans ce Pré-aux-Clercs moderne ne saurait s’imaginer. Le mur de clôture qu’y avait fait élever M. Doré ne changea rien aux habitudes acquises : on ne pouvait plus y pénétrer, cela est vrai, mais on escaladait l’enceinte et cela revenait au même. Peu à peu, on fit ensuite une brèche par où duellistes et maraudeurs passaient à leur aise. M. Doré fit fermer ce trou ; on en fit un autre à quelques pas plus loin. Le public paraissait tenir énormément à la fréquentation gratuite de ce parc, et pour l'en expulser, il eût fallu faire des dépenses relativement considérables. Cependant M. Doré voulait utiliser sa propriété, ce qui n’était pas très aisé. Il essaya de la vendre. Aucun acquéreur ne se présenta. C’est alors qu’il prit le parti de la diviser en petits lots qu’il loua aux ouvriers avec la faculté d’y bâtir, le tout payable par acomptes de trois francs par semaine.

Telle est l’origine de cette agglomération de demeures infimes et malsaines. On lui a conservé le nom de M. Doré. C’est donc la Cité Doré qu’il faut dire, et non la Cité Dorée, comme on l’a imprimé tant de fois. Privât d'Anglemont lui avait donné la dénomination de Villa des Chiffonniers.

Vestiges d'un commerce de vins à la cité Doré photographié en juin 1922 par Édouard Desprez (détail)
© Édouard Desprez / DHAAP

La plus grande partie de la population appartient en effet à la corporation des chiffonniers ; il y a aussi des allumeurs de réverbères, des bouchonniers, des brossiers, des casquettiers, des découpeurs en papier, des polisseurs, des tondeurs, des rempailleurs, des étameurs, etc. Mais les philosophes du crochet y sont les plus nombreux. Ce sont eux qui gouvernaient et régnaient à la Morgue. Ils y avaient même établi — et ce détail a bien son prix — une manière de constitution verbale pour régler leurs rapports sociaux au cabaret. Les biffins s’étaient divisés en trois catégories : la première comprenait ceux qui avaient une hotte en bon état et un crochet en fer luisant : c’étaient les pairs. La seconde était composée des malheureux ne possédant qu’un cabriolet avarié ou un crochet hors d’âge. On les appelait les sénateurs.

Les manants du chiffonnage qui, faute d'un mannequin, en étaient réduits à fourrer leur récolte dans un sac, formaient la troisième catégorie : c’étaient les députés.

Ces trois classes de la chiffonnerie avaient chacune leur place parfaitement délimitée. Les pairs ne devaient pas se mêler aux sénateurs, et réciproquement. Les uns et les autres étaient tenus de se saouler entre eux et de ne pas faire commerce de égigues avec leurs voisins Ce qu’il y a de surprenant, en vérité, c’est que cette charte, bâclée sur un comptoir, au milieu des canons, ne fut jamais violée, ou si peu qu’il ne vaut pas la peine d’en parler. Parfois, en effet, dans les soirs de grande liesse, quelques députés ou sénateurs franchissaient leurs lignes de démarcation, mais ce n’était jamais que pour se flanquer de consciencieuses tripotées, après quoi chacun reprenait son rang. Bien plus, jamais personne ne songea à demander la révision de cette constitution, qui mourut de vieillesse. Quel exemple pour certains hommes politiques de nos jours !

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On mangeait à la Morgue, où les ragoûts ne coûtaient que quatre ronds, mais personne n’a jamais su à quels animaux de la création étaient empruntées les viandes composant ces fricots. Les assiettes étaient en tôle, les couteaux en plomb, les gobelets en fer-blanc et les ustensiles étaient fixés à la table au moyen de longues chaînettes en fer. On pouvait s’en servir, mais non les emporter. Pour les bouteilles, c’était différent : on les délivrait au comptoir contre un cautionnement de quinze centimes, cautionnement qui était restitué à celui qui rapportait la bouteille. C’était un moyen fort simple pour le cabaretier de n’avoir jamais de discussion avec les clients à propos de casse ; cela le dispensait du même coup d’avoir à s’assurer si quelque sénateur indélicat ou quelque pair distrait n’avait pas mis la bouteille dans sa poche, chose qui se produisit, paraît-il, plusieurs fois par jour, avant l’institution du cautionnement.

Cette mesure cependant avait un mauvais côté, pour le consommateur. Ainsi, il arrivait souvent qu’un pauvre diable, alourdi par l’ivresse avant avoir bu tout son vin, s’assoupissait un instant sur le coin de la table. À son réveil, plus de bouteille, un filou l’avait apporté au comptoir et s’était fait rembourser le dépôt. Ces actes d’indélicatesse donnaient lieu à des querelles sans fin, qui se renouvelaient à chaque instant.

La boisson fantastique portant le nom de vin se tenait sur le comptoir dans un immense chaudron quoi appelait le Moricaud. On y puisait à même avec une écuelle en bois munie d’un long manche.

Le cabaret de la Morgue existait encore en 1869, mais il avait déjà perdu une partie de son originalité. Les chiffonniers, toujours en grand nombre, avait déchiré leur constitution et n’étaient plus parqués par catégories. Il parut du reste que la Morgue, avec ses sénateurs et ses députés, n’avait fait que copier la classification des Deux chiens de faïence, à la barrière de Montparnasse, tapis franc d’il y a quarante ans, où il y avait une chambre des pairs et une chambre des députés. Ces inoffensives plaisanteries ont servi dans deux autres cabarets, disparus depuis longtemps. Le Paris actuel n’offre rien de semblable.

Le petit Louvre

La Cité Doré a possédé un autre cabaret typique plus infime encore que la Morgue, si cela est possible. On l’avait surnommé le Petit-Louvre par antithèse ; on l’appelait aussi A la Chique morte, à cause des singulières primes que l’on délivrait aux consommateurs : tout individu ayant fait une dépense de six sous recevait gratuitement une chique morte, c’est-à-dire une chique qui avait déjà servi ; pour une dépense de cinquante centimes, on avait droit à une chique neuve, en bon et vrai caporal. Quand l’addition s’élevait à un franc, trois chiques neuves ou cinq mortes. La progression n’allait pas plus loin. Nota : Les chiques neuves étaient reprises au comptoir à raison de trois pour un sou.

Le Petit-Louvre n’était pas originaire de la cité Doré. Il avait été créé en 1853 à la Cité des Chasseurs, une sorte de passage boueux, puant et fétide qui débouchait au n°31 du chemin d’Asnières, près du chemin de fer de ceinture. Les deux côtés de cette voie de circulation, avaient pour habitations de misérables huttes en bois, dont les planches vermoulues et disjointes laissaient pénétrer jusque dans l’intérieur le regard des rares passants. Pour toitures, une toile goudronnée recouverte de paille ; pour cheminée, un tuyau de poêle crevé et pour fenêtre un trou ovale deux fois grand comme la main.

Vers le milieu de son parcours, la Cité des Chasseurs s’élargissait un peu, et l’on se heurtait alors à un terre-plein inimaginable, composé d’ordures d’immondices et de détritus de toute espèce. Sur ce terre-plein, changement à vue il y avait plus, pour logis, des huttes en planches mais bien des caisses de voitures de saltimbanques posées tout bonnement sur le fumier. Les roues et les brancards avaient probablement servi à faire du feu. On montait dans ces invraisemblable demeures par des escaliers de quatre à cinq marches formées par des pierres chancelantes. Tout sentait le délabrement le plus absolue, la misère la plus horrible. On sortait de là le cœur serré.

C’est dans cette incomparable cité que nous fûmes conduits en 1866 par les exigences de notre métier de reporter à la Liberté, car le boucher Davinant qui avait assassiné le malheureux Duguet, venait d’y être arrêté et il fallait donner au public les détails les plus précis. Après de longues recherches, l’assassin avait été trouvé dans le cabaret dit du Petit-Louvre, d’où il ne sortait presque pas, s’y croyant à l’abri de toute surprise. C’est à cette occasion que nous vîmes de près cet horrible bouge. Il était placé tout au fond de la cité, près du terre-plein, ou il occupait une cabane d’environ huit mètres de superficie. Son enseigne, tracée à la main, ne manquait pas d’esprit. Elle était conçue ainsi :

AU PLUS PETIT DÉBIT DU MONDE
Vins et liqueurs. — Sans billards

Sa clientèle se composait de balayé purs de rues d’égoutiers et d’une respectable quantité de mendiants et de faux estropiés.

— Et les affaires ? demandâmes-nous au patron ça va-t-il un peu ?

— Pas trop, Monsieur, les temps sont durs et puis, cet homme que l’on a arrêté ici, ça va me faire du tort.

— Bah ! vous n’êtes pas responsables de vos clients.

Après la disparition de la Cité des Chasseurs en 1867, le taudis en question fut transféré à la Cité Doré, dans la même maison qui avait vu naître et mourir la Morgue. Mais celui-ci ne fut pas plus heureux que celui-là, et lorsque la guerre éclata, la Chique morte fut fermée pour ne plus se rouvrir. Son patron, un Belge d’Anvers n’y avait pas fait fortune, malgré son ingénieuse prime des chiques. Il s’enrôla, soldat volontaire dans le régiment des sapeurs-mineurs, qu’il déserta trois semaines après avec armes et bagages.

Auguste Lagarde
 

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Le Puits artésien de la Butte-aux Cailles

L'achèvement prochain des travaux du puits artésien de la place Hébert est venu nous rappeler un autre puits du même genr dont le forage fut commencé presque à la même époque que celui du puits des hauteurs des Belleville, mais tombé complètement dans l'oubli depuis une vingtaine d'années : nous voulons parler du puits artésien de la Butte-aux-Cailles. (1889)

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L'état des projets pour le XIIIe arrondissement

Les travaux commencés l'année dernière pour le raccordement des boulevards d'Italie et des Gobelins sont sur le point d'être terminés. On achève le macadam et les trottoirs de la dernière fraction du parcours. (1864)

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Le boulevard Saint-Marcel

Avant de commencer mon article sur le treizième arrondissement, je crois utile de parler spécialement de sa ligne frontière, du boulevard Saint-Marcel, qui en constitue la limite septentrionale.
Cette grande voie, qui a coupé le marché aux chevaux, écorné l'ancien cimetière de Clamart et absorbé la petite place de la Collégiale, a été enfin tracé onze ans après avoir été décrété d'utilité publique (17 août 1857). Mais a-t-elle été exécutée de manière à donner satisfaction aux intérêts des quartiers qu'elle traverse, aux intérêts des propriétaires et des habitants qui se trouvent dans son voisinage ? (1868)

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L’empoisonnement de Paris

La Bièvre est l'une des causes les plus actives de l'empoisonnement parisien. Ce ruisseau, chanté par les poètes, sur les bords duquel Rabelais aimait à se promener et qui a inspiré des idylles à Benserade, n'est en réalité qu'un égout à ciel ouvert. (1884)

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La catastrophe du boulevard de la Gare

Au sortir du pont de Bercy, sur la rive gauche de la Seine, s'ouvre le boulevard de la Gare qui va de ce pont à l'ancienne barrière d'Italie, au bout de la rue Mouffetard. (1867)

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Saviez-vous que... ?

En 1897, il y avait un magasin de porcelaine au 196 de l'avenue de Choisy dans laquelle le cheval du fiacre n°7119 entra le 26 mars…

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Le XIIIème arondissement comptait 72.203 habitants en 1876 et 92.221 en 1881 soit une augmentation de 20.018 habitants. Paris, en totalité en comptait 1.988.806 et 2.225.910, ces mêmes années.

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En septembre 1896, M. Perruche, commissaire de police des quartiers de la Salpêtrière et de Croulebarbe était amené à enquêter sur le vol d'un perroquet.

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C'est par un décret en date du 9 septembre 1861 que la rue militaire longeant les fortifications est devenue boulevard de ceinture et et c'est en 1864 que les 19 sections de ce boulevard reçurent un nom soit en ce qui concerne le 13e arrondissement,boulevard Masséna entre la porte de la Gare et la porte d'Italie et boulevard Kellermann entre la porte d'Italie et la porte de Gentilly. Il fallut de très longues années pour que le boulevard Kellermann fut nivellé, viabilisé puis élargi à 40 mètres.

L'image du jour

Rue de la Fontaine-à-Mulard