Les bals de Paris
Avant-propos
L'Égalité — 12 mars 1891
Depuis un demi-siècle les habitudes du public parisien ont subi un changement dont on ne s’est pas aperçu tout d’abord, mais qu’il est aisé de constater aujourd’hui que cette évolution est accomplie.
Sous le premier Empire, sous la restauration, sous la monarchie de Charles X et de Louis Philippe, les bals publics étaient extrêmement nombreux à Paris.
Aujourd’hui il n’y en a presque plus. Les bals publics s’en vont. Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Nous n’avons pas à examiner cette question. Nous constatons sans discuter.
Cette décadence des bals tient à des causes multiples.
Les cafés-concerts d’abord lorsqu’ils ont pu être de véritables théâtres, leur ont porté un coup terrible en créant pour la majorité du public qui s’amuse, un autre courant de divertissements.
Puis sont venues les brasseries et buvettes à dominos, si nombreuses aujourd’hui, qui toutes sans exception ont recruté leur personnel dans les bals, entamant ainsi à ces derniers un de leurs attraits les plus puissants. Les héroïnes du quadrille, les danseuses chic s’étant réfugiées dans les établissements à bocks, le public les y a suivies. C’est logique.
Les Sociétés privées lyriques, littéraires, industrielles, musicales, commerciales et autres, au nombre de plus de cent cinquante, ont été pour les bals une troisième cause de ruine et peut-être la plus active. Toutes ces Sociétés donnant des soirées dansantes, toujours très suivies : Autant de perdu pour les bals publics.
Ajoutez à cela les tramways qui permettent aux Parisiens d'aller passer ajournée du dimanche dans les localités avoisinant Paris moyennant la bagatelle de 15 centimes. On a folâtré dans les sentiers des bois, on a dîné sur l’herbe, on a cueilli des fleurs dans les champs, et on rentre à dix ou onze heures du soir, trop fatigué pour songer à la danse.
Vous voyez que les bals devaient fatalement mourir et en effet, ils sont morts ou à peu près. Presque tous ont disparu, ainsi qu’on le verra par la suite, et la spéculation n’a pas songé à les remplacer.
Autrefois les bals se tenaient dans des jardins champêtres ou dans des enclos de vignes, Lieux de réunions populaires où nos pères allaient se divertir et que l’on appelait des Courtilles. C’étaient les cafés de l’époque. Quelquefois cependant, ces enclos faisaient partie de quelque domaine seigneurial, comme celui de Barbette par exemple, qui appartenait au prévôt des marchands et celui de la Ville l’Évêque, où le public n’avait pas accès.
Dans ce cas le populaire avait recours à d’inoffensives épigrammes « Vignes de Courtilles, disait-il dédaigneusement, belle montre et peu de rapport ». D’autres fois il se vengeait par l’incendie ainsi que cela eut lieu pour l’enclos des Barbettes, qui fut bel et bien livré aux flammes.
Le petit enclos des Tournelles qui n’était à tout prendre qu’un grand jardin, fut assidûment fréquenté par Jehan de Meung, ce compère de si joyeuse mémoire ; François Rabelais, de son côté allait demander des inspirations à la rive bouteille dans une petite et verdoyante couraille de la rive des jardins Saint-Paul.
Mais la plus fameuse de ces соurtilles, la plus spacieuse, la plus bruyante, la plus pittoresque et aussi la plus à la mode était celle de Malevert, qui a été la dernier à disparaître. Elle occupait plusieurs jardins d'agrément qu’avaient possédés en cet endroit les religieux du Temple, alors que Belleville était un pays de vignobles et de culture. Pendant des siècles la renommée s’est attachée à ce lieu de joyeux ébats, et il n’y a pas bien longtemps que l’on allait encore y contempler ce que l’on appelait la Descente de la Courtille.
Les premiers bals s’y installèrent à la fin du dix-septième siècle et leur succès fut immense. Sous la Régence, les seigneurs de la cour, ainsi que Mme de Parabère, Mme de Prie et d’autres grandes dames ne dédaignèrent pas d’y aller s’y divertir a l’abri d'un travestissement. Le 20 octobre 1721, le terrible bandit Cartouche qui se réfugia : à Belleville dans une maison dite du Diable, située rue des Couronnes, 33, fut arrêté dans une des guinguettes de la Courtille qui avait pour enseigne à la Haute-Borne, et dès lors la vogue de ces lieux d’amusement ne connut plus de limites. Tout Paris voulut y aller.
Vers le milieu du règne de Louis XV, l’État racheta la Courtille et y fit bâtir une caserne ; mais les établissements de plaisir continuèrent à y prospérer. La Révolution qui bouleversa la France entière, hommes et choses, ne toucha pas à la Courtille. Son heure n’était pas encore venue.
Sa période la plus florissante a été de 1815 à 1830. Le bas de la rue de Belleville, depuis les grilles jusqu’à l'endroit où est maintenant le théâtre présentait alors un aspect unique dans Paris. Des deux côtés on ne voyait que des bals, des guinguettes, des cafés et des chalets où l’on débitait spécialement le vin de Suresnes et d’Argenteuil.
Auguste Lagarde
Bals de Paris, bals de barrière, cabarets, bouges et assommoirs
De par sa position géographique, le 13e arrondissement était une terre propice au développement à son voisinnage des établissements vendant des produits soumis à l'octroi. La naissance du secteur des Deux-moulins tient là son origine. Marchands de vins, salles de bal et autres s'installèrent face à Paris avant de devenir parisiens en 1860. Après la sociologie propre au 13e arrondissement a fait le reste.
Promenade à tous les bals publics de Paris, barrières et guinguettes de cette capitale (1830)
Physiologie des barrières et des musiciens de Paris par E. Destouches (1842)
Paris qui danse par Louis Bloch et Sagari (1889).
Les articles de L'Égalité (1889-1891)
Durant sa courte existence, l'éphémère quotidien socialiste L'Égalité (958 numéros entre février 1889 et octobre 1891) s'intéressa à plusieurs reprises aux bals publics de Paris et aux débits de boissons. Il republia des séries d'articles (qui y reprenait, parfois avec moins de détails des textes parus en 1885 et 1886) sous les signatures d'Emmanuel Patrick et d'Auguste Lagarde (en fait Louis-Auguste Lagarde, décédé en 1890, qui utilisait ces pseudonymes), qui entrainèrent les lecteur dans tous les coins de Paris y compris les plus infâmes du 13e arrondissement.
Les bals de Paris par Emmanuel Patrick
"Les bals publics de Paris se divisent en deux-catégories : les bals proprement dits avec orchestre, et les musettes, où il n'y a pas d'orchestre. Mais par suite de l'extension arbitraire donnée au mot musette on comprend sous cette dénomination tous les petits bals n'ayant qu'un instrument de musique, violon, harpe ou piano. Ceux même qui ont à la fois un violon et un autre instrument sont rangés également parmi les musettes ; — cette classification est absurde, mais elle est généralement adoptée, à cause peut-être de sa flagrante absurdité.
Comme nous faisons une monographie des bals et que nous n'avons pas la secrète ambition de réformer le langage, ce qui d'ailleurs serait une entreprise au-dessus de nos moyens, nous allons adopter tranquillement la classification idiote dont on se sert partout, c'est-à-dire que les petits bals de marchands de vins, qu'ils aient un violon ou un orgue de Barbarie, seront appelés musettes. Voilà le lecteur averti."
Louis-Auguste Lagarde
- Le bal du Siècle - L'Égalité — 4 juin 1889
- Le bal Giraldon - L'Égalité — 4 juin 1889
- Les bals-musettes - L'Égalité — 12 juin 1889
Cabarets, bouges et assommoirs par Auguste Lagarde
Cabarets modernes ayant cessé d’exister
Cabarets existant
- L’Assommoir des Deux-Moulins - L'Égalité — 16 janvier 1891
- Le Bois tordu du boulevard de la Gare / Les Deux Moulins du boulevard de l’Hôpital - L'Égalité — 17-18 janvier 1891
Les bals de Paris - Deuxième partie par Auguste Lagarde
Bals disparus
- Avant-propos - L'Égalité — 12 mars 1891
- Le bal Figeac, 93 boulevard de la Gare - L'Égalité — 23 avril 1891
Autres lieux
Le cabaret de la Mère Marie, barrière des Deux-Moulins
- Le cabaret de la mère Marie vu par Alfred Delvau (1859, version courte)
- Le cabaret de la mère Marie vu par Alfred Delvau (1860, version longue)
- Le cabaret de la mère Marie vue par La Chronique illustrée (1869)
- Le cabaret de la mère Marie vu par Charles Virmaître (1887)
La Belle Moissonneuse
Le bal de la Belle Moissonneuse, fondé en 1823, était installé 31 rue Nationale (ancienne numérotation).
Et encore...
- Le cabaret du Pot-d'étain (1864)
- Un bal anonyme aux Deux-Moulins - Maxime du Camp (1875)
- Le cabaret des Peupliers - J.-K. Huysmans (1880)
D'autres établissements du 13e arrondissement eurent des renommées furtives ne consistant qu'à les citer sans entrer dans les détails. Si d'aventure, des éléments d'information étaient découverts, nul doute qu'ils auraient alors leur page. C'était le cas pour :
- Le bal des Fleurs ;
- Le bal Arnold dit le "bal des Boches", fermé en 1886, 161 boulevard de la Gare ;
- Le bal Péru ;
- Le bal des Troubadours, 73 boulevard d'Italie (Auguste-Blanqui) ;
- Le bal Bern, 127 boulevard d'Italie (Auguste-Blanqui).
Le bal du Progrès, 36 boulevard de l'Hôpital, souvent rattaché au 13e arrondissement, était en fait dans le 5e.