L'Exode des « Biffins »
Gil Blas — 16 août 1898
Nous avons parlé tout récemment d'une fête que donnèrent les sept cents chiffonniers de la cité Tolbiac à l'occasion des noces d'argent de leurs concierges.
Autre nouvelle qui porte un coup cruel aux chevaliers de la hotte : les sept cents locataires viennent de recevoir congé en bonne et due forme et ils devront vider les lieux pour le 1er janvier.
C'est, on en conviendra, un triste lendemain de fête et on s'imagine aisément la surprise et les lamentations des habitants de la cité. Car ils sont tous « biffins » et se trouvaient, très bien dans le vaste terrain où ils sont actuellement installés dans le treizième arrondissement, derrière la rue de Tolbiac, entre les rues Barrault et Auguste-Lançon.
Une promenade chez les chiffonniers nous à bien vite éclairé sur la situation.
Rue Barrault, une longue balustrade en planches au-dessus de laquelle émergent çà et là des tournesols.
À l'intérieur de cette barrière, est une longue suite de cabanes aux formes les plus bizarres, faites d'éléments disparates qui font ressembler la cité à ce village noir qui fit, il y a deux ans, courir tout Paris au Champ de Mars. On y voit même un vieux wagon installé sur des poutres, qui sert de logis à toute une famille. Entre toutes ces cahutes, court un chemin recouvert de tessons de verre et de faïence, dans lequel grouillent pêle-mêle de nombreux bambins très court vêtus et des chiens de toutes les grosseurs et de toutes les races. Au milieu de la cité est un puits commun recouvert de planches.
— Nous sommes navrés d'avoir à déménager nous dit la concierge : on était si tranquille, on s'entendait si bien ! Jamais de dispute. Au 1er janvier, il faut que le terrain soit libre. Les trois quartiers de la cité : les Singes, Madagascar et le Tonkin, seront déserts.
Comme bien on pense, les pauvres chiffonniers invoquent tous les saints du paradis pour qu'on les tire de ce mauvais pas.
Nous voulons croire qu'on ne les laissera pas sur le « tas ».
A. O.
Chiffons et chiffonniers dans le 13e
Territoire en marge de la capitale, le 13e accueillait d'importantes communautés de chiffonniers qui se répartissaient en plusieurs points de l'arrondissement. Ces activités commencèrent à décliner à partir des années 1880 notamment à la suite de l'arrêté du 24 novembre 1883 dit "arrêté Poubelle", entré en vigueur le 15 janvier 1884, organisant l'enlèvement des ordures ménagères et prescrivant la mise en place par les propriétaires d'immeubles de récipients ad hoc à disposition de leurs locataires.
Les lieux
- La Cité Doré par Alexandre Privât d'Anglemont (1854)
- Le Cabaret du Pot-d’Étain (1864)
- La rue Harvey (1889)
La "Cité Tolbiac"
L'expression "Cité Tolbiac" est apparue dans la presse uniquement en août 1898. L'entrée de cette cité était peut-être située dans l'impasse Sainte-Marie, voie de 35 mètres sur 4 débouchant dans la rue de Tolbiac (impasse Tolbiac avant 1877).
- Les concierges des chiffonniers (Le Petit Journal — 5 août 1898)
- La Cité Tolbiac (La Patrie — 16 août 1898)
- La cité Tolbiac (Le Figaro — 16 août 1898)
- L'Exode des « Biffins » (Gil Blas — 16 août 1898)
- Le monde de la hotte (Le Gaulois — 20 août 1898)
Les gens
- Chiffons et chiffonniers (1872)
- Les chiffonniers de la Butte-aux-Cailles (1875)
- Portrait d'un chiffonnier de la Butte-aux-Cailles (extrait du précédant - 1877)
- La villa des chiffonniers (1897)
L'arrêté Poubelle et ses conséquences
L'arrêté du préfet de la Seine organisant l'enlèvement des ordures ménagères via une règlementation des réceptacles et des heures de dépôts et de ramassage allait mettre à mal la corporations des chiffonniers. Quelques journaux s'en émurent et organisèrent des campagnes de soutien aux "chiffonniers affamés à plaisir par l'administration" selon l'expression du Gaulois qui ne faisait pas dans la modération sur cette affaire.
- Arrêté du 23 novembre 1883 dit "arrêté Poubelle" (1883)
- Les chiffonniers de Paris (Le Gaulois — 17 janvier 1884)
- Une première distribution - Ve et XIIIe arrondissement (Le Gaulois — 23 janvier 1884)
- Conseil municipal – Séance du 8 février (Le Gaulois — 9 février 1884)
- L’enlèvement des ordures ménagères (Le Gaulois — 26 février 1884)
Dans la littérature
