Mille ans sous terre
Le Petit-Journal — 1er octobre 1871
Dans un quartier de Paris, renommé par ses tanneries, ses peausseries, et surtout par la manufacture des Gobelins, hélas ! incendiée en partie, est un vaste terrain, où s'élevait jadis une église dédiée à saint Martin, au faubourg Saint-Marcel.
Saint-Marcel était évêque de Paris, à la fin du quatrième siècle ; il mourut vers 440 et fut enterré dans le cimetière que l'on vient de découvrir. Selon la légende, le saint évêque avait délivré le pays d'un serpent monstrueux qui l'infestait.

Là, tout auprès des ruines pittoresques de la chapelle Saint-Marcel, construite sous Louis le Débonnaire en 840, était le couvant de la Collégiale, dont les moines et les abbés se faisaient enterrer dans le vaste cimetière qui l'entourait.
Longtemps ce cimetière resta oublié, et nulle habitation ne s'éleva sur son emplacement. Plus de mille ans se sont écoulés, et on vient enfin de décider qu'on bâtirait des maisons afin de loger des vivants sur les morts.. C'est en creusant des fondations profondes, dans l'angle de l'avenue des Gobelins et du boulevard Saint-Marcel que la pioche a heurté sur des cercueils de pierre enfouis là pendant dix siècles.

Aussitôt on a délégué un inspecteur des arts et métiers, et sous ses yeux les fouilles se continuent.
Les bières sont comme incrustées dans la terre et sont hermétiquement fermées par un lourd couvercle de pierre, où l'on cherche à découvrir quelque inscription demi rongée.
C'est ainsi qu'on a appris que des saints et des évêques de Paris étaient inhumés dans cette antique nécropole, nous avons lu, sur une tombe le nom de sanctus Godepire saint qui ne se trouve plus sur les calendriers.
Tous ces lourds tombeaux sont superposés l'un sur l'autre, et se trouvent, disséminés sans ordre au fond de la terre.
Il en est de tous petits, comme ayant appartenu à de jeunes enfants.
Il en est d'autres, d'énormes, ayant enseveli sans doute quelque gros abbé. On en trouve également en plâtre, où l'on peut apercevoir des ornements moulés grossièrement.

Mais, dans aucun d'eux, on ne trouve trace de joyaux, de verroteries ou de bagues de matière d'or ou d'argent ayant appartenu ceux qui y furent ensevelis.
Seulement on y trouve des tibias, des têtes et des côtes presque pétrifiés ; que l'on transporte, au fur et à mesure de leur découverte, au grand réceptacle des morts les Catacombes.
Bientôt la petite chapelle Saint-Marcel va disparaître également, et l'on n'ira plus contempler ses ogives brisées, ses murailles où grimpe le lierre. De superbes maisons prendront sa place, et l'on trouvera encore, dans les prochaines fondations, les ossements pieux des religieux de Louis-le-Débonnaire.
Marc Constantin
Sur le boulevard Saint-Marcel
Le projet
- Le futur boulevard Saint-Marcel (Le Journal des débats politiques et littéraires ― 26 mars 1857)
- Le boulevard Saint-Marcel ― (Le Siècle 6 juin 1858)
- Le futur boulevard Saint-Marcel (Le Siècle - 22 juillet 1861
Les travaux
- Le percement du boulevard Saint-Marcel (1868)
- Interrogations sur le boulevard Saint-Marcel (1868)
- Le communiqué du Ministère de l'Intérieur en réponse à cet article
- La réponse de Ch. Louft à ce communiqué