Un square fortifié
Le Journal — 20 mai 1938

Que n'étiez-vous là, hier matin, J.-K. Huysmans, historien de la Bièvre et des Gobelins ; Gustave Geffroy, administrateur de la Manufacture et président de l'académie Goncourt après Huysmans ; et tous les vieux de la vieille aujourd'hui retraités ; que n'étiez-vous là, hier matin, pour assister à l'inauguration officielle du square magnifique construit à grands frais sur l'emplacement des jardins qui faisaient depuis-trois cents ans la plus belle des tapisseries exécutées par les artistes de la maison tour à tour royale et républicaine !
Ce fut beau, comme un enterrement de première classe, pour ces jardins défunts. Les cordons du poêle, qu'il ne faut pas confondre avec la queue de la poêle, étaient tenus par des personnages municipaux distingués, et l'on a prononcé naturellement l'éloge de ce que l'on venait de détruire. pour édifier quoi, sur les ruines ? Un square fortifié,- je dis bien, - un square en béton armé, à l'intention des enfants du quartier, qu'on invite, les pauvres petits, à venir s'ébattre là,, comme si l'on pouvait jouer avec entrain dans un bastion appelé à soutenir un siège !
Le treizième arrondissement n'avait pas de square pour sa population : on a fait d'une pierre meulière deux coups : l'un pour l'enceinte, l'autre pour les terrains de jeux. Les ombrages viendront plus tard; c'est plus long à pousser que les fûts de colonne sur lesquels on a posé pour faire peur à l'ennemi, d'énormes boulets catapultueux, comme en lançaient les Carthaginois ; si bien que les boulets du square semblent provenir d'un musée et le perpétuer en plein air.
« Quelque chose, me disais-je, manque à la fête. » Hé ! mais oui : ces lions de pierre qui gardaient autrefois le seuil des anciens châteaux convertis en demeures bourgeoises prétentieuses. Comment n'y a-t-on pas songé pour rehausser le lieu d'asile offert aux enfants du peuple bien sages ! Des gardiens seront là, d'ailleurs, pour les rappeler à l'ordre qu'ils troubleraient.
On a eu raison de dire qu'un pareil square est unique en son genre. On n'y voit pas que des pierres de taille ; les anciens bosquets dont prenaient soin, de père en fils depuis Louis XIV, les artistes de la Manufacturent leur petite famille ; ces bosquets sont à présent remplacés par d'élégantes cages à mouches qui serviront d'abris aux moucherons des environs.
Je me promets d'aller, en voisin, les voir s'amuser dans leur fortin. ; à moins qu'ils ne préfèrent, au prix d'un crochet, gagner le pare de Montsouris, qui est si frais, si paisible et dans la cuvette duquel, au moins, il y a de l'eau.
Cher petit parc, célébré par Louise Hervieu et Clarisse Francillon, que tu m'apparus charmant dans tes agrestes atours après ma visite à la belle ouvrage de maçonnerie qu'un ouvrier venait, à côté de moi, d'apprécier en ces termes exacts :
— Il y en a pour de l'argent !...
— Oui, répondis-je, mais la Ville de Paris est si riche !
Et je m'éloignai mélancoliquement, après avoir traversé une voie, nouvelle baptisée Berbier-du-Mets (?)
Quand je pense que le square fortifié aurait pu porter le nom de Gustave Geffroy, je ne regrette plus qu'il ait été donné plutôt à une ruelle voisine dont j'ai appris l'existence en passant.
Lucien Descaves
Sur le jardin des Gobelins :
Le verger des Gobelins (1914)
Les jardins des Gobelins menacés ? (1933)
Les textes fondateurs, loi du 6 juillet 1934 et convention :
- article 5 de la convention entre l’État et la ville de Paris pour l’organisation d’une exposition internationale en 1937 (1934)
- Texte intégral sur le site Gallica.fr
Contrairement à la légende habituellement véhiculée par le parti communiste français, René Le Gall (1899-1942), élu pour la première fois au Conseil Municipal de Paris en 1935, n'est absolument pour rien dans la création du jardin ouvert en 1938 et qui porte son nom depuis 1944,
Oasis faubourienne (1937)
Un jardin unique en son genre, celui des Gobelins, va être inauguré la semaine prochaine (1938)
Le square de la rue Croulebarbe - un des plus beaux de Paris - sera bientôt ouvert (1938)
L'inauguration vue par :
- Le Petit-Journal où l'on apprend que le mérite de la création du jardin des Gobelins revient à M. Gelis
- Ce Soir où l'on apprend que le mérite de la création du jardin des Gobelins revient à Louis XIV
- Le Populaire où l'on apprend que le mérite de la création du jardin des Gobelins revient à M. Deslandres
- L'Humanité où l'on apprend que le mérite de la création du jardin des Gobelins revient à M. Le Gall
- Le Journal où l'on apprend que ce "square fortifié" n'a pas du tout plu à M. Descaves