La Ville de Paris va-t-elle enfin s'occuper de la cité Jeanne-d'Arc ?
La démolition de ce boyau s'impose
Paris-Soir — 16 février 1931

Près de la place d'Italie, entre la rue Jeanne-d'Arc et la rue Nationale, la cité Jeanne-d'Arc forme une sorte de boyau gluant, sombre, bordé de mornes bâtisses de cinq ou six étages aux murs zébrés de longues moisissures. Dès la tombée de la nuit, le coin n'est pas sûr. À chaque extrémité papillotent des becs de gaz. Le centre demeure obscur. Des ombres inquiétantes vont et viennent. C'est la cour des miracles des clochards du quartier.
Et pourtant, il ne faudrait pas croire que ce coin soit habité par des hors la loi. Loin de là. Les quelques milliers de quelque mille personnes — la population d'un gros village — qui vivent cité Jeanne-d'Arc sont tous locataires de la Ville de Paris.
Car c'est la Ville de Paris qui est la propriétaire de ce no man's land qu'elle ne se décide pas à moderniser.
— Il y a dix ans que j'occupe cette loge, nous dit un portier, et il y a dix ans que j'entends parler de démolition imminente et de reconstruction rapide.
Mais l'effort de la Ville se borne là. Des architectes viennent, prennent des mesures, disparaissent pour ne jamais revenir.
— Êtes-vous certain que les habitants de la cité tiennent tant que cela à être expulsés ?
— Mais certainement, à condition, bien entendu, de pouvoir revenir habiter les nouvelles maisons. En général, ce sont de braves gens, des ouvriers qui restent ici parce qu'ils ne trouvent rien ailleurs. Au premier étage, j'ai vingt locataires. L'un est surveillant au métro, l'autre conducteur de la T.C.R.P., celui-ci terrassier, celui-là gardien de la paix. Tous ont des enfants qui, faute de place dans la rue, en sont réduits à jouer sur les paliers, sans air, sans lumière.
Sans doute n'en est-il pas de même dans chaque immeuble. Mais, dans l'ensemble, la cité est paisible et laborieuse. De petites gens l'habitent, qui se résignent à la saleté et à l'ordure parce qu'ils ne peuvent faire autrement et que l'on trouve encore là des chambres à 30 francs par mois.
Il faut voir ces chambres, abominables taudis, puants, aux meubles délabrés, poisseux, en haut desquels, suinte une verdâtre humidité. Elles respirent la misère la plus horrible, la plus répugnante.
Les baraques de la zone, à Gentilly, elles-mêmes, avec leurs murs de planches, sont moins sordides.
Il paraît que la cité Jeanne-d'Arc dépend d'un gérant qui, lui-même, dépend directement de la Ville. On peut se demander ce que la Ville attend pour faire disparaître ce cloaque.
Ne va-t-on pas entreprendre sérieusement les travaux indispensables à l'hygiène la plus élémentaire ?
Pour l'instant, la vie continue semblable à ce qu'elle était il y a dix ans.
Les femmes vont toujours à la fontaine chercher leur eau ; les marchands de quatre-saisons crient les prix et la qualité de leurs légumes, et la nuit, clochards et repris de justice se réfugient sous les porches qu'on ne peut plus fermer.
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