Le canal latéral de la Bièvre
LePetit-Journal — 10 septembre 1878
Depuis longtemps, l'administration municipale cherchait un remède efficace aux miasmes pestilentiels que laissait échapper la Bièvre. Plusieurs projets étaient à l'étude ; celui du regretté M. Belgrand et de M. Couches, ingénieur en chef, et de M. Barabant, ingénieur des ponts-et-chaussées, vient d'être exécuté.
Il consiste dans un canal souterrain latéral à la Bièvre, destiné à conduire les eaux de cette rivière hors Paris, et de transformer radicalement cette vallée, qui embrasse une surface considérable. Ce canal permet de désinfecter complètement les quartiers de la rive gauche, de dessécher des marais et d'y élever des constructions considérables dans lesquelles les nombreux ouvriers de ce quartier n'auront plus à redouter les fièvres et d'autres maladies. Il reçoit les eaux de la Bièvre aux fortifications, au lieu-dit : la Poterne des Peupliers, et va jusqu'à la rue du Moulin-des-Prés à ciel ouvert ; il suit le boulevard d'Italie, la place d'Italie, le boulevard de l'Hôpital, la rue Duméril, et se jette dans le collecteur de la rue Geoffroy-Saint-Hilaire qui conduit les eaux, en suivant les quais de la rive gauche jusqu'au syphon de l'Alma ; là les eaux traversent la Seine par ce syphon et prennent le collecteur de la rive droite, qui les conduit à Asnières.
Entre la rue du Moulin-des-Prés et le boulevard Saint-Marcel, il est percé en souterrain dans les calcaires marins, et traverse les bancs dits : coquilliers blancs et rouges, composés essentiellement de madrépores, d'oursins farineux, de grains de quartz et de glossopètres ; il est situé, en amont, à 2 mètres au-dessous du niveau actuel de la Bièvre et suit les rues indiquées ci-dessus avec une pente régulière de 2 millimètres et demi par mètre ; dans la traversée de la rue du Moulin-des-Prés et de la place d'Italie, il se trouve à 35 mètres au-dessous du sol.

Source : © Charles Marville / BHVP / Roger-Viollet
L'œuvre dont nous parlons est une des plus importantes qui se sont produites depuis une dizaine d'années, à cause des nombreuses difficultés que rencontraient les ingénieurs et-surtout l'entrepreneur, M. Lazie, qui a accompli ce travail gigantesque à la satisfaction de l'autorité.
La longueur totale de la percée est de 1.700 mètres : elle a été faite au moyen de mines à la dynamite, et a nécessité l'emploi de 122,000 cartouches de 100 grammes, soit une moyenne d'environ 550 coups de mines par jour. Ajoutons qu'a ce travail dangereux n'a causé aucun accident. On ne saurait trop féliciter les agents de l'administration et les artificiers de ce résultat, surtout quand on pense aux nombreux malheurs causés dans les derniers temps par ces matières explosibles. La percée, si elle avait été faite au commet au pic, aurait coûté à la Ville 1,800,000 francs, tandis qu'elle ne coûte, avec la dynamite, que le tiers.
450 ouvriers travaillaient nuit et jour à cette œuvre gigantesque. Ils communiquaient avec le souterrain par 18 puits circulaires, ayant une profondeur moyenne de 28 mètres. 48,500 étais en chêne étaient placés afin d'éviter le moindre éboulement qui aurait pu gêner la circulation sur la voie publique.
La partie en souterrain est entièrement terminée et coûte environ un million.
Par ces travaux, ce quartier, si longtemps abandonné, entrera dans une nouvelle ère de prospérité, et les ingénieurs du service des eaux et des égouts auront rendu au 13e arrondissement et à tous les quartiers de la rive gauche les plus grands services.