Littérature



"Un gosse"

roman par Auguste Brepson

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Deuxième partie

IX

Vivent les vacances !
À bas la rentrée !
Le mait' d'école à vendre,
La boutique à louer.
Pas de rouspétance :
Un coup de poing dans le nez !
V'id la récompense
Que vous méritez !...

Nous braillons cela en nous bousculant pour sortir, sous le nez des frères qui font les sourds, mais qui sourient quand même.

Les uns restent à Paris ; d'autres vont à la campagne ; d'autres — des cafards, des flatteurs, pour se faire bien voir —- à l'école des vacances.

J'y suis allé une fois, à cause des excursions que l'on m'avait tant vantées.

Quelle désillusion !

Au bout d'une heure de marche, sous l'inexorable soleil d'août, on avait échoué à la poterne Montempoivre, dans le fossé des fortifications !

Il y régnait une atmosphère étouffante chargée d'âcres effluves de terre surchauffée : pas un souffle ne remuait l'herbe rôtie parsemée de détritus et de tessons et des nuées de moustiques venaient nous harceler

Néanmoins, comme nous étions en vacances, il fallait en profiter. Les uns se mirent à jouer à saute-mouton, aux barres ; d'autres s'en allèrent tirer la soutane des frères, les suppliant avec des airs câlins et ridicules de faire une partie de ballon.

C'était des courtisans vils, jaloux les uns d'es autres, qui riaient quand les frères riaient, se précipitaient pour leur rapporter le ballon, applaudissaient à leurs beaux coups, ou bien leur faisaient des niches pour qu'ils roulassent dans l'herbe, ou encore feignaient de bouder pour qu'ils s'occupassent d'eux... et bien dépités, quand ils les laissaient tranquilles

En les regardant, je pensais, écœuré : Allez, vous avez beau faire... vous n'éviterez pas à la rentrée les beignes et les pensums !

Avec d'autres, incommodés comme moi par la température, je restai étendu dans l'herbe, m'ennuyant terriblement.

Ah ! ce que j'y pensais à mon coin du bois de Verrières !... à ma moelleuse pelouse des « Trois sapins ! »

Nous revînmes le soir, crevant de soif, de fatigue et de chaleur.

Je préfère pendant ces deux mois, vagabonder librement avec Pétard, Brocard, Gillequin, Ricaille et Camembert, ainsi nommé parce qu’il a des écrouelles, Trois-Pattes, parce qu'il boite, La Fouine parce qu’il déniche les coups à faire, et Louchébem, parce que son père est garçon boucher.

Nous sommes tous à peu près du même âge et également dépenaillés et morveux. Nous nous entendons très bien, et « falmuchons » fraternellement les « affaires ». Il y a bien parfois des chamailleries mais sans importance, comme chez les moineaux.

Nous traînons nos semelles un peu partout.

Nous allons aux fortifs dénicher des mulots ; dans le fossé, au pied de la muraille, attraper des salamandres. — Un jour j'en rapportai chez nous plein un mouchoir. Quand je l'ouvris, au grand effroi de ma grand'mère, elles s'enfuirent à travers la chambre, et, chose merveilleuse !... on n'en retrouva aucune !

Nous galopons sur la corniche au risque d’aller en bas nous rompre les os : nous tuons à coups de lance-pierres les « piafs » (moineaux) dans les arbres ou bien, nous laissant rouler le long du talus dans le fossé, nous nous engageons à la queue leu leu et à quatre pattes, dans le petit tunnel qui passe sous la route.

Il fait noir et humide, les mains tâtent des pierres visqueuses, de vieilles boites de conserve, des tessons et, à chaque instant, j’appréhende toucher le corps froid d’un serpent.

Soudain, on n’avance plus ; c’est La Fouine qui trouve quelque chose… Tout le monde pousse et braille et moi, je sens tout à coup l’angoisse m’étreindre à l’idée que la voûte pourrait s’écrouler et nous ensevelir tous !

Aussi je respire lorsque je retombe de l'autre côté, dans la lumière.

Nous tirons les cordons de sonnettes, chapardons des poignées de figues et de pruneaux à l'étalage des épiciers, grimpons au derrière des voitures, pendant que les autres, qui n'ont pu trouver place, crient : « Tapez au cul ! y a d'la morue ! »

Nous suivons les baptêmes en hurlant : « Parrain ! Marraine ! » et nous nous battons pour ramasser dans la boue des dragées en plâtre qui nous cassent les dents.

Nous mettons des pavés sur les rails des tramways, fumons des mégots, conspuons les cochers de fiacre, ou bien chantons en chœur.

Nous partons en maraude dans la banlieue, très loin, à un endroit qu'a déniché La Fouine. Nous nous y gavons de raisins noirs et, le soir, quand nous repassons la barrière avec nos faces barbouillées de jus violet, les gabelous nous regardent d'un air drôle.

Nous allons à la Seine pêcher des ablettes qui se fichent pas mal de notre épingle recourbée, et encore plus de notre appât : un gros ver qui se détend dans l'eau et se remet en pelote.

Nous prenons des bains de pieds, sans toutefois nous séparer de nos souliers que nous portons sur l'épaule, suspendus par les lacets, pour ne plus nous exposer à revenir pieds nus, comme la fois où des voyoux passant sur la berge, ramassèrent toutes les chaussures et les envoyèrent en plein mitan de l'eau !

Quelquefois nous « tirons notre coupe » au Port-à-l'Anglais, mais rarement, à cause qu'il y a aussi des « frappes » qui volent les habits.

Nous explorons le bois de Vincennes.

Nous allons au parc Montsouris jeter des pierres à la truite qui dort au fond de l'eau limpide, sur son lit de graviers ; au Jardin des Plantes, voir le boa derrière son carreau, engourdi dans sa couverture, les singes qui ont des derrières comme des tomates, se chercher les poux et les manger, faire des obscénités ou croquer des noisettes, suspendus par la queue, les crocodiles qui paraissent en tôle repoussée, le vautour qui ferme sa paupière sur une cocarde tricolore, l'hippopotame qui a l'air de suer du sang ; les ours qui se dandinent sur leur derrière d'une façon énervante...

Nous mettons des cailloux dans la trompe de l'éléphant.

Nous contemplons les lions ébouriffés et mélancoliques, les hyènes fétides et boiteuses et je fixe dans les yeux la panthère qui bâille pour l'hypnotiser, comme dans « L'homme aux yeux d’acier » de Louis Noir, car, à présent, je lis énormément : j’ai déjà dévoré Les mystères de Paris, La Dame de Montsoreau, Les trois mousquetaires, Le Bossu, que m'a prêtés Mme Pélissier, notre voisine, la blanchisseuse.

Nous ne manquons pas d'assister au repas de l'otarie, qui sort toute vernie de l'eau, pour happer au vol, d'une simple inflexion de cou, les harengs qui passent dans l'air comme des lames d'argent. Et pour finir, nous emparant du Labyrinthe jusqu'à la Lanterne, nous en dévalons les allées en poussant des cris aigus et nous nous laissons tomber, essoufflés, sur le banc de pierre, à l'ombre du grand cèdre où rêva l'âme douloureuse de Michelet.

Avec de vicieuses gamines, nous allons dans les terrains vagues, et, loin des regards, sur le sol crayeux, parmi les herbes folles, les culs de bouteilles et les détritus, nous tentons le péché.

Nous hantons les gouapeurs qui jouent à la raie, à la banque ou à la passe, dans les coins solitaires des boulevards extérieurs.

Ce sont des voyous dangereux à rouflaquettes et à casquettes aplaties, souples comme des jaguars, et qui, pour un oui ou un non, se « donnent ça » à coups de « boule » et même à coup de « sion ».

Cependant tous craignent Jean Pommier, dit Jean Pomme. C'est, une petite terreur redoutable, râblée et agile, avec un pantalon à pattes d'éléphant, au velours moucheté comme une peau de panthère, un large « brise-homme » rouge qui lui serre fortement la taille, une « grivelle » à visière cassée et des espadrilles blanches à lacets multicolores.

Il a le teint frais, les yeux noirs et durs, la lèvre sanglante et les narines dilatées comme celles d'un tigre. Il porte sur la joue cinq points de tatouage, indice qu'il fait partie de la bande des « Cinq Diamants » et, autour du poignet, en guise de bracelet, un serpent tatoué également.

Il est l'amant de Carmen, une petite pierreuse agressive, brune comme une Andalouse et dont la poitrine et les hanches onduleuses mettent nos sens en rumeur.

Il marche le clos rond, les mains dans les poches, en se dandinant, et le coup de « tronche » de Jean Pomme est foudroyant et terrible comme un boulet de canon.

Nous l'admirons tous. Nous l'imitons dans son allure et « jactons » argot comme lui d'un air canaille. Nous disons, la voix autoritaire et brève : « Calte !... ou j'te crève ! », ou : « Refile-moi une sèche, gonce », ou : « Balance-moi un « leude », un « loitre », un « latqué », ou un « linve ».

Pour s'enfuir, nous disons : « Se casser », « mettre les cannes » ou « les voiles » ; pour manger : « becqueter » ou se « taper le mou » ; pour boire « picter » ou « piver » ; pour regarde : « châsse » ; pour viens : « radine » et pour oui : « gy ! »

Nous mâchons cette langue, voluptueusement, comme un fruit âpre, et nous voudrions bien tous être plus vieux et nous appeler Jean Pomme.

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Le 13e en littérature

Quartier Croulebarbe

Robespierre

par
Henri-Jacques Proumen

Il pouvait avoir cinq ans, ce petit Riquet de la rue Croulebarbe. On lui en eût donné quatre tout au plus, tant il était fluet Son pauvre petit corps se dandinait sur deux longues pattes de faucheux qui prenaient assise dans deux godasses démesurées...

(1932)

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L'octroi de la porte d'Italie

Le drame de Bicêtre

par
Eveling Rambaud et E. Piron

Grâce à l'or du faux baron de Roncières, Paul apporta l'abondance dans la maison de la rue du Moulinet.
On y fit une noce qui dura huit jours.
Perrine avait déserté son atelier de blanchisseuse. Elle tenait tête aux deux hommes, le verre en main.

(1894)

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De la ruelle des Reculettes au passage Moret via la ruelle des Gobelins

Le faiseur de momies

par
Georges Spitzmuller et Armand Le Gay

Il était arrivé à l'angle pointu formé par la manufacture des Gobelins où la voie bifurquait ; à droite la rue Croulebarbe continuait, à gauche c'était la ruelle des Gobelins.

(1912)

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La Butte-aux-Cailles

Coeur d'enfant

par
Charles de Vitis

— Voyons d’abord du côté de la Butte-aux-Cailles, pour tâcher de trouver un logement.
Jacques connaissait l’endroit pour y être venu avec Fifine, une fois ou deux, du temps qu’il vivait chez ses parents.
C’était un quartier misérable situé à proximité de la place et du boulevard d’Italie ; on y arrivait par la rue du Moulin-des-Prés.

(1899)

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La cité Doré

Coeur d'enfant

par
Charles de Vitis

À la hauteur de la place Pinel et de l’abattoir, entre le boulevard de la Gare et le boulevard de l’Hôpital, s'étend un vaste terrain qui est loué par bail à divers locataires. Le type même de la saleté et de la misère imprévoyante se trouve dans le rassemblement de masures, coupé de ruelles en zigzag et qu’un hasard ironique fait appeler cité Doré. Les cours des miracles devaient être ainsi.

(1899)

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Rue du Banquier

Madame Gil-Blas

par
Paul Féval

Le fiacre tournait court l'angle de la rue du Banquier.
Cela s'appelle une rue, mais c'est en réalité une manière de chemin pratiqué entre des murs de jardins. Il n'y a pas une âme en plein jour.

(1856)

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Barrière des Deux-Moulins

Les Chifffonniers de Paris

par
Turpin de Sansay

En suivant les rues Saint-Victor, du Marché-aux-Chevaux et de Campo-Formio, on arrivait à la barrière des Deux-Moulins, située de l'autre côté du boulevard extérieur.

(1861)

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Saviez-vous que... ?

A la barrière des Deux-moulins, le bal de la Belle Moissonneuse était fréquenté par les maquignons.

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Initialement, l'avenue des Gobelins devait s'appeler Boulevard Mouffetard.

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La rue de la Colonie s'appella ainsi en raison de la présence d'une colonie de chiffonniers dans le secteur.

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La rue de Campo-Formio (268 mètres, entre la rue Pinel, 2, et le boulevard de l’Hôpital, 123) était connue au XVIIe siècle sous le nom de chemin des Étroites Ruelles, au village d'Austerlitz, lequel fut annexé à Paris en 1818. Ce fut ensuite la Petite-Rue d’Austerlitz. Par décision ministérielle du 29 mars 1851, elle reçut sa dénomination actuelle en souvenir du traité conclu, le 17 octobre 1797, entre la France et l'Autriche.

L'image du jour

Rue du Chevaleret vue du boulevard de la Gare