Littérature



Chez les biffins

"Un gosse"

roman par Auguste Brepson

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Deuxième partie

II

Devant chez nous logeait également un couple de biffins. Ils s'appelaient Laurent. La femme était une commère massive et courte dont la joue couverte d'une large tache de vin rappelait une tartine de framboise. Elle avait des cheveux rares tirés vers le sommet du crâne par un petit chignon, des yeux toujours larmoyants, un ventre en pointe et de lourdes mamelles qui tremblotaient sous le caraco comme de la gélatine.

L'homme, au contraire, était un grand sec, aux cheveux bouclés débordant une vieille casquette de soie et aux petits yeux de lézard dans un visage bistre. Il avait un long cou avec une pomme d'Adam très en relief et d'une mobilité extrême : elle descendait et remontait sans cesse, et, quand il riait, on ne lui voyait que deux chicots plantés dans les gencives roses comme des clous de girofle.

Leur porte était toujours ouverte mais leur fenêtre toujours fermée, condamnée en quelque sorte par une table chargée de débris divers jusqu'à mi-hauteur des carreaux. Du reste, c'était chez eux un encombrement de bric-à-brac : chiffons, ferrailles, os, croûtes de pain s'amoncelaient dans tous les coins, dessus et dessous les meubles ; une multitude d'objets démantibulés s'accrochait au mur : de vieilles nippes pendaient sur des cordes tendues d'un bout il l'autre de la chambre ; et, sur la cheminée, tout un tohu-bohu de petites choses poussiéreuses menaçait d'ensevelir le globe fêlé et verni recouvrant la couronne nuptiale de la mère Laurent.

Il s'exhalait de tout cela une âpre odeur que relevait encore celle des excréments de « Piston », un caniche tombant de vieillesse et qui faisait partout, même sur le lit.

Le père Laurent l'avait pris en grippe et parlait à tout instant de s'en débarrasser, voire de l'occire ; mais la mère Laurent, qui avait deux amours : celles du rhum et de son cabot, s'y opposait farouchement, et c'étaient alors des disputes terribles où le père Laurent finissait par rosser ferme et la femme et le chien.

Quand je ne sortais pas avec ma grand'mère, j'allais farfouiller chez eux et jamais chercheur, jamais fureteur n'éprouva autant de volupté à remuer de la brocante, car je cherchais, moi, l'inconnu, le mirifique inconnu !

Ces gens m'aimaient beaucoup, m'appelaient leur fiston et me donnaient tous les vieux jouets qu'ils trouvaient dans les poubelles. Aussi était-ce toujours avec une certaine émotion que j'attendais le retour du père Laurent.

Il vidait sa hotte au milieu de la chambre et j'aidais au triage. Une fois, je fis une trouvaille : je tirai d'un porte-monnaie tout déchiqueté et moisi six pièces de deux sous. J'allais, tout fier, les tendre à la mère Laurent, lorsque, précipitant le geste, elle me les enleva brutalement des mains... comme si je voulais les lui voler !... Cela me fut si sensible que les larmes m'en vinrent aux yeux.

Mais, déjà, s'emparant d'une bouteille, elle partait chercher douze sous de rhum à l'assommoir du boulevard.de la Gare.

Elle le partagea avec le père Laurent, et tous deux, d'un trait, vidèrent leur verre.

Comme ils poussaient un grand soupir, je me demandai, ébahi, quelle satisfaction ils pouvaient bien tirer d'un plaisir qu'ils faisaient durer si peu !

Une autre fois, la mère Laurent sortit du « tas » une jolie pelle d'enfant, avec un long manche et une ouverture dans la poignée pour y passer la main. Mon cœur bondit. Tout de suite, je pensais : « Elle est à moi. » Mais, ô stupeur, la mère Laurent, après l'avoir considérée une seconde, s'en fut l'accrocher au mur et, cela, sans que le père Laurent soufflât mot !

Que se passait-il ?... En quoi avais-je mérité pareil traitement de la part de mes bons amis les chiffonniers ?... J'eus beau examiner ma conscience sur toutes les coutures, je ne trouvai, rien à me reprocher.

Cette pelle me fut, le reste de la journée, une énigme troublante aussi bien que l'objet d'une ardente convoitise. Et comme, par la suite, elle resta pendue à son clou, elle renouvela pour moi le supplice de Tantale.

Mais, un matin que la mère Laurent partit chercher de l'eau, je n'y tint plus : en un clin d'œil je la décrochai, relevai ma blouse et la fourrai dans ma ceinture. Ma poitrine battait comme une cloche et je devais être très pâle. Déjà la mère Laurent reparaissait.

Je tremblais à présent qu'elle ne s'aperçût de mon larcin et ne la quittais pas des yeux. Autre chose s'ajoutait à mes transes : la nécessité de ne pas bouger sous peine de voir la pelle glisser à terre, ou, pour la retenir, de garder ma main sur le ventre, ce qui, à la fin, pouvait paraître bizarre.

Elle commençait à m'ennuyer cette pelle !... Puis, à la réflexion qu'à moins de passer pour un petit voleur il me serait interdit de jouer avec librement, elle me devenait insupportable et j'aurais bien voulu la remettre à sa place !

Aussi, quand ma grand'mère vint me chercher, poussai-je un ouf ! et, m'esquivant avec précaution, mon premier soin fut-il de l'aller cacher sous mon lit.

Mais, le comble de l'aventure, c'est que, quelques jours après, la mère Laurent la chercha partout pour m'en faire cadeau !

J'étais furieux, encore bien plus de son incohérence que de ma précipitation. Aussi bien me trouvais-je dans cette situation irritante et singulière : possesseur légitime d'une pelle, puisqu'on me l'avait donnée, dont je n'osais me servir parce que je l'avais volée !

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Le 13e en littérature

La poterne des Peupliers

La vague rouge

par
J. H. Rosny Ainé

Un homme s'arrêta sur la route, près de Gentilly. Il considéra le paysage misérable et puissant, les fumées vénéneuses, l'occident frais et jeune comme aux temps de la Gaule celtique.
Si l'auteur nomme une poterne des Tilleuils, c'est bien de la poterne des Peupliers dont s'agit.

(1910)

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Rue des Peupliers

Perdues dans Paris

par
Jules Mary

Un des coins de Paris, misérable et sinistre. La longée des fortifications plantées d'arbres en double ou triple rangée, le côtoie pourtant de verdures plaisantes durant la belle saison, mais, en réalité, sépare pour ainsi dire cette région parisienne du reste du monde. Du haut de la rue des Peupliers...

(1908)

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Quartier Croulebarbe

Les esclaves de Paris

par
Émile Gaboriau

C'est là un quartier étrange, inconnu, à peine soupçonné de la part des Parisiens...
Où Emile Gaboriau fait découvrir le quartier Croulebarbe à ses lecteurs.

(1868)

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La Cité Jeanne-d'Arc

Un gosse

par
Auguste Brepson

La cité Jeanne-d'Arc est ce vaste ensemble de bâtiments noirs, sordides et lugubres percés comme une caserne de mille fenêtres et dont les hautes façades s’allongent rue Jeanne-d'Arc, devant la raffinerie Say.

(1928)

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Butte-aux-Cailles

La vague rouge

par
J. H. Rosny Ainé

L'homme suivit d'abord la rue de Tolbiac, puis s'engagea par ces voies ténébreuses, bordées de planches, de lattes et de pieux, qui montent vers la Butte-aux-Cailles. Les oiseaux des réverbères dansaient dans leurs cages de verre. On apercevait des terrains fauves, des chaînes de bosselures, des rampes de lueurs, des phares dans un trou du ciel, et, du côté de la Butte, un nuage de feu pâle évaporé sur Paris...

(1910)

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Le quartier de la Gare

Monsieur Lecoq

par
Émile Gaboriau

Le 20 février 18.., un dimanche, qui se trouvait être le dimanche gras, sur les onze heures du soir, une ronde d’agents du service de la sûreté sortait du poste de police de l’ancienne barrière d’Italie.
La mission de cette ronde était d’explorer ce vaste quartier qui s’étend de la route de Fontainebleau à la Seine, depuis les boulevards extérieurs jusqu’aux fortifications.
Ces parages déserts avaient alors la fâcheuse réputation qu’ont aujourd’hui les carrières d’Amérique.

(1869)

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Butte-aux-Cailles

Le trésor caché

par
Charles Derennes

Depuis toujours on habitait, mon père et moi, sur la Butte-aux-Cailles ; encore aujourd'hui, ce quartier-là n'est guère pareil à tous les autres. Mais si vous l'aviez vu du temps que je vous parle ! Des cahutes s'accrochaient à la butte comme des boutons au nez d'un galeux ; ça grouillait de gosses et de chiens, de poux et de puces...

(1907)

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Saviez-vous que... ?

A la barrière des Deux-moulins, le bal de la Belle Moissonneuse était fréquenté par les maquignons.

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La retraite du 21e régiment d'infanterie coloniale qui, le 22 mars 1913, passa par les rues de Patay, Jeanne d'Arc, le boulevard de la Gare, les rues Pinel, de Campo Formio, les avenues des Gobelins et de Choisy ne donna lieu à aucun incident.

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La piscine de la Butte aux Cailles a été inaugurée le 4 mai 1924.

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En 1846, fut formé le projet de créer un cimetière à la pointe d’Ivry destiné à recueillir les corps des personnes décédées dans les hôpitaux et hospices. Ces terrains d’environ 9 hectares de la commune d’Ivry furent retenus en raison de leur proximité avec la Salpêtrière. Le projet n’eût pas de suite. Vingt ans auparavant, il avait déjà été question de créer un cimetière dit « cimetière du sud-est » en limite de Paris sur les terres qui constituaient le secteur des Deux-Moulins.

L'image du jour

Rue du Chevaleret vue du boulevard de la Gare