Littérature



"Un gosse"

roman par Auguste Brepson

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Première partie

VI

Quelque temps après le retour de mon oncle, vers la fin d'une chaude-journée, une vaste et pesante charrette recouverte d'une bâche en arceau et traînée par trois chevaux puissants s'arrêta devant notre porte.

Le roulier, un colosse roux à la face boucanée, tira de ses dents son brûle-gueule, lança un jeu de salive dans la poudre du chemin et dit, en serrant la main de mon oncle :

— Y sommes-nous, François ?

— Nous y sommes, Firmin... Alors tu crois que tout rentrera ?

Mais Firmin, de nature taquine, s'amusait toujours à vous plonger dans l'incertitude par des réponses ambiguës :

— Si tout rentrera !... Ah ! çà ! François, t'es pas fou !... Si tout rentrera ?... mais, face d'oie, je sais pas moi si tout rentrera... viens voir.

Et il entraîna mon oncle pour lui montrer le vaste intérieur du chariot à peine chargé, au fond, de piles de sacs à farine vides.

— Si tu veux que j'y mette aussi la maison ?

Content de sa farce, il rit un bon coup ; après quoi il posa son grand fouet, enduisit consciencieusement ses mains de crachats et commença d'aider mon oncle à entasser nos meubles dans la charrette.

On était en juin. Le soleil, au bout de la route, délayait dans le ciel sa grosse boule de carmin ; les aubépines, blanchissant la haie du chemin de fer, poussaient dans l'air tiède leur parfum violent, et, tout au fond de la forêt somnolente, un à un, les chants des oiseaux s'éteignaient...

Assis dehors, sur un vieux tapis, je jouissais fortement de ces choses, pressentant que je ne devais plus les revoir. Ma grand'mère, à l'intérieur, s'occupait de paquets ; et Prunette, allongée près de moi, la langue pendante, contemplait d'un œil placide les allées et venues de mon oncle et de Firmin, et dressait parfois les oreilles quand les chevaux frappaient le sol du sabot ou secouaient leurs sonnailles.

Lorsque tout fut presque terminé ma grand'mère, la voix émue et l'air tout drôle, me dit : « Tiennot, embrasse Prunette », ce que je fis, quelque peu étonné, mais bien vite rempli de soupçon et d'inquiétude en la voyant s'éloigner dans la direction du village, avec la chienne qui jappait et sautait joyeusement devant elle.

Plongeant vigoureusement mon doigt dans mon nez, je mis à guetter son retour une attention ardente.

Elle reparut seule ! Elle avait les veux rouges et l'on entendait au loin des hurlements !...

Elle expliqua à mon oncle que la pauvre bête, au moment d'entrer dans l'enclos, devinant soudain qu'on l'abandonnait, avait voulu s'enfuir et qu'à présent elle faisait su hurlant des bonds désespérés pour franchir la barrière.

— Bah ! dit Firmin en enlevant de la roue la chaîne de sûreté, les Béjard sont de braves gens qui en auront bien soin.

Alors mon cœur se serra comme i l'annonce d'une catastrophe. Je ne pleurai pas mais une immense détresse m'envahit : il me sembla qu'avec ma bonne Prunette je venais de tout perdre et que maintenant j'étais seul au monde.

A présent, le chariot roule tellement sur une longue route plantée de grands arbres. Je suis assis sur de la paille. à côté de ma grand-mère toute songeuse : et mon oncle et Firmin marchent près des chevaux en bavardant.

Le ciel est rose, la terre est bruns-Au loin, une grande rivière charrie des rubis fondus et de gros oiseaux filent dessus, tout noirs...Puis le ciel tourne au vert tendre... puis au violet... s'assombrit encore... Et voici la nuit qui sème dans pace son impalpable cendre. Les choses se déforment, se brouillent, s'effacent.

Mon oncle monte dans la voiture et se cale dans un coin ; Firmin s'assoit, les jambes pendantes, sur la banquette suspendue au brancard... Et ma grand'mère songe toujours.

Peu à peu, une torpeur m'engourdit ; mes yeux se ferment ; et bientôt, bercé par le mouvement de la voiture, au tintinnabulement clochettes, je m'endors.

Un moment je me débattis dans un cauchemar. Je voyais Prunette s'acharnant à vouloir sauter une barrière qui montait au fur mesure que ses bonds s'élevaient ! À la fin cela atteignit une hauteur prodigieuse. Je me réveillai, et je me rappelle encore mon effarement de ne pas me sentir dans mon lit. La nuit était complète ; des nuages passaient sur la lune à la manière d'une ouate frottant un plat d’argent ; devant moi, une braise s’allumait et s'éteignait dans l’ombre comme si le vent soufflait dessus : et dans mon dos s 'élevait un ronflement sonore.

Où étais-je ? Mais la voix de ma grand'mère chuchotant : « Tu ne dors pas, Tiennot ? » me fit rassembler mes idées. Ah ! bon, je me souvenais : j'étais dans la voiture à Firmin, et ce point rouge dans l'obscurité c'était sa pipe.

Je ne tardai pas à me rendormir et, cette fois, profondément.

Quand je me réveillai, il faisait petit jour. La voiture était arrêtée et Firmin disait, en me désignant à un homme coiffé d'un képi vert et tenant une sorte de gigantesque lardoir : « J'ai pas autre chose à déclarer qu'un petit cochon ! »

Nous entrions à Paris.

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Le 13e en littérature

Butte-aux-Cailles

Madame Sept-Quatre

par
William Cobb
(Jules Lermina)

En tournant le dos à la Seine, à la hauteur du pont des Arts, et en s'engageant en ligne droite sur la rive gauche, on laisse à droite le cimetière Montparnasse et on parvient aux anciens boulevards extérieurs. Là se trouve le boulevard d’Italie et l’ex barrière du même nom.
À deux pas, un peu sur la droite, s’étend l’un des quartiers les plus curieux et les moins connus de Paris.
C’est la butte aux Cailles.

(1873)

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De la place d'Italie à la Bièvre via l'avenue de la soeur Rosalie et la ruelle des Reculettes

Le faiseur de momies

par
Georges Spitzmuller et Armand Le Gay

Dans ce roman paru en feuilleton dans Le Matin, Georges Spitzmuller et Armand Le Gay emmènent leur lecteur sur la piste de M. Ducroc, chef de la sûreté, pour qui le XIIIe arrondissement n'avait pas de secret.

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Rue du Dessous-des-Berges

La dame de pique

par
Jules de Gastyne

Il existe à Paris, dans les quartiers perdus, des rues mornes et désertes qu'on traverse avec un sentiment de stupeur.

(1906)

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A travers la Maison-Blanche

Les apaches de la Butte-aux-Cailles

par
Lucien Victor-Meunier

Un instant plus tard, elle était dehors dans le terrain vague qui descendait en pente rapide vers la vallée de la Bièvre...

(1907)

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La poterne des Peupliers

La vague rouge

par
J. H. Rosny Ainé

Un homme s'arrêta sur la route, près de Gentilly. Il considéra le paysage misérable et puissant, les fumées vénéneuses, l'occident frais et jeune comme aux temps de la Gaule celtique.
Si l'auteur nomme une poterne des Tilleuils, c'est bien de la poterne des Peupliers dont s'agit.

(1910)

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Rue des Peupliers

Perdues dans Paris

par
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Un des coins de Paris, misérable et sinistre. La longée des fortifications plantées d'arbres en double ou triple rangée, le côtoie pourtant de verdures plaisantes durant la belle saison, mais, en réalité, sépare pour ainsi dire cette région parisienne du reste du monde. Du haut de la rue des Peupliers...

(1908)

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Quartier Croulebarbe

Les esclaves de Paris

par
Émile Gaboriau

C'est là un quartier étrange, inconnu, à peine soupçonné de la part des Parisiens...
Où Emile Gaboriau fait découvrir le quartier Croulebarbe à ses lecteurs.

(1868)

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Saviez-vous que... ?

En 1863, le marché aux chevaux du boulebard de l'Hôpital se tenait le mercredi et le samedi de chaque semaine et le premier lundi de chaque mois.

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Gustave Geffroy (1855-1926) fut directeur de la Manufactures des Gobelins. Il n'est donc pas anormal que la rue qui porte son nom soit située tout près de celle-ci.

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La gare de Paris-Gobelins a été mise en service le 15 mai 1903. Elle le demeura jusqu'en 1991. Son ouverture eut pour effet de doter Paris d'une nouvelle porte car il y avait encore un octroi à Paris et la gare des Gobelins était un point d'entrée et de sortie.

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La rue de Campo-Formio (268 mètres, entre la rue Pinel, 2, et le boulevard de l’Hôpital, 123) était connue au XVIIe siècle sous le nom de chemin des Étroites Ruelles, au village d'Austerlitz, lequel fut annexé à Paris en 1818. Ce fut ensuite la Petite-Rue d’Austerlitz. Par décision ministérielle du 29 mars 1851, elle reçut sa dénomination actuelle en souvenir du traité conclu, le 17 octobre 1797, entre la France et l'Autriche.

L'image du jour

Le carrefour des Gobelins vu depuis le boulevard de Port-Royal.