Littérature



L'hiver

"Un gosse"

roman par Auguste Brepson

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Première partie

XVI

Cet hiver-là très long et très âpre. Notre maigre feu ne parvenait à dissoudre la couche de glace qui recouvrait nos carreaux. Il me fallait, si je voulais voir dehors, la gratter avec un vieux clou. Elle était dure et je n'arrivais qu'à dégager un espace large comme une pièce de deux sous. Alors j'apercevais en face un morceau de muraille noire avec un tuyau de descente enveloppé de verglas et un paquet de neige sur une saillie.

Cette glace voila nos vitres presque tout l’hiver nous laissant dans une quasi-obscurité.

Un matin, elle fut si épaisse que mon clou manié par mes petits doigts engourdis ne put l'entamer. Nous n’avions plus de feu !

Nos affaires n'avaient jamais été si mal. Ma grand'mère ne vendait plus rien. Le froid terrible rendait presque désert le marché Saint-Médard ; et les rares ménagères qui s'aventuraient sur cette place battue par la neige et la bise, se hâtaient de faire leurs strictes provisions de bouche et de regagner la bonne chaleur de leur cuisinière.

Ma grand'mère rentrait grelottante, la figure bleuie et les yeux hagards.

Enfin, chez nous, tout manqua, le pain, le charbon, la lumière.

Alors nous allâmes nous chauffer dans les églises et manger à la soupe populaire. On la distribuait dans un baraquement, du côté du Jardin des Plantes. Nous nous mettions à la file des meurt-de-faim, qui s'allongeait dehors entre une balustrade de bois et une cloison en planches derrière laquelle se trouvait le réfectoire, et dans le froid et la neige, nous attendions des heures avant d'avoir notre écuellée, ou bien un morceau de pain bis avec un gobelet de café amer.

Une fois, cette distribution tarda tant qu'une femme s'évanouit de faim. Je la vois encore : maigre et propre dans ses vêtements élimés, coiffée d'un petit chapeau, les cheveux grisonnants quoique la figure jeune, elle avait l'air d'une maîtresse d'école tombée dans la débine. Elle s'était mise la toute dernière, en pauvre honteuse.

Une autre fois, un vieux qui avait le nez comme une praline et des cheveux de poète sous un melon cabossé, sortit de sa musette un morceau de sucre et me le tendit : « Tiens... tu le mettras tout à l'heure dans ton café »

Cependant, un matin, il fit une telle tempête de neige que ma grand'mère ne put se résoudre à m'emmener au baraquement.

Pourtant il fallait que je mange... Je n'avais dans le corps, depuis la veille, qu'un morceau de pain trempé dans du café.

Alors elle prit une casserole et se hasarda à aller chercher de la soupe à la caserne des pompiers de la rue Jeanne-d'Arc. Elle y était allée déjà une fois, mais le troupeau famélique des habitués lui avait été si hostile, la regardant comme une intruse qui venait diminuer la part que, pour ne pas se chamailler, elle s'en était revenue.

Mais cette fois, son petit avait faim : elle partit résolument, et il faut croire qu'elle ne se laissa pas intimider et qu'elle joua des coudes, car elle revint couverte de neige, mais avec, sous son tablier, sa casserole à demi remplie d'une soupe odorante et fumante.

Je me jetai dessus.

0 ! la bonne soupe ! faite de pommes de terre, de carottes, de pois et de riz !

… la première cuillerée tombant dans mon ventre, vide, je crus défaillir de bien-être... Puis je mangeai goulûment ; je me remplis la panse, et, sous tes yeux luisants, dont je ne pouvais encore comprendre l'expression poignante... sous tes pauvres veux affamés, ô ma chère vieille maman, je vidai la casserole !

XVII

Si ma grand'mère, qui cependant ne laissait pas de se plaindre quelques fois de vertiges, supportait stoïquement cette existence misérable, je ne tardai pas, moi, à m'affaiblir et de corps et d'esprit. Mes dernières couleurs s'en étaient allées. Je devenais sombre, farouche et nerveux. Je restais immobile, dans les coins, l'âme brumeuse. Ma grand'mère, - tourmentée d'inquiétude de me voit ainsi, tâchait de secouer ma torpeur : d'une voix qui suppliait presque et où perçait son anxiété, elle me disait : « Allons... joue, mon petit. »

Mais alors j'éclatais en sanglots et m'écriais avec désespoir : « Je m'ennuie ! »

Elle me prenait sur ses genoux, me berçait contre son cœur, cherchant à me consoler avec des paroles câlines. A la fin, n'y tenant plus, elle se mettait aussi à pleurer et, d'une voix douce et plaintive qui faisait redoubler mes larmes, elle gémissait : « Mon Dieu !... mon Dieu !... ayez pitié de nous ! »

Quand venait le soir, j'avais peur de l'ombre qui s'amassait dans les coins : il me semblait y voir remuer des formes ; et ma terreur était de me coucher, car, longtemps, avant de m'endormir, j'eus une vision extraordinaire. Je voyais, suspendue au-dessus de ma tête, dans- les ténèbres, comme une boule de lumière : une sorte d'astre de la grosseur d'un œuf, brillant d'une clarté immobile et terne et entouré d'un vague halo.

Pour me soustraire à la fixité de cet œil horrible, j'enfouissais ma tête sous la couverture et m'y tenais, glacé d'épouvante, n'osant ni bouger, ni crier et luttant contre le sommeil, tellement je redoutais d'être, une fois endormi, à la merci de cette chose mystérieuse et sinistre.

La fatigue finissait par l'emporter, mais l'anémie n'en continuait pas moins à me tourmenter de ses plus affreux cauchemars.

Enfin, malgré le froid, la faim, la peur, l'obscurité et la solitude funèbre, je le passai tout de même, ce terrible hiver.

Un jour vint où nos vitres se dégelèrent élargissant une mare sur le plancher, Notre fenêtre s'ouvrit toute grande et, avec l'immense bourdonnement de la ville, entrèrent toutes sortes de bruits joyeux : chansons s'envolant des croisées ouvertes, vacarme des enfants qui s'amusent, pépiements d'oiseaux sur les toits et cris lointains de marchands.

L'atmosphère du passage, assainie par le rude souffle de l'hiver, avait quelque chose de capiteux qui m'étourdit et fit couler dans mes veines comme un flot d'allégresse. Je me sentais tout attendri sans savoir pourquoi. Je poussai une chaise vers la fenêtre, grimpai dessus et, faisant manœuvrer mon morceau de glace, j'y vis se réfléchir, ô bonheur!... tout un coin du ciel pur.

C'était le printemps.

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Le 13e en littérature

La poterne des Peupliers

La vague rouge

par
J. H. Rosny Ainé

Un homme s'arrêta sur la route, près de Gentilly. Il considéra le paysage misérable et puissant, les fumées vénéneuses, l'occident frais et jeune comme aux temps de la Gaule celtique.
Si l'auteur nomme une poterne des Tilleuils, c'est bien de la poterne des Peupliers dont s'agit.

(1910)

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Rue des Peupliers

Perdues dans Paris

par
Jules Mary

Un des coins de Paris, misérable et sinistre. La longée des fortifications plantées d'arbres en double ou triple rangée, le côtoie pourtant de verdures plaisantes durant la belle saison, mais, en réalité, sépare pour ainsi dire cette région parisienne du reste du monde. Du haut de la rue des Peupliers...

(1908)

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Quartier Croulebarbe

Les esclaves de Paris

par
Émile Gaboriau

C'est là un quartier étrange, inconnu, à peine soupçonné de la part des Parisiens...
Où Emile Gaboriau fait découvrir le quartier Croulebarbe à ses lecteurs.

(1868)

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La Cité Jeanne-d'Arc

Un gosse

par
Auguste Brepson

La cité Jeanne-d'Arc est ce vaste ensemble de bâtiments noirs, sordides et lugubres percés comme une caserne de mille fenêtres et dont les hautes façades s’allongent rue Jeanne-d'Arc, devant la raffinerie Say.

(1928)

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Butte-aux-Cailles

La vague rouge

par
J. H. Rosny Ainé

L'homme suivit d'abord la rue de Tolbiac, puis s'engagea par ces voies ténébreuses, bordées de planches, de lattes et de pieux, qui montent vers la Butte-aux-Cailles. Les oiseaux des réverbères dansaient dans leurs cages de verre. On apercevait des terrains fauves, des chaînes de bosselures, des rampes de lueurs, des phares dans un trou du ciel, et, du côté de la Butte, un nuage de feu pâle évaporé sur Paris...

(1910)

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Le quartier de la Gare

Monsieur Lecoq

par
Émile Gaboriau

Le 20 février 18.., un dimanche, qui se trouvait être le dimanche gras, sur les onze heures du soir, une ronde d’agents du service de la sûreté sortait du poste de police de l’ancienne barrière d’Italie.
La mission de cette ronde était d’explorer ce vaste quartier qui s’étend de la route de Fontainebleau à la Seine, depuis les boulevards extérieurs jusqu’aux fortifications.
Ces parages déserts avaient alors la fâcheuse réputation qu’ont aujourd’hui les carrières d’Amérique.

(1869)

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Butte-aux-Cailles

Le trésor caché

par
Charles Derennes

Depuis toujours on habitait, mon père et moi, sur la Butte-aux-Cailles ; encore aujourd'hui, ce quartier-là n'est guère pareil à tous les autres. Mais si vous l'aviez vu du temps que je vous parle ! Des cahutes s'accrochaient à la butte comme des boutons au nez d'un galeux ; ça grouillait de gosses et de chiens, de poux et de puces...

(1907)

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Saviez-vous que... ?

En 1863, le marché aux chevaux du boulebard de l'Hôpital se tenait le mercredi et le samedi de chaque semaine et le premier lundi de chaque mois.

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Alfred Léon Gérault, dit Gérault-Richard, né à Bonnétable (Sarthe) le 11 octobre 1860 et mort à Fréjus (Var) le 7 décembre 1911, journaliste et homme politique socialiste, fut élu député du XIIIème arrondissement en janvier 1895. Il fut battu aux élections de 1898, mais fut réélu deux fois (1902-1906 et 1906-1911) en Guadeloupe, dans des conditions qui ne laissent aucun doute sur leur illégalité.

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Le 29 juin 1901, la température atteignit 33° à Paris et ce jour là, vers midi, Mme Louise Lesire, âgée de cinquante- deux ans, demeurant 157, rue Jeanne-d’Arc, fut frappée d'insolation, boulevard Saint-Marcel. Elle mourut dans la pharmacie où on l’avait transportée pour lui donner des soins. (Le Figaro - 30 juin 1901)

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Dans le projet initial élaboré en 1860-1861, le chemin de fer de ceinture rive gauche devait franchir la vallée de la Bièvre grâce à un viaduc de 800 mètres de longueur reposant sur des arches de 10 mètres d'ouverture et d'une hauteur maximale de 15 mètres.

L'image du jour

Le carrefour des Gobelins vu depuis le boulevard de Port-Royal.