Littérature



Rue de la Glacière

"Un gosse"

roman par Auguste Brepson

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Première partie

[...] Le soir, il vient gémir auprès de ma grand'mère, mais elle l'écoute distraitement : elle aussi a des soucis. Sa maison de chiffons vient de la remercier à cause de sa vue, — le soir, à la lumière, elle confond les nuances, — et, par surcroît, elle a reçu une lettre de mon père l'informant qu'il est à l'hospice de Rouen dénué de ressources.

Après avoir lu, elle a soupiré en me regardant : « Ah ! mon pauvre petit... non, tu n'as pas de chance !... »

Un matin, un brocanteur vient acheter le lit de mon oncle et la belle cuisinière de ma grand'mère. Et, l'après-midi, le vieux commissionnaire de l'avenue d'Orléans emballe nos meubles dans une voiture à bras... et nous nous en allons aussi.

IX

Me voici dans une chambre blafarde dont la fenêtre, à l'unique étage de la maison, donne sur une rue étrange et triste, perdue dans un des coins les plus reculés de la Glacière.

Cette rue est pour ainsi dire inhabitée et n'a, au commencement ou à la fin, comme on veut, que quelques bâtisses maussades, un louche marchand de vin et, devant chez nous, une petite épicerie. Pour le reste, elle file lugubrement droite entre les palissades de terrains vagues, vers un horizon fermé de décharges abruptes, couleur d'ocre, et sur le sommet desquelles s'allonge parfois, comme de l'écume à la cime d'une vague ; le panache blanc du chemin de fer de ceinture.

Il passe une personne par heure et l'on se demande où elle va, ou d'où elle vient, en ne voyant aux environs, aussi loin que le regard s'étend, que d'autres terrains vagues enclos de palissades et coupés par d'autres rues aussi rectilignes et désertes que celle-ci.

Mais à l'heure trouble où les becs de gaz s'allument et piquent le soir mauve d'étoiles claires, ces mornes parages s'animent étrangement. On entend çà et là, parmi la solitude, comme de vagues appels, et des silhouettes inquiétantes commencent à se mouvoir dans les lointains indécis.

Puis, dès la nuit close, des coups de sifflet stridents déchirent l'air, et c'est quelquefois au loin un cri de détresse effrayant.

Messieurs les rôdeurs commencent.

Une nuit, l'un d'eux, frappé à mort au cours d'une rixe, se traîna chez nous et y râla jusqu'à l'aube, personne ne se souciant d'aller secourir dans l'ombre cette bête des ténèbres. Des agents ne l'emportèrent que très tard, la gorge ouverte, le regard vitreux, exsangue.

La maison n'avait, hormis nous, que trois locataires : un fort de la Halle, avec sa femme (une marchande des quatre-saisons) et un raccommodeur de porcelaines. Ces gens partaient le matin et ne rentraient que le soir. Il ne restait dans la journée que le propriétaire, un vieux maniaque, qui habitait au fond de la cour dont il m'interdisait farouchement l'accès tellement il craignait pour ce qu'il appelait son jardin : des caisses vertes remplies de terre noire d'où s'élançaient à l'assaut de la muraille le pois de senteur, la capucine et l'aristoloche.

Ma grand'mère, n'ayant personne à qui me confier, se voyait donc obligée, les jours où elle ne ravaudait pas pour les gens du quartier et s'en allait faire un ménage chez des bourgeois du boulevard. Arago, de me laisser seul.

Elle hésitait à me mettre à l'asile, me trouvant encore bien chétif disant ce lieu trop fertile en poux, coqueluches et scarlatines. Au fond seul un tendre égoïsme l'en empêchait : elle avait besoin, de me sentir dans ses jupes, de me couver comme un poussin. Pour elle qui n'avait plus rien, j'étais tout.

Quand j'en avais assez de vagues jouets, ou de rôder par la solitude de la chambre, je m’approchais de la fenêtre dûment close pour m'éviter la culbute au dehors, le nez à la vitre, je contemplais pendant des heures la morne rue. Le chat filant le long des murs ; des moineaux piochant du bec l’interstice des pavés ; un homme en casquette s'en allant les mains les poches, d'une allure lasse ; ou bien une femme portant sur la hanche un paquet de linge qui était, en étaient toute la vie.

La tristesse ambiante me pénétrait, me saturait et finissait de m'engourdir. J'étais comme saoul d'ennui.

Si je levais les yeux, j’avais comme horizon un mur gris percé fenêtre sans rideaux, avec un torchon replié sur son espagnolette.

Cette fenêtre ne s'ouvrait jamais. Elle me devint bientôt sinistre. Dans les épaisses ténèbres qu'elle encadrait, sûrement qu'il devait se passer des choses maudites !... Et le linge qui tranchait sur ses vitres noires me vint renforcer cette idée, en prenant, lui aussi, à mes yeux hallucinés une signification bizarre. Mon imagination troublée trouva peu à peu, dans ses plis et dans sa forme, comme un profil allongé ressemblant vaguement à celui d'une chèvre, avec un sourire sarcastique, un œil très long comme une fente, et coiffé d'un minuscule tricorne Louis XV !... Tout cela blême, immobile, grotesque et baroque.

Cette figure de cauchemar, avec son sourire figé et son regard oblique, me produisait un effet singulier : elle m'exaspérait au point de la vouloir lacérer et piétiner ; mais aussi me terrifiait jusqu'à m'enfuir dans les coins pour ne plus la regarder !... Efforts vains. Elle me poursuivait et un besoin diabolique de la revoir me ramenait à la fenêtre !

Elle avait l'air de triompher alors et de ricaner : « Ah ! ah ! tu me regarderas !... tu me regarderas ! » Le pis était qu'au crépuscule elle s'accentuait encore et semblait s'animer !

Tant que ma grand'mère était là, je n'avais pas peur, mais dès que je la voyais partir, je suais d'angoisse à l'idée du tête-à-tête qui m'attendait avec mon bonhomme au chapeau Louis XV. Cependant, comme toujours, je gardais mes terreurs pour moi.

Un jour cette grimace disparut. Quelqu'un avait enlevé le torchon.

X

C'est dans cette maison que je commençai à faire connaissance avec la vieille Mère Misère.

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Le 13e en littérature

A travers la Maison-Blanche

Les apaches de la Butte-aux-Cailles

par
Lucien Victor-Meunier

Un instant plus tard, elle était dehors dans le terrain vague qui descendait en pente rapide vers la vallée de la Bièvre...

(1907)

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La poterne des Peupliers

La vague rouge

par
J. H. Rosny Ainé

Un homme s'arrêta sur la route, près de Gentilly. Il considéra le paysage misérable et puissant, les fumées vénéneuses, l'occident frais et jeune comme aux temps de la Gaule celtique.
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(1910)

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Rue des Peupliers

Perdues dans Paris

par
Jules Mary

Un des coins de Paris, misérable et sinistre. La longée des fortifications plantées d'arbres en double ou triple rangée, le côtoie pourtant de verdures plaisantes durant la belle saison, mais, en réalité, sépare pour ainsi dire cette région parisienne du reste du monde. Du haut de la rue des Peupliers...

(1908)

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Quartier Croulebarbe

Les esclaves de Paris

par
Émile Gaboriau

C'est là un quartier étrange, inconnu, à peine soupçonné de la part des Parisiens...
Où Emile Gaboriau fait découvrir le quartier Croulebarbe à ses lecteurs.

(1868)

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La Cité Jeanne-d'Arc

Un gosse

par
Auguste Brepson

La cité Jeanne-d'Arc est ce vaste ensemble de bâtiments noirs, sordides et lugubres percés comme une caserne de mille fenêtres et dont les hautes façades s’allongent rue Jeanne-d'Arc, devant la raffinerie Say.

(1928)

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Butte-aux-Cailles

La vague rouge

par
J. H. Rosny Ainé

L'homme suivit d'abord la rue de Tolbiac, puis s'engagea par ces voies ténébreuses, bordées de planches, de lattes et de pieux, qui montent vers la Butte-aux-Cailles. Les oiseaux des réverbères dansaient dans leurs cages de verre. On apercevait des terrains fauves, des chaînes de bosselures, des rampes de lueurs, des phares dans un trou du ciel, et, du côté de la Butte, un nuage de feu pâle évaporé sur Paris...

(1910)

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Le quartier de la Gare

Monsieur Lecoq

par
Émile Gaboriau

Le 20 février 18.., un dimanche, qui se trouvait être le dimanche gras, sur les onze heures du soir, une ronde d’agents du service de la sûreté sortait du poste de police de l’ancienne barrière d’Italie.
La mission de cette ronde était d’explorer ce vaste quartier qui s’étend de la route de Fontainebleau à la Seine, depuis les boulevards extérieurs jusqu’aux fortifications.
Ces parages déserts avaient alors la fâcheuse réputation qu’ont aujourd’hui les carrières d’Amérique.

(1869)

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Saviez-vous que... ?

En 1887, Camille Claudel vivait dans un atelier loué pour elle par Auguste Rodin, la Folie Neubourg ou Clos Payen, 68 boulevard d’Italie, actuel boulebard Blanqui

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4.054 maisons étaient recensées dans le XIIIème arrondissement par le service des contributions indirectes au début des années 1880. Paris, selon ce service, comptait, au total, 82.352 maisons.

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La rue du Banquier, ancienne rue, doit son nom au banquier Patouillet qui avait déjà donné son nom au territoire compris entre la rive droite de la Bièvre et les terres de St-Marcel sur le chemin d'Ivry. (Clos Patouillet.)

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Au cours de l’hiver 1862, 30 indigents du quartier Croulebarbe, désignés par le bureau de bienfaisance de la mairie du 13e, se virent offrir chaque jour, du 1er février au 1er avril, une portion de soupe et une viande cuite de la part du colonel, des officiers, sous-officiers et soldats du 78e régiment de ligne stationné à la caserne Lourcine.
Par ailleurs, indépendamment de cette généreuse offrande, une somme de 400 fr. était également distribuée en nature, par les soins du colonel, aux indigents de ladite circonscription, pendant la même période, en bons fractionnés de comestibles et combustibles, à prendre chez les fournisseurs établis dans l'arrondissement.
(Le Siècle, 17 février 1862)

L'image du jour

La folie Neubourg sur le boulevard Auguste Blanqui, déjà en partie démolie.