Littérature



Quatorze juillet, place Nationale

"Un gosse"

roman par Auguste Brepson

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Deuxième partie

VII

De même que les histoires des images d'Épinal n'ont plus suffi à mon imagination, de même l'amour de la belle Yvonne ne suffit plus à mon cœur.

Je suis à présent tourmenté d'un mal inconnu qui s'accroît surtout par les chaudes soirées d'été.

Les voix fraîches des filles tournant dans les rondes, la romance chantée au carrefour à l'heure vague du crépuscule, les plaintes d'un violon, au loin, dans la nuit, les lourds effluves de l'air, tout cela m'agite d'un trouble inexprimable.

Des larmes plein les yeux, frémissant, je m'enfuis dans des coins et, comme René, tends les bras à des fantômes.

Un immense besoin d’aimer bouillonne dans mon cœur de onze ans : il me faut une amoureuse !

Je voudrais bien Marguerite, la fille du rétameur, mais elle est vénale : elle me dédaigne parce que je suis pauvre et me préfère Schultz qui lui fait toujours des cadeaux. Il est cependant laid, répugnant même, avec sa grosse face boursouflée couleur colle de pâte, ses yeux chassieux, ses lèvres épaisses et crevassées ; et moi, je suis beau… je le sais !... car il y a longtemps que je me suis expliqué l’attitude et les paroles de la petite chiffonnière de la cité.

Le cœur ulcéré, je ne parle plus à Marguerite ni à Schultz.

— Pauvre petit camarade !... comme je ne t'aurais pas tenu rancune si j'avais pu savoir qu’un peu plus tard, un jeudi, tu serais écrabouillé, sur le quai de Bercy par un muid de vin dévalant d’un haquet.

Je me rejette sur Marthe, la fille du marchand de vin.

C'est une petite brunette de dix ans. Elle n'est pas jolie, elle a une grande bouche, un teint chlorotique, les dents mauvaises, mais j’aime son air doux et ses yeux songeurs.

Sans être vu du concierge — une brute, qui nous sort de la cour à coups de fouet, quand nos criailleries l'importunent —  je l’emmène à la brune, dans les coins et la dévore de baisers. En elle j’étreins toutes mes amours inaccessibles depuis la belle Yvonne jet mes fantômes indécis, jusqu’ à la blonde Marguerite.

Elle se laisse faire, la mine grave et le regard lointain et me rend docilement mes baisers quand je lui demande.

Mais est-ce que je ne communique pas ma fièvre amoureuse ?... Le dieu qui me tourmente n’agit-il pas aussi en elle ?... car je la sens frémir et, dans la nuit qui tombe, sa figure s'illumine d’une beauté inconnue !...

VIII

Quatorze Juillet...

Je vais comme les autres, lécher le cul de la poêle enduit de cirage pour décoller la pièce de dix sous, grimper au mât de cocagne frotté de savon noir, culbuter dans la course aux sacs ou bien me faire doucher en basculant le baquet.

Mais le soir pour ce jour de liesse, j’aie licence de jouer très tard dans la rue, je préfère rester chez nous, car je suis l'ami des joies discrètes, voire du silence et de la solitude, et tous ces pétards, ces cris, ces chants, toutes ces musiques, ces bals, ce monde, tous ces couples tournoyants qui poussent dans l'air lourd des relents de chairs moites me choquent, m'étourdissent, me brisent...

Blotti dans un coin du balcon, j'écoute monter comme d'une cuve le murmure de Paris en ébullition, et regarde filer vers la voûte noire du ciel incrustée de diamants les boules de feu des fusées... Elles crèvent, s'épanouissent en un gigantesque bouquet d'étoiles multicolores qui reste un instant suspendu... puis retombe... pluie d'émeraudes, d'améthystes, d'escarboucles, de saphirs, de rubis...

Cependant, dès que je vois du côté de la place Nationale les points lumineux, verts, rouges, bleus, oranges, d'une multitude de lampions danser dans la nuit, je descends quatre à quatre.

La place Nationale

Cela s'avance dans un halo de poussière rousse, précédé d'une rumeur qui devient vite tintamarre, et, bientôt, flanquée d'une marmaille hurlante, défile toute une horde déguenillée et sordide ; hommes, femmes, enfants, aux figures grimaçantes. , frappées violemment par la lueur mouvante des lampions, ou entrevues vaguement dans l'ombre, tapant sur des chaudron, des gongs, des tambours, soufflant dans des cuivres, des mirlitons, des cornes, ou jouant de la vielle, de la mandoline ou de l'accordéon... Vision mirifique, truculente, fantastique, et, cacophonie effroyable qui, dès qu'elles ont passé, laissent dans la rue comme une stupeur !

C'est la retraite des chiffonniers de la cité Doré — un ramassis d'abominables cahutes coupé de noires rigoles, et qui s'étale comme une gourme sur la face du quartier, entre le boulevard de la Gare et la place Pinel.

Ces Quatorze Juillet arrosés de gros vin, le sont quelquefois aussi de sang, comme le soir où le cordonnier Mulot, du passage Debille, ivre et jaloux, creva à coups de tiers-point le ventre de sa femme, parce qu'elle dansait avec un voisin qu'il détestait ; et aussi la nuit où l'on ramena chez lui le grand Muller — l'aîné de Pétard — le dos troué d'un coup de surin, au sortir du bal de « l'Alca » (l'Alcazar), également pour une raison d'amour.

Le lendemain, Pétard, profitant de ce qu'il était un instant seul dans la boutique, nous fit entrer mystérieusement. Brocard, Ricaille et moi, et nous montra, tout fier, la flanelle et la chemise roides de sang. Nous désignant la fente du couteau, il nous expliqua avec beaucoup d'importance que le médecin avait dit qu'il s'en était fallu d'un centimètre pour que le cœur fût touché.

Nous connaissions le meurtrier. Il habitait dans le passage de la Belle-Moissonneuse et s'appelait « La FIute ». C'était un blême et long voyou à l'aspect maladif, au regard fuyant, et dont le grand Muller n'aurait fait qu'une bouchée... Aussi l'autre l'avait-il frappé par derrière.

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Le 13e en littérature

La poterne des Peupliers

La vague rouge

par
J. H. Rosny Ainé

Un homme s'arrêta sur la route, près de Gentilly. Il considéra le paysage misérable et puissant, les fumées vénéneuses, l'occident frais et jeune comme aux temps de la Gaule celtique.
Si l'auteur nomme une poterne des Tilleuils, c'est bien de la poterne des Peupliers dont s'agit.

(1910)

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Rue des Peupliers

Perdues dans Paris

par
Jules Mary

Un des coins de Paris, misérable et sinistre. La longée des fortifications plantées d'arbres en double ou triple rangée, le côtoie pourtant de verdures plaisantes durant la belle saison, mais, en réalité, sépare pour ainsi dire cette région parisienne du reste du monde. Du haut de la rue des Peupliers...

(1908)

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Quartier Croulebarbe

Les esclaves de Paris

par
Émile Gaboriau

C'est là un quartier étrange, inconnu, à peine soupçonné de la part des Parisiens...
Où Emile Gaboriau fait découvrir le quartier Croulebarbe à ses lecteurs.

(1868)

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La Cité Jeanne-d'Arc

Un gosse

par
Auguste Brepson

La cité Jeanne-d'Arc est ce vaste ensemble de bâtiments noirs, sordides et lugubres percés comme une caserne de mille fenêtres et dont les hautes façades s’allongent rue Jeanne-d'Arc, devant la raffinerie Say.

(1928)

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Butte-aux-Cailles

La vague rouge

par
J. H. Rosny Ainé

L'homme suivit d'abord la rue de Tolbiac, puis s'engagea par ces voies ténébreuses, bordées de planches, de lattes et de pieux, qui montent vers la Butte-aux-Cailles. Les oiseaux des réverbères dansaient dans leurs cages de verre. On apercevait des terrains fauves, des chaînes de bosselures, des rampes de lueurs, des phares dans un trou du ciel, et, du côté de la Butte, un nuage de feu pâle évaporé sur Paris...

(1910)

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Le quartier de la Gare

Monsieur Lecoq

par
Émile Gaboriau

Le 20 février 18.., un dimanche, qui se trouvait être le dimanche gras, sur les onze heures du soir, une ronde d’agents du service de la sûreté sortait du poste de police de l’ancienne barrière d’Italie.
La mission de cette ronde était d’explorer ce vaste quartier qui s’étend de la route de Fontainebleau à la Seine, depuis les boulevards extérieurs jusqu’aux fortifications.
Ces parages déserts avaient alors la fâcheuse réputation qu’ont aujourd’hui les carrières d’Amérique.

(1869)

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Butte-aux-Cailles

Le trésor caché

par
Charles Derennes

Depuis toujours on habitait, mon père et moi, sur la Butte-aux-Cailles ; encore aujourd'hui, ce quartier-là n'est guère pareil à tous les autres. Mais si vous l'aviez vu du temps que je vous parle ! Des cahutes s'accrochaient à la butte comme des boutons au nez d'un galeux ; ça grouillait de gosses et de chiens, de poux et de puces...

(1907)

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Saviez-vous que... ?

En 1863, le marché aux chevaux du boulebard de l'Hôpital se tenait le mercredi et le samedi de chaque semaine et le premier lundi de chaque mois.

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En 1877, il fut décidé que le nouveau marché aux chevaux reprendrait la place de l'ancien (auparavant transféré sur le boulevard d’Enfer), ce fut M. Magne, architecte, qui fut chargé de la direction des travaux.
Il a fallu faire d'immenses travaux de consolidation et de soutènement pour profiter de l'îlot escarpé et montueux compris entre le boulevard Saint-Marcel et celui de l'Hôpital.
La porte principale du marché, flanquée de deux forts jolis pavillons, s’élevait boulevard de l’Hôpital, tandis qu’un mur défendu par des grilles en fer s’étendait sur le boulevard Saint-Marcel.

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Les travaux du pont de Tolbiac enjambant les voies de chemin de fer de la compagnie d'Orléans commencèrent le 1er avril 1893.
Le pont fut inauguré par le Président de la République M. Félix Faure, le 15 juillet 1895.

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Henri Pape (1789-1875), dont une rue du quartier Maison-Blanche honore la mémoire, était fabricant de pianos. Selon Wikipédia, Henri Pape déposa 137 brevets concernant le piano. Il sera par exemple à l'origine de la garniture des marteaux avec du feutre (1826) et du croisement des cordes, tendues en diagonale, les cordes graves passant au-dessus du plan des autres cordes, afin d'augmenter leur longueur (1828).

L'image du jour

Le carrefour des Gobelins vu depuis le boulevard de Port-Royal.