Dans la presse...



La Nouvelle Cour des Miracles.

Revue municipale et gazette réunies — 10 décembre 1859

La Cité Doré. — Le rapport de M. Peise, commissaire-voyer du XIIe arrondissement. L'article de LA REVUE MUNICIPALE du 10 septembre 1859. — Réclamation de M. Doré, soixante-treize jours après cette publication. - Réplique de M. Louis Lazare.

 

"Nous avons beau percer de nouvelles voies, élargir les anciennes, supprimer une à une toutes nos ruelles étroites et fangeuses, Paris sera toujours une ville malsaine, tant qu'il sera loisible à certains individus, abusant du droit de propriété, d'improviser de ces cités ou passages particuliers qui peuvent se soustraire impunément à l'action tutélaire de la grande voirie."

Comte CHABROL DE VOLVIC, Préfet de la Seine.
(Rapport au Roi sur la situation de la Ville de Paris.)

 

La propriété a toujours été respectée par nos Édiles parisiens; mais l'exercice de son droit a ses limites et ses devoirs.

Nous nous sommes constamment élevé contre la formation de passages, impasses, cités et prétendues villas qui pullulent dans Paris.

Souvent, nous avons visité ces ruelles que la spéculation, depuis un demi-siècle, improvise principalement dans les quartiers des Quinze-Vingts, des faubourgs Saint-Antoine, Saint-Marcel et dans la banlieue ; toujours nous avons constaté que ces voies hermaphrodites n'existaient qu'au grand détriment de la salubrité publique.

Cette vérité s'explique : ces ruelles n'étant pas reconnues voies communales, ne sont ni pavées, ni éclairées par la ville; ces obligations abandonnées aux possesseurs de ces immeubles, sont rarement remplies d'une manière convenable, par cette raison toute simple, que leur exécution complète amoindrirait le bénéfice des locations.

Essayant de combattre cette vérité, qu'aucune argumentation sérieuse ne saurait affaiblir, des gens intéressés à ces abus, et interprétant cruellement le droit de propriété, nous ont dit : Le détenteur d'une cité ou d'un passage est parfaitement libre de lui donner la largeur qui convient à ses intérêts, comme il lui est loisible de déterminer les dispositions intérieures des locations, sauf aux personnes qui viennent pour les habiter, à chercher ailleurs si ces dispositions ne leur conviennent pas.

À cette criminelle interprétation du droit de propriété, au point de vue de l'humanité, nous avons répliqué constamment: sans doute, un propriétaire est libre de disposer de son bien comme il l'entend. Il peut, sur son terrain, bâtir une cahute si bon lui semble. S'il y loge, mais seul, qu'il manque d'air, qu'il s'asphyxie, qu'il meurt, c'est son affaire. Mais du jour où il bâtit une cité ou un passage pour en tirer parti, pour le louer, dès ce jour, il spécule. C'est alors une marchandise qu'il offre au public ; donc, il importe, il faut que cette marchandise soit de bon aloi. Si le passage est trop étroit, si les locations se trouvent malsaines, le propriétaire débite une marchandise avariée, nuisible et dangereuse. Cette marchandise compromet aussi gravement la santé publique que le vin frelaté, le lait falsifié, ou la viande corrompue que vend un débitant déshonnête.

Eh bien, si l'administration municipale fait punir les vendeurs tarés, ces empoisonneurs publics, pourquoi n'aurait-elle pas le droit de défendre la création ou d'ordonner la suppression de passages ou de cités homicides qui tuent plus vite et plus cruellement encore, les pauvres gens que la misère condamne à les habiter ? Ces réflexions, souvent insérées dans notre feuille, ont toujours été applaudies par nos lecteurs ; elles ne sont contestées que par certains propriétaires, qui profitent des abus dont l'administration municipale poursuit la destruction, — cela dit, entrons en matière :

(1) La Cité Doré a la figure d'un triangle, dont la pointe se dirige vers le boulevard de l'Hôpital. Elle est limitée à peu près par les Rues des Deux-Moulins et d'Austerlitz et le Chemin de Ronde de la Gare. — Nous engageons nos lecteurs à faire un pèlerinage à la Cité Doré.

En 1853, un commissaire-voyer de la Ville de Paris, chargé du XIIe arrondissement, M. Peise, signalait à la sérieuse attention de l'Autorité Municipale l'existence pernicieuse et coupable d'une cité située chemin de ronde de la Gare, près la barrière d'Ivry (1).

L'honorable et digne architecte, vivement impressionné à l'aspect de ce hideux séjour qui torturait son humanité, adressait à son administration un rapport très-remarquable qui fut envoyé à la Commission des logements insalubres.

Un des amis de M. Peise, après avoir visité, avec l'honorable commissaire-voyer, la cité Doré, nous écrivait sous l'impression d'une seconde excursion, en août 1859, un article intitulé : la Nouvelle cour des Miracles, et publié par la Revue Municipale le 10 septembre suivant.

Selon notre habitude, ce travail ne fut imprimé qu'après une visite faite par nous à la cité Doré, dont la réalité nous parut plus affligeante encore que la description que nous en faisait le rédacteur de l'article en question.

Ce travail, publié par la Revue Municipale, fut répété par plusieurs grands journaux quotidiens, sans que la moindre observation s'élevât pour oser affaiblir cette vérité malheureusement incontestable.

Après soixante-treize jours de silence, M. Doré, propriétaire de cette cité, qu'il a décorée de son nom, nous a fait sommation par ministère d'huissier, d'avoir à insérer une réclamation dans l'intérêt de cette localité.

Cette réclamation a paru tout au long dans notre numéro du 1er décembre.

Voici maintenant la réplique de M. Pierre Gallié, auteur de l'article qui a eu l'honneur de déplaire à M. Doré :

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Monsieur le Directeur,

Je vous suis bien reconnaissant de l'empressement que vous avez mis à me faire parvenir aussi loin, la réclamation si étrangement tardive de M. Doré.

Vous connaissez les éléments dont se compose mon article.

J'avais l'honneur de connaître M. Peise, Commissaire-Voyer de la Ville de Paris. Cet architecte était alors chargé précisément de surveiller les constructions du douzième arrondissement, aux confins duquel se trouve la Cité Doré.

En différentes circonstances, M. Peise m'entretint de cette localité en des termes qui excitèrent ma curiosité ; plusieurs fois j'allai visiter ce triste séjour, et j'écrivis sous l'impression douloureuse que j'éprouvai.

(2) J'ai vu M. Magne le 19 novembre présent mois. Je lui ai demandé : « Que pensez-vous de la cité Doré ? » Il m'a répondu : « C'est quelque chose d'horrible, mais je n'y puis rien. »

Louis LAZARE.


Au moment même où nous rédigeons cet article, nous recevons une lettre émanant d'un ancien Magistrat, qui pendant vingt années a fait partie du Conseil Général de la Seine ; voici le résumé de cette lettre :

Paris, 2 décembre.

À Monsieur le Directeur de la Revue Municipale.

Mon cher Maître,
Arrivé à l'extrémité de ces pauvres demeures, devant la barrière des Deux-Moulins, j'ai voulu voir l'intérieur de cette singulière Cité, et je déclare devant Dieu, que parmi toutes les masures qui depuis dix années, dans Paris, sont tombées sous le marteau de la démolition, IL N'EN EXISTAIT PAS D'AUSSI HIDEUSE QUE LA PLUS GRANDE PARTIE DES CAHUTTES QUI COMPOSENT LA CITÉ DORE.

LIBERT aîné, Ancien maire de Bercy, Ancien membre du Conseil Général de la Seine.

Dans ma conscience, la Cité Doré me parut un ramassis de ruelles hideuses, un accouplement monstrueux de cahuttes sans nom.

Ai-je amplifié ? ai-je exagéré le mal ? Il est un moyen certain, honnête, de le savoir : M. Peise est mort, mais son mémoire existe. M. Doré, qui veut faire de sa cité un Eldorado, prétend que le rapport de M. Peise ne prouve rien, car M. Peise, dit-il, était fou. — Cette gracieuseté explique mon adversaire.

Mais puisque M. Doré conteste M. Peise, consultez, mon cher Directeur, M. Magne, aujourd'hui Commissaire-Voyer du douzième arrondissement.

Il y a lieu d'espérer que M. Doré n'accusera pas de démence, encore cette fois, un des plus habiles architectes, un artiste dont le cœur est à l'unisson de l'intelligence et du savoir (2).

À Dieu ne plaise qu'on me soupçonne l'intention, en daguerréotypant cette affreux séjour, d'avoir voulu insulter à la misère des gens condamnés à végéter dans ce Botany-Bey, dont M. Doré est si fier; mais je dis et je soutiens que ces affreux réduits sont d'ordinaire les amorces du vice et les instigateurs du désordre; qu'au contraire l'air qui circule librement, le soleil qui égaye et purifie la chambre du pauvre, exercent sur lui une double et salutaire influence: ils contribuent au maintien de sa santé, qui prédispose son cœur à de bonnes et douces émotions et à l'accomplissement de tous ses devoirs.

Il est vraisemblable que M. Doré a dû profiter de son silence de soixante-treize jours, pour peigner et débarbouiller quelque peu sa chère Cité, dont il vous a dépeint si amoureusement les charmes. En dépit de ces attentions délicates, quand bien même M. Doré aurait mis de la poudre de riz sur l'objet de ses amours, si la Cité Doré a conservé les constructions que j'ai vues, la Cité Doré soulève le cœur et fait honte à Paris.

Je n'ai rien à retrancher de mon article du 10 septembre, qui n'est qu'un pâle reflet du rapport de M. Peise et de l'opinion que M. Magne, Commissaire-Voyer, a dû se faire de la Cité-Doré.

Agréez, M. le directeur, l'hommage de mon respect,

PIERRE GALLIÉ.

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À mon tour maintenant. Comme chef de la Revue Municipale, j'ai contracté l'habitude de vérifier sur place les abus que mes lecteurs veulent bien me signaler.

J'ai reçu le 30 août un article sur la Cité Doré; cet article, signé Pierre Gallié, signalait à mon ambition de bien faire, l'horrible situation de cette localité, dans laquelle sont entassés plus de 3,000 individus.

Le 2 septembre, j'allai visiter la Cité Doré, et j'écrivis, selon ma coutume, sur mon calepin, quelques mots résumant toute ma pensée; ces mots les voici : Toutes les ruelles horribles des quartiers de la Cité et des Arcis, que l'humanité et la sagesse de nos magistrats ont effacées de la carte de Paris, étaient des nymphes à côté de la Cité Doré.

Je rentrai chez moi, je pris la plume et, tout en respectant quant au fond, l'article de Pierre Gallié, je le renforçai de toute l'indignation qui me faisait bondir le cœur dans la poitrine.

Donc, j'écarte tout collaborateur, je me fais seul responsable, parce que j'ai l'orgueil d'en garder tout l'honneur.

Que nous répond M. Doré, après trois mois environ de silence, par l'organe du sieur Néron Destré, son huissier ; « que la Cité » décorée de son nom, est établie d'une manière pittoresque sur un des versants de la Seine ; que son fils fait un cours de chimie (ce qui ne prouve pas que le père soit professeur de belles lettres) ; »

Qu'il y a dans la Cité Doré un boucher comme on n'en voit pas, des chiffonniers comme on n'en voit guère et des joueurs d'orgues comme on en voit trop, au grand préjudice des oreilles parisiennes et des œuvres de Boieldieu, de Rossini et de Meyerbeer, que les locataires de M. Doré écorchent à plaisir. — Mais laissons là toutes ces fioritures.

Ce qui déplaît, dans notre article, à M. Doré, disons-le carrément, c'est que l'Autorité Municipale pourrait bien le prendre en considération, et que si elle décidait la destruction de cette cité sous l'impression de notre article, l'indemnité ne serait pas aussi rondelette que l'ambitionne son chatouilleux propriétaire.

Voilà la petite vérité qui lutine sur la sommation de M. Doré, aussi nous annonce-t-il avec orgueil qu'il possède 11,000 mètres de terrain, qu'il estime modestement à 60 fr. le mètre, alors qu'ils ne valent pas la moitié de ce prix. Cette sommation est donc tout bonnement une précaution, ou mieux une réclame de plus-value par ministère d'huissier.

Maintenant écartons M. Doré, pour aborder des considérations d'un ordre plus élevé.

En parcourant la ville de Paris jusqu'aux fortifications, nous avons jusqu'ici enregistré 269 ruelles, cités, cours, passages ou villas créés en dehors de toute action, de tout contrôle municipal. La plupart de ces propriétés particulières, gouvernées arbitrairement par leurs détenteurs, sont hideuses à voir et soulèvent le cœur.

Eh bien, nous le demandons à nos Édiles, cette progression foudroyante de ces cités, construites en haine de tout alignement, dans lesquelles l'air fait souvent défaut, dont la saleté est l'amorce ou la courtisane de tous les vices qui se plaisent dans l'ombre, ces cités, disons-nous, ne constitueront-elles pas un jour un danger pour l'Autorité, comme elles sont la honte et le déshonneur de Paris ?

Ces créations si fatales à la salubrité, annuleront, si vous n'y prenez garde, l'action bienfaisante de nos grandes voies publiques.

Ne laissons pas nos ouvriers parisiens, qui sont de véritables artistes, s'étioler, se flétrir dans ces bouges où la spéculation leur rogne l'espace et trafique de la lumière. Ne laissons pas se former impunément aux extrémités de la ville ce que vous avez eu tant de peine à détruire dans le centre de Paris, et ce qui a troublé si longtemps le repos de la France.

Que partout dans cette grande Capitale, qui va se développer jusqu'à sa limite de granit, que partout l'air circule librement, et que les rayons bienfaisants et radieux du soleil viennent égayer et assainir la chambre modeste de l'artisan, comme le salon doré du riche.

La salubrité de nos rues, la propreté des habitations exercent une action bienfaisante sur le moral de nos ouvriers, qui se plaisent davantage au sein de la famille, où règne la femme, cet ange du foyer domestique.

Ne laissons pas se multiplier avec les idées de désordre qu'elles excitent et préconisent, ces passages étroits et sombres, ces cités homicides.

Si la législation en matière de grande voierie est insuffisante en présence de ces exploitations dangereuses et coupables, conseillez à l'Autorité, que nous devons tous servir loyalement, de la renforcer de manière à entrer librement partout où vous voudrez exercer votre action tutélaire, généreuse et humaine.

Rappelons un dernier fait en terminant : M. Doré nous menace charitablement de faire une collecte avec ses heureux locataires pour ramasser de quoi faire les frais d'une poursuite qu'il entend diriger contre nous en police correctionnelle, pour avoir contesté les charmes de sa chère cité.

Nous serions heureux si M. Doré daignait donner suite à cette menace, qui deviendrait la récompense de notre article, que nous avons la conscience d'avoir écrit honnêtement, sans peur, et sous le regard de Dieu.

Louis LAZARE.


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Le Puits artésien de la Butte-aux Cailles

L'achèvement prochain des travaux du puits artésien de la place Hébert est venu nous rappeler un autre puits du même genr dont le forage fut commencé presque à la même époque que celui du puits des hauteurs des Belleville, mais tombé complètement dans l'oubli depuis une vingtaine d'années : nous voulons parler du puits artésien de la Butte-aux-Cailles. (1889)

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Extension de la Gare du chemin de fer d'Orléans

On a mis récemment à l'enquête un projet d'agrandissement de la Gare du chemin de fer d'Orléans, à Paris, qui consiste à étendre les dépendances de cette gare jusqu'au quai d'Austerlitz, par l'annexion de tout l'emplacement compris entre ce quai, la rue Papin et le boulevard de l'Hôpital. (1862)

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Portrait : Emile Deslandres

Conseiller municipal du quartier Croulebarbe (1925)

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Promenade électorale dans le XIIIè

Le treizième a toujours été la cité des pauvres. Il sue encore la misère avec ses îlots de maisons délabrées… avec la rue du Château-des-Rentiers, ô ironie, avec la Butte-aux-Cailles chère à Louis-Philippe. Et comme la misère va de pair avec la douleur, beaucoup d'hôpitaux, la Salpêtrière, la Pitié, Broca, Péan, des asiles, des refuges. Sur 33.500 électeurs, 28.000 paient de 500 à 1.200 francs de loyer par an. Au prix actuel du gîte, ces chiffres ont une triste éloquence ! On ne s'étonnera pas si le treizième est politiquement très à gauche… et même à l'extrême gauche. (1927)

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Trop de clairons dans le quartier de la Maison-Blanche

Tandis que les chauffeurs ne pourront claironner ou trompeter par les rues de Paris, des escouades de bruiteurs autorisés continueront, embouchure aux lèvres, leur pas accéléré quotidien dans les rues du quartier de la Maison-Blanche en général, boulevard Kellermann en particulier. (1929)

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Saviez-vous que... ?

En 1897, il y avait un magasin de porcelaine au 196 de l'avenue de Choisy dans laquelle le cheval du fiacre n°7119 entra le 26 mars…

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C'est en 1888 que le conseil municipal de Paris décida que la nouvelle rue située entre la place de Rungis et la place du Nouveau Puits-Artésien, de la Butte-aux-Cailles, prendrait le nom de rue du sergent Bobillot.

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L'église Saint-Hippolyte, œuvre de l'architecte Jules Astruc (1862-1935), a été construite entre 1909 et 1924, grâce notamment à la générosité de la famille Panhard.

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Dans les plans de 1860, c'est sur un viaduc long de 800 mètres, composé d'arches de dix mètres d'ouverture et dont la hauteur maxima aurait été de quinze mètres avec des piles évidées à l'aplomb de l'entrevoie que le chemin de fer de ceinture aurait dû traverser la vallée de la Bièvre en offrant une vue magnifique depuis le parc de la Butte-aux-Cailles qui, in fine, céda la place au Parc Montsouris.

L'image du jour

Rue de la Fontaine-à-Mulard