Conseil de préfecture de la Seine - 28 juillet 1881
Le Droit — 20 août 1881
M. Thuilleux avait eu l’idée de faire construire cuides terrains situés à Paris, rue Jeanne-d’Arc, une vaste cité ouvrière, d'après un plan qui devait, au moins, son auteur le croyait, donner les meilleurs résultats. C’est ainsi que les boutiques des bâtiments devaient être transformées en magasins d’approvisionnement, de façon à ce que les habitants de la cité puissent trouver sans déplacement tout ce dont ils avaient besoin.
Le résultat n’a pas été heureux ; une population très nombreuse est venue habiter les bâtiments de la cité Jeanne-d’Arc, et l’agglomération des individus, ainsi que le défaut d’entretien et le manque d’air et d’espace, ont transformé en peu de temps la propriété de M. Thuilleux en un foyer d’infection. Un extrait du rapport adressé par M. le docteur du Mesnil à la Commission des logements insalubres, fera connaître au surplus l’état dans lequel se trouvaient les bâtiments de la cité.
Voici ce passage :
La cité Thuilleux ou cité Jeanne-d’Arc se compose de corps de bâtiments élevés sur caves, d’un rez-de-chaussée, de cinq étages carrés et d’un étage lambrissé, perpendiculaires à la rue Jeanne-d’Arc et à la rue Nationale. Ces corps de bâtiments sont séparés par deux impasses et un passage d’une largeur de cinq mètres environ. Ils sont reliés entre eux sur la rue par une vaste arcade surmontée d’un attique en maçonnerie. Au niveau de la rue, le passage et les impasses sont fermés par une grille en bois à claire voie de peu de hauteur.
Le sol des allées, macadamisé, et les trottoirs qui les bordent, autrefois recouverts en ciment, sont absolument dégradés ; on y trouve de place en place des excavations dans lesquelles les eaux pluviales et ménagères croupissent et se putréfient. Aucune des façades ou ravalement des bâtiments n’a reçu jusqu’à présent ni une peinture à l’huile ni un badigeonnage, pas plus dans la partie qui donne sur les allées ou impasses que sur les rues Jeanne-d’Arc et Nationale. Il en résulte que les nombreuses matières organiques en suspension dans l’atmosphère de ces allées ou impasses s’attachent aux parois des murs, y fermentent, s’y putréfient et contribuent à l’infection de l’air qu’on y respire.
Les cages d’escalier, à l’exception de l’escalier n° 2 de l’immeuble 81, rue Jeanne d’Arc, sont très-sombres, du moins aux trois premiers étages, et leur malpropreté est en raison directe du peu de jour qui y pénètre. L’infection des escaliers part du rez-de-chaussée où s’ouvrent les caves renfermant des appareils filtrants qui sont mal entretenus et peu surveillés. C’est ainsi que dans les maisons cotées sous les n. 71, 73 et 77, rue Jeanne-d’Arc, on constate que les appareils débordent et que les matières fécales couvrent de larges espaces dans les caves. Il y a plus d’une année que MM. Perrin, Sinaud et moi, nous avons constaté le même fait dans cette même cité. Des caves l’infection se propage dans toute la hauteur de l'immeuble par les cabinets d’aisance de chaque étage qui sont tous à trous béants; un certain nombre, d’une malpropreté extrême, sont dépourvus de portes, leurs murs sont souillés et plombés ; dans les bâtiment» n° 8 (25, rue Nationale) et n° 9 (27, même rue), rue Jeanned’Arc, 71, 73, 75, 77 et 79, il existe un vice de construction qui fait que les cabinets d’aisance n’infectent pas seulement les logements par les cages d’escalier, mais encore directement.
En effet, aux deux extrémités d’une cour longue sont, à chaque étage, des logements en retour d’équerre dont l’unique croisée ouvre sur cette cour perpendiculairement à toute sa longueur. Immédiatement en retour d’équerre dans la façade longeant cette cour, à une distance de moins d’un mètre et en contrebas de cette unique croisée, se trouvent les châssis des cabinets d’aisance et les croisées de l’escalier. Par suite de cette disposition, l’air vicié qui s’échappe de ces cabinets est inévitablement en grande partie aspiré par la croisée lorsqu’elle est ouverte. Aujourd’hui qu’au delà de cette cour longue, du côté des maisons contiguës, il n’existe que des murs de clôture sans construction et que de vastes terrains s’étendent à droite et à gauche, cette disposition vicieuse ne fait pas encore sentir tous ses effets, mais elle deviendra d’une extrême gravité quand des constructions seront établies dans le voisinage.
Dans l’escalier n° 2 du n° 81 de la rue Jeanne-d’Arc, les lieux d’aisance aux 2°, 3e.. 4° et 5e étages, présentent cette particularité qu’ils ont été installés dans un cabinet très-vaste, vraisemblablement destiné autrefois à l’habitation, et dans lequel on a enlevé les fenêtres sans les remplacer par quoi que ce soit. Ces cabinets d’aisance prennent air et jour par celle large baie sur une petite couette, et de la fenêtre percée symétriquement en face dans le bâtiment parallèle qui en est séparé à peine par deux mètres, la vue plonge dans les cabinets d’aisance. La pluie et la neige y pénètrent.
Dans tous les escaliers, excepté celui qui dessert le n° 2 de l’immeuble coté 81, rue Jeanne-d’Arc, à droite et à gauche de chaque palier, se trouve un couloir sombre où l’on circule à tâton, qui donne accès de chaque côté à cinq logements se composant d’une ou de plusieurs pièces, suivant les réunions consécutives qui ont été faites par les locataires. Dans l’immeuble n° 77, les escaliers, éclairés sur la cour intérieure, sont assombris par les portes des cabinets qui se développent extérieurement et qui viennent battre sur les croisées.
Tous ces logements, à tous les étages, excepté au 1er étage du n° 81, rue Jeanne-d’Arc, qui est occupé par un garni bien tenu, tous ces logements présentent les causes d’insalubrité suivantes :
Les plafonds sont sales, les papiers tombent en lambeaux, et sur leurs débris des insectes de toute nature ont élu domicile. Les planchers sont recouverts d’une couche épaisse de malpropreté. Dans les uns, ce sont les panneaux des portes qui manquent, ailleurs ce sont les vitres qui font défaut aux fenêtres ; ailleurs, enfin, on ne peut ouvrir les fenêtres par suite du mauvais état des ferrures et de la menuiserie. Beaucoup de cheminées sont brisées, leurs montants non remplacés. Certains logements sont traversés par des tuyaux de descente.
Dans plusieurs corps du bâtiment, les plafonds des logements du 5e étage sont traversés par la pluie et rendus humides par suite de la disparition du vitrage des châssis à tabatière qui éclairaient les logements lambrissés du 6e étage.
Au 6e étage, des logements habités, notamment le n° 109, dans l’escalier 2 de la maison portant le n° 81, rue Jeanne-d’Arc, ont leurs enduits crevassés, les plafonds traversés par les eaux pluviales. Rien ne peut égaler la malpropreté sordide des murs et plafonds des logements n° 9.
Les divers corps de bâtiments de la rue Jeanne-d’Arc sont séparés par des cours et ruelles de dimensions variables, mais d’une insalubrité égale, le sol formé d’un enduit en mauvais état qui est fendu crevassé, boursouflé. Les eaux ménagères n’ont aucun écoulement et leur déversement habituel par les fenêtres dans ces cours intérieures, accompagné de la projection des ordures de tous les logements de chaque étage, crée dans chacune d’elles un foyer d’infection permanent qui est, parait-il, quelquefois nettoyé depuis nos premières visites, mais qui est reconstitué à la fin de la journée. Le sol des magasins à rez-de-chaussée est encombré de matériaux de diverse nature et de malpropreté. De plus, plusieurs parties sont défoncées par suite des infiltrations d’eau. Les devantures de magasins sont en grande partie défoncées et en état de ruine, plusieurs sont remplacées par des planches mal jointes. De plus, dans chaque cour ou courette, surtout dans l’une d’elles où on avait conçu, paraît-il, l’idée d’établir un marché à l’usage des habitants de la cité, il existe des chevrons qui paraissent avoir supporté une couverture aujourd’hui disparue, mais dont les chenaux actuellement sans usage ont été conservés. Ces chevrons inutiles, quant à présent, reçoivent des lambeaux de vêtements, les chiffons jetés de tous les étages, qui y restent appendus et pourrissent, Les chenaux, qui recevaient autrefois les eaux de ces cours vitrées, servent aujourd’hui de réceptacle aux détritus et aux ordures ne toute nature qui y sont accumulés en grande quantité et dégagent des odeurs méphitiques qui infectent tous les logements. Il n’existe aucun moyen de dégager ces chenaux, que l’on retrouve dans toutes les courettes intérieures.
Le passage Thuilleux, dans la partie qui mène de la rue Jeanne-d’Arc à la rue Nationale, et sur lequel donnent les numéros 79 et 81, rue Jeanne-d’Arc, et 25 et 27, rue Nationale, est dépourvu d’eau.
Aucun des escaliers n’est éclairé. Il n’existe pas dans cette cité, à aucun des étages, une seule cuvette pour le déversement des eaux ménagères, ce qui explique, dans une certaine mesure, l’habitude prise par les locataires de jeter tous les immondices par les fenêtres.
Il faut ajouter que la variole se déclara dans la cité et qu’en peu de jours un grand nombre d’habitants furent emportés par l’épidémie. Un rapport spécial sur les causes de cette mortalité excessive fut fait par M. le docteur Delpech, et après ces enquêtes minutieuses, le conseil municipal adopta, au rapport de M. Georges Martin, les conclusions de la commission des logements insalubres, lesquelles se formulaient ainsi :
Il y a lieu :
1° De gratter à vif tous les murs des façades, du n° 71 au n° 81, sur la rue Jeanne-d’Arc, et 25 et 27 sur la rue Nationale, sur les cours intérieures et les impasses ;
2° De les peindre à l’huile ou de les badigeonner à la chaux, ainsi que les boiseries extérieures ;
3° De régulariser le sol du passage et des deux impasses ; de réparer les trottoirs et d’établir des ruisseaux au droit des trottoirs ; de paver ou de jointoyer les ruisseaux en ciment ou en bitume, d’établir deux bouches d’eau à la partie la plus élevée du passage pour assurer le nettoyage de ces caniveaux ; d’enlever les arcades de toutes les entrées des passages et impasses ;
4° De refaire le sol de toutes les cours ou curettes en matériaux étanches et de leur donner une pente très accentuée vers des gargouilles ou des conduits d’écoulement se rendant à l’égout, de façon à ce que les eaux ne séjournent plus dans les magasins et boutiques; d’enlever les dépôts de matériaux et d’ordures, et de remettre en état les planches défoncées ;
5° De supprimer dans toutes les cours et courettes les chevrons des anciens châssis et de faire disparaître les chenaux qui sont à hauteur du premier étage ; d'établir à chaque étage des cuvettes à eaux ménagères, système à bascule, grand modèle, disposées de façon à renvoyer au dehors les odeurs méphitiques; de mettre les cuvettes à eaux ménagères en communication directe avec l’égout ;
6° Dans tous les cabinets d’aisances, à tous étages, de revoir les sols, de refaire en matériaux imperméables et imputrescibles ceux desdits sols qui sont fendus et crevassés, de régler leur pente de façon à ce que les liquides s’écoulent directement dans la fosse par l’orifice percé au-dessous du siège et au-dessus de la soupape ; de gratter les murs à vif ; de lessiver les peintures et partout où elles font défaut, de repeindre le tout à l’huile à base de blanc de zinc ton clair, de rétablir les portes partout où elles manquent ; de faire ouvrir en dedans celles qui se développent au dehors ; de les faire fermer par des crochets ou tachettes ; de placer des châssis à lames de persiennes là où les cabinets en sont démunis, dans les lieux d’aisances qui sont entre le cinquième et le sixième étages des n° 71 et 73 de la rue Jeanne-d’Arc, dans chaque escalier, de boucher la partie ouverte qui se trouve au-dessus de la porte et d’agrandir les baies d’aérage en les portant à cinquante centimètres sur cinquante, et de les munir de lames de persiennes ;
7° De munir d’appareils à fermeture hermétique et automatique tous les cabinets d’aisances qui en sont dépourvus ; de mettre en bon état de fonctionnement les appareils existants ;
8° De lessiver les peintures de tous les escaliers, de gratter à vif les parties peintes à la colle ou badigeonnées et de les badigeonner; de gratter à vif les plafonds et de les blanchir ; d’établir dans chacun des couloirs des escaliers, excepté dans celui du n° 81, rue Jeanne-d’Arc, des impostes vitrées au-dessus de toutes les portes ;
9° De gratter à vif les plafonds et les murs de tous les logements, excepté le garni du n° 81, tenu par la dame France ; d’arracher les papiers de tenture et de les remplacer par une peinture à l’huile, à base de blanc de zinc, à hauteur de un mètre cinquante, et de badigeonner ou de peindre à la colle dans le reste de la surface ; de réparer et de mettre en bon état de fonctionnement les portes et fenêtres ;
10° Dans tous les logements où il existe des cabinets et des entrées privées de jour et d’air, où la surface du sol n’excède pas 2 m. 25, et dont la plus grande longueur ne dépasse pas 1 m. 75, de percer dans les cloisons de refend, avec le logement dont ils dépendent, un châssis vitré, ouvrant d’au moins 80 cent. de hauteur et 70 de largeur, placé autant que possible en face de la porte ;
11° Dans les logements où il existe des cabinets noirs dont la surface excède 2 m. 25, tels que ceux qui, dans les immeubles 25 et 27, rue Nationale, portent les n° 11 à tous les étages, n° 8, escalier 1, et n° 9, escalier 2, de débraser la cloison légère de refend en lui laissant une hauteur maximum de 1 m. 90, et de laisser entièrement vide et sans fermeture l’espace restant au-dessus jusqu’au plafond ;
12° De supprimer les tuyaux de descente qui se trouvent dans les logements et de les reporter à l’extérieur ;
13° De faire rechercher et de réparer les parties de la toiture qui sont en mauvais état ;
14° De remplacer les châssis qui existent au-dessus des cages d’escalier par des châssis vitrés posés sur fourchettes et donnant une ouverture de vingt-cinq centimètres, et de rétablir au sixième tous les châssis qui font défaut ;
15° De munir l’entrée de chaque escalier d’un robinet d’eau en quantité et de qualité suffisantes pour assurer la salubrité de l’immeuble. Cette prescription est d’autant plus justifiée dans l’espèce que l’insalubrité extrême de cet immeuble est due en grande partie à l’absence d’eau qui ne permet pas aux locataires de nettoyer les logements qu’ils habitent et leurs dépendances ;
16° D'installer au moins trois appareils d’éclairage dans chaque escalier pour permettre la surveillance et l’entretien de ces escaliers en bon état de propreté.
M. Thuilleux s’est pourvu devant le conseil de préfecture en alléguant que les constatations des rapports de la commission des logements insalubres étaient inexactes ou exagérées et en faisant remarquer que les travaux ordonnés équivalaient pour lui à la reconstruction presque complète de ses immeubles.
Le rapport de cette affaire a été présenté par M. le conseiller Langlois.
Me Rivolet a plaidé pour M. Thuilleux; sur les conclusions de M. lLavallée, commissaire du gouvernement, le conseil a statué en ces termes :
« Le Conseil,
» En ce qui touche le grattage à vif et la peinture ou le badigeonnage des murs des façades sur les rues Nationale et Jeanne-d’Arc »
» Considérant qu’en raison de la largeur desdites rues au devant des immeubles du sieur Thuilleux, il n’y a pas lieu de maintenir, dans l’intérêt de la salubrité, cette prescription, dont le caractère d’urgence n’est pas suffisamment démontré, l’opération du nettoyage desdites façades devant, aux termes des règlements, avoir lieu dans un délai assez rapproché ;
» En ce qui touche l’enlèvement des arcades de toutes les entrées des passages et impasses :
» Considérant qu’il résulte de l’instruction que ces arcades peuvent être maintenues sans inconvénients sérieux, à la condition que toutes les crevasses seront bouchées et que les pairies supérieures desdites arcades seront disposées en pente de manière à ne plus servir de réceptacle aux immondices ;
» En ce qui touche la disposition, portant que dans tous les cabinets d’aisance, le sieur Thuilleux devra faire ouvrir en dedans les portes qui se développent en dehors :
» Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’il n’y a pas nécessité, dans l’intérêt de la salubrité, d’obliger le propriétaire à l’exécution de la prescription sus-énoncée ;
» En ce qui touche la suppression des tuyaux de descente des eaux qui se trouvent dans les logements pour être reportés à l’extérieur :
» Considérant qu’il résulte de l’instruction que les tuyaux dont il s’agit peuvent être maintenus, quant à présent, à l’intérieur, à la condition d’être soigneusement visités et d’être entretenus en bon état ;
» En ce qui touche toutes les autres prescriptions de la décision attaquée :
» Considérant qu’il résulte de l’instruction que les diverses causes d’insalubrité signalées par la commission des logements insalubres sont inhérentes à l’état vicieux des immeubles du sieur Thuilleux ; qu’il résulte également de l’instruction que les autres prescriptions ordonnées par la délibération suivisse du conseil municipal du 3 juin 1880 sont impérieusement réclamées par l’intérêt de la salubrité publique dans les immeubles appartenant au sieur Thuilleux ; que le conseil se trouva d'ores et déjà suffisamment éclairé pour statuer en pleine connaissance de cause, sans qu’il y ait lieu pour lui de recourir à l’expertise sollicitée par le requérant; que dès lors le surplus de la requête du sieur Thuilleux doit être rejeté comme mal fondé;
» Arrête :
» La délibération du conseil municipal en date du 3 juin 1880 est modifiée sur les points qui suivent :
» 1° Il n’y a pas lieu de maintenir la prescription concernant le grattage à vif et la peinture ou le badigeonnage des murs des façades sur les rues Nationale et Jeanne-d'Arc ;
» 2° Les arcades de toutes les entrées des passages et impasses sont maintenues, à la condition que toutes les crevasses seront bouchées et que les parties supérieures desdites arcades seront disposées en pente, de manière à ne plus servir de réceptacle aux immondices ;
» 3° Le sieur Thuilleux est dispensé de l’obligation, imposée par ladite délibération, de faire ouvrir en dedans les portes qui se développent en dehors dans tous les cabinets d’aisances ;
» 4° Les tuyaux de descente des eaux qui se trouvent dans les logements seront maintenus, quant à présent, à l’intérieur, à la condition d’être soigneusement visités et d’être entretenus en bon état.
» Le recours du sieur Thuilleux, contre les autres prescriptions de la délibération suivisée du conseil municipal, est rejeté. »
A propos de la Cité Jeanne d'Arc
La cité Jeanne d'Arc fut construite entre 1869 et 1874 par un nommé Thuilleux, architecte et propriétaire de son état (49 rue Peyronnet à Neuilly) qui laissa son nom à un passage aujourd'hui disparu (et épisodiquement son nom à la cité), et fut démolie à partir de 1939 après une longue période d'évacuation. Entre temps, la cité fut un foyer de misère et de pauvreté autant qu'un lieu sordide et nauséabond à éviter. Avec la cité Doré, la cité Jeanne d'Arc est l'un des lieux du 13e sur lequel on trouve le plus d'écrits et de témoignages. On ne saurait donc ici proposer qu'une sélection.
Le nommé Thuilleux ne brillait pas particulièrement sur le plan de la philanthropie, ce n'était vraisemblablement pas son but.
Le Dr Olivier du Mesnil, dont il sera question plus loin, rapporte dans son ouvrage L'Hygiène à Paris (1890) que "la commission d'hygiène du XIIIe arrondissement s'est émue lorsqu'elle a vu s'élever cette immense bâtisse où se montre à la fois l'inexpérience du constructeur et son mépris absolu des règles de l'hygiène." Il ajoute que "la commission du XIIIe arrondissement ne s'est malheureusement préoccupée que de la question de sécurité ; il est dit en effet dans son procès-verbal du 28 mars 1870 que M. X. [Thuilleux] fait construire rue Jeanne-d'Arc des habitations extrêmement vastes qui ont donné des craintes au point de vue de la solidité, mais qu'après examen la commission, tout en constatant l'extrême légèreté des constructions, déclare qu'elles ne paraissent pas présenter quant à présent de causes d'insalubrité."
Les taudis que constituait la cité Jeanne d'Arc dès l'origine, attirèrent donc rapidement l'attention de la ville de Paris après une épidémie de variole et une inspection sévère se traduisit dans un rapport établi par le Dr du Mesnil à destination de la commission des logements insalubres. La ville prescrivit ensuite des mesures d'assainissement que Thuilleux s'empressa de contester devant le conseil de préfecture de la Seine (le Tribunal administratif d'aujourd'hui, jugement du 28 juillet 1881), lequel donna largement raison à la Ville, puis devant le Conseil d'État (arrêt du 1er aout 1884), lequel rejeta le recours introduit au motif que "les diverses causes d'insalubrité signalées par la commission des logements insalubres dans les maisons appartenant au sieur Thuilleux et formant la cité Jeanne d'Arc sont inhérentes à ces immeubles et proviennent de leur installation vicieuse..."
Des améliorations finirent pas être réalisées mais ne sortirent pas la cité de sa fange.
Thuilleux et ses successeurs profitèrent encore 30 ans de la manne que représentaient les loyers de la cité Jeanne d'Arc avant de la céder, en 1912, pour 800.000 francs à l'Assistance Publique qui sous la conduite de M. Mesureur, envisageait de réaliser une grande opération de création de logements à bon marché dans le secteur. Au moment de la cession, le ou les propriétaires de la cité tiraient un revenu net de 85.000 francs des 2500 locataires de la cité selon Le Matin du 2 novembre 1912.
Le projet de l'Assistance Publique ne se concrétisa pas notamment eu égard à refus des locataires de quitter les lieux et fut gelé par la guerre. La cité changea de mains en 1925 lorsque l'Assistance Publique renonça à ses activités dans le domaine de habitations à bon marché devenu celui des communes via leurs offices de gestion.
Devenue foyer d'agitation et enjeu politique, la démolition de la cité Jeanne d'Arc est une fois de plus décidée à la fin de l'année 1933 dans le cadre de la lutte contre les îlots insalubres. La mise en œuvre de cette décision prit du temps surtout après les évènements du 1er mai 1934 et l'organisation de la résistance aux expulsions par le PCF.
Les premiers temps
- Le Bazar Jeanne-Darc (1874)
- Paris Lugubre : la Cité Jeanne-d’Arc et la cité Doré (1879)
- Conseil de préfecture de la Seine - 28 juillet 1881
- La Cité Jeanne-d’Arc (La Presse, 11 aout 1881)
- La cité Jeanne-d’Arc - Extrait de Paris horrible et Paris original (1882)
La période "Assistance Publique"
- Neuf cents chiffonniers déménagent (Le Matin, 2 novembre 1912)
- La cité Jeanne d’Arc vu par le Gaulois (Le Gaulois, 17 novembre 1912)
- Un Meeting des Locataires de la Cité Jeanne-d’Arc (1912)
- Trois ilots à détruire d'urgence (1923)
Dix ans de blocage
- Une injustice à réparer - Lucien Descaves, L’Intransigeant — 29 juin 1924
- La Ville de Paris va-t-elle enfin s'occuper de la cité Jeanne-d'Arc ? (1931)
- L'assainissement de la cité Jeanne-d'Arc (Le Temps, 17 janvier 1934)
- On va démolir la cité Jeanne-d’Arc (La Liberté, 21 janvier 1934)
Sur les évènements du 1er mai 1934
- Le « Fort Chabrol » de la cité Jeanne d’Arc (Excelsior, 2 mai 1934)
- La cité Jeanne d’Arc transformée en fort Chabrol, récit du Petit-Parisien
- Treize émeutiers de la Cité Jeanne-d’Arc ont été arrêtés hier matin, récit du Figaro
- La tentative d'émeute cette nuit rue Nationale, récit du Journal
- Les assiégés de la cité Jeanne-d'Arc se sont rendus ce matin, récit de Paris-Soir
La fin de la Cité Jeanne d'Arc
- Ventres vides, poings levés ! (L’Humanité — 3 juin 1934)
- André Marty aux côtés des locataires de la cité Jeanne-d'Arc contre l’entrepreneur Gervy (L’Humanité — 9 mai 1935)
- La cité Jeanne-d'Arc a été nettoyée de ses indésirables (Paris-Soir, 24 septembre 1935)
- Cité Jeanne-d'Arc - Les agents protègent les ouvriers démolisseurs des taudis (1935)
- Sous la protection de la police, des ouvriers ont entrepris la démolition de la trop fameuse cité Jeanne-d'Arc (Le Matin - 1935)
- Une rafle dans la cité Jeanne-d’Arc, repère de la misère et du crime (1937)
- Les ilots de la misère par Jacques Audiberti (1937)
Faits divers
- Un Drame du Terme (1902)
- Une cartomancienne assassine son ami (1921)
- La police devra-t-elle assiéger dans la cité Jeanne-d'Arc Henri Odoux qui blessa sa voisine ? (1935)
- L'ivrogne qui avait blessé sa voisine est arrêté. (Le Journal - 1935)
Autres textes de Lucien Descaves
La cité Jeanne d'Arc dans la littérature
- La Cité Jeanne-d'arc - Extrait de Paysages et coins de rues par Jean Richepin (1900)
- La Cité Jeanne d'Arc dans "Les mémoires de Rossignol" (1894)
- Extraits de "Un gosse" (1927) d'Auguste Brepson: