Les Dominicains d’Arcueil (3/3)
Les convulsions de Paris. Les prisons pendant la Commune — Maxime Du Camp
Serizier se doutait du sort qui lui était réservé et il mit tout en œuvre pour s'y soustraire. Peut-être y serait-il parvenu s'il n'avait tué que d'inoffensifs religieux ; mais il avait commis d'autres meurtres et l'un de ceux-ci fut cause de sa perte.
Dans des circonstances qui ne doivent pas appartenir à ce récit, il avait fait fusiller un garde national qu'il accusait, comme toujours, de connivence avec Versailles. Ce fédéré, qui avait été très-sommairement exécuté, était marié, et sa femme l'aimait tendrement. Elle n'oublia pas celui qui l'avait rendue veuve, et se jura de ne point laisser sans vengeance la mort de son mari. Dès que les troupes françaises eurent occupé la portion de Paris située sur la rive gauche de la Seine, elle se mit discrètement en campagne, ne confiant son projet à personne.
De tous côtés, autour d'elle, on disait : « Sérizier est mort ; il a été fusillé, il a été tué sur une barricade » elle n'en croyait rien, la haine est perspicace, et elle n'ajoutait aucune foi à tous les bruits vains ou intéressés que l'on fit courir alors sur la prétendue fin de la plupart des chefs de l'insurrection. Elle commença très prudemment son enquête et acquit bientôt la certitude que dans la soirée du 25 mai Sérizier avait été vu place Jeanne-d'Arc, qu'il était fort agité, cherchait à se cacher, se plaignait de porter un uniforme qui le ferait indubitablement reconnaître; qu'enfin, pendant la nuit, il avait été recueilli dans une maison de la rue du Château-des-Rentiers, d'où il était sorti aux premières heures de la matinée du 26 mai, revêtu d'habits bourgeois. Là elle perdait sa piste.
Elle organisa alors tout un plan d'attaque, car elle était persuadée que Sérizier n'avait point quitté Paris. Elle se dit qu'il était corroyeur, que l'argent qu'il avait dans ses poches au moment de la défaite serait vite épuisé, que la nécessité de gagner sa vie le forcerait à travailler « de son état », et qu'il essayerait certainement de se perdre au milieu d'un atelier.
Il existe à Paris deux cent trente-deux ateliers de corroyeur ; cela ne découragea pas la femme, qui commença la recherche de Sérizier avec une ténacité de Peau-Bouge. Chaque matin et chaque soir, aux heures de l'entrée et de la sortie des ouvriers, elle allait rôder autour des maisons de corroierie dont elle avait relevé le nombre et connaissait l'adresse. C'était la tâche, quotidienne qu'elle s'était imposée ; elle n'y faillit jamais. Cependant les semaines passaient et les mois aussi ; Sérizier restait introuvable. Enfin le 16 octobre, passant dans la rue Galande, elle aperçut un homme qui traînait une voiture à bras, et qui, par l'habitude générale du corps, lui rappelait celui qu'elle cherchait. Était-ce bien lui ? Au lieu de porter la moustache et la mouche, il était entièrement rasé ; il semblait plus petit, comme tassé sur lui-même ; elle ne se trompa point cependant, car elle reconnaissait son regard mobile, encore plus inquiet que de coutume. Elle le suivit des yeux ; elle le vit causer avec un ouvrier, entrer chez un marchand de vin, sortir et pénétrer dans une maison où un corroyeur belge occupait quelques ouvriers.
Elle ne le dénonça pas elle-même, car elle avait de graves raisons pour ne point laisser soupçonner le rôle qu'elle avait joué.
Le lendemain, 17 octobre, M. Grillières, commissaire de police du quartier de la Gare, qui déjà, sur révélations erronées, avait fait plus de trente perquisitions inutiles pour découvrir Sérizier, fut prévenu par un petit négociant que celui-ci travaillait dans un atelier de la rue Galande. M. Grillières partit immédiatement, accompagné de son secrétaire et de deux inspecteurs. Arrivé rue Galande, il apprit que le corroyeur recherché avait déménagé la veille au soir. Où avait-il transporté son domicile ? On ne le savait trop ; on croyait cependant lui avoir entendu dire qu'il allait s'établir dans le quartier des Halles. M. Grillières y courut vite, fouilla vainement toutes les boutiques de corroyeurs, de maroquiniers, de marchands de cuir et ne découvrit aucun Sérizier. Il commençait à désespérer, lorsque, vers cinq heures du soir, en traversant une petite rue qui aboutit à la Halle aux Blés, il vit près d'une porte une voiture de déménagement pleine de rouleaux de cuir, de peaux préparées et d'ustensiles qu'un homme déchargeait. Il entra rapidement dans une boutique où se trouvait un homme qui en paraissait le propriétaire. Le dialogue suivant s'établit :
« Vous êtes corroyeur?— Oui, monsieur.— Moi, je suis commissaire de police. Depuis quand habitez-vous le quartier ? —Depuis hier au soir. —Où étiez-vous auparavant ? — Rue Galande. — Combien employez-vous d'ouvriers ? — Deux ; celui qui est occupé à décharger la voiture et que j'ai chez moi depuis quatorze ans ; l'autre qui a été embauché il y a quinze jours et qui travaille dans mon atelier, au troisième étage de cette maison. — Comment s'appelle-t-il ? — Chaligny. — Il ne se nomme pas Chaligny, il se nomme Sérizier et je viens l'arrêter. »
M. Grillières gravit l'escalier. Arrivé au troisième étage, dans une chambre dont la porte était entr'ouverte, il aperçut un homme qui rangeait des outils sur une table. Il se précipita sur lui, au moment où l'homme, ayant levé la tête et voyant un inconnu, étendait la main pour saisir un poinçon. L'homme criait : « Pourquoi m'arrêtez-vous ? Je m'appelle Chaligny. » Le secrétaire de M. Grillières, M. Duprat, qui avait été retenu comme otage à la prison de la Santé pendant toute la durée de la Commune, s'approcha et dit : « Vous êtes Sérizier, je vous reconnais. » L'homme répondit : « C'est vrai, je suis Sérizier ; tout est fini et je sais ce qui me revient ; mais si je vous avais vus dans l'escalier, vous ne m'auriez pas eu vivant ! »
Il ne fit pas de résistance, fut conduit au bureau du commissaire de police, où il dicta lui-même sa déposition, puis transféré à la Préfecture, au poste de la permanence. De là, après les constatations ordinaires, il fut expédié au Dépôt. Deux agents le conduisaient ; il leur dit : « J'en ai assez fait pour avoir la tête lavée avec du plomb, mon affaire est claire. C'est égal, je ne regrette rien ; j'ai fait mon devoir. »
Il fut en effet condamné à mort le 17 février 1872 par le 6e conseil de guerre. Il adressa à qui de droit un recours en grâce dans lequel il faisait valoir le service que, le 19 mars, il avait rendu au général Chanzy en le protégeant contre la foule ameutée.
Le bruit courut dans la région de la place d'Italie qu'il ne serait point exécuté. Il se produisit alors un fait qui est peut-être sans précédents. Les habitants du quartier, qui se rappelaient encore la terreur sous laquelle ils avaient vécu, signèrent une pétition pour demander que nulle commutation de peine ne fût accordée à l'ancien chef de la 13e légion et pour réclamer, comme un exemple et comme une juste expiation, qu'il fût exécuté devant la prison disciplinaire du secteur, sur la place même où il avait présidé au massacre des Dominicains.
Il est inutile de dire que l'on repoussa cette requête étrange; mais les crimes de Sérizier étaient trop abominables pour que la clémence souveraine pût descendre jusqu'à lui. Parmi les cent dix individus condamnés à mort après jugement contradictoire par les conseils de guerre, Bobèche et Sérizier furent au nombre des vingt-six à qui nulle grâce ne dût être accordée. Ils furent tous deux fusillés sur le plateau de Satory.
Le 13e avant et durant la Commune
(18 mars - 28 mai 1871)
Après l'armistice, 28 janvier - 17 mars 1871
A travers Paris
- L’ambulance mobile de la Maison-Blanche
- La question des victuailles (Le Siècle, 8 février 1871)
- A travers les rues bombardées (Le Siècle, 16 mars 1871)
L'affaire des Gobelins
- Proclamation du ministre de l’Intérieur aux habitants de Paris (4 mars 1871)
- Les faits selon le Bien Public (6 mars 1871)
- Lettre adressée au Cri du Peuple (9 mars 1871)
- Proclamation d'Emile Duval (Le Rappel, 9 mars 1871)
- Les canons de la place d'Italie (La Liberté, 9 mars 1871)
- L'opinion du Figaro (11 mars 1871)
- A travers le 13e arrondissement (11 mars 1871)
- Les canons de la Barrière d’Italie (Le Bien public — 17 mars 1871)
- La question des canons (L'Illustration, 18 mars 1871)
Démission de M. Pernolet, maire du 13e
- Démission de M. Pernolet, maire des Gobelins (Le Figaro, 7 mars 1871)
- Un maire bourgeois (Le Cri du Peuple, 8 mars 1871)
- Gazette nationale ou le Moniteur universel, 13 mars 1871
- La proclamation de M. Pernolet
Sur le 13e arrondissement
Du 18 mars au 20 mai
Journée du 18 mars
- La journée du 18 mars sur la rive gauche (Gazette nationale ou le Moniteur universel — 20 mars 1871)
Les élections du 26 mars
Journée du 5 avril
Journée du 12 avril
Journée du 14 avril
Journée du 19 avril
Journée du 4 mai
Journée du 6 mai
Du 21 au 28 mai
Journée du 24 mai
Journée du 25 mai
L'incendie des Gobelins (25 mai 1871)
Le massacre des Dominicains d'Arcueil
Les faits
- Le massacre des Dominicains, récit de l'abbé Grandcolas (L'Illusttration, 3 juin 1871)
- Les Dominicains d’Arcueil (Maxime Du Camp, Les convulsions de Paris)
Le procès (à venir)
- Ouverture du procès : rapport du capitaine Leclerc
- Rapport du capitaine Leclerc, suite, journée du 25 mai
- Audition de Serizier (personnalité)
- Audition de Serizier (interrogatoire au fond)
- Audition de Boin
- Audition de Louis Lucipia
- Audition de Jules-Constant-Désiré Quesnot
- Auditions de Gironce, Annat, Rouillac et Grapin
- Auditions de Busquaut, Gambette, Pascal