Le crime de la rue Tiers
La Justice — 17 avril 1889
L'enquête ouverte sur l'assassinat commis dans le quartier de la Maison-Blanche, dont nous avons rendu compte, se poursuit activement. Nous avons dit que le juge d'instruction, assisté de M. Goron, chef de la sûreté, et de M. Debeury, s'était rendu sur les lieux du crime. Après leur visite, le commissaire de police du quartier a procédé à l'interrogatoire des amis et des voisins de la victime. Quelques-unes des dépositions entendues sont particulièrement intéressantes, entre autres celle d'une fille surnommée « la Boiteuse », qui demeurait, comme Marie Wilhem, au n° 15 de la rue Tiers.
D'après celle-ci, samedi, vers quatre heures de l'après-midi, Marie Wilhem la « Chinoise », se trouvait sur le pas de sa porte quand deux individus, l'un de taille moyenne et l'autre très grand, ayant tous deux l'apparence d'ouvriers terrassiers, pénétrèrent dans la cour de la maison et engagèrent la conversation avec cette dernière. Quelques minutes après la « Chinoise » appelait une de ses voisines, « la Brunette », puis rentrait dans sa chambre avec le plus petit de ses interlocuteurs, tandis que son amie emmenait l'autre chez elle. Le bruit d'une violente discussion retentissait bientôt dans la chambre de la « Chinoise », d'où celle-ci s'échappait pour se réfugier dans le débit de vins de sa propriétaire, Mme Fric.
L'inconnu avec qui elle avait pénétré chez elle ne tardait pas à la rejoindra. Il l'injuriait avec force, réclamant un franc qu'elle lui avait dérobé. Il l'engageait avec colère à sortir de l'établissement, criant qu'il lui administrerait dehors une verte correction. Sorti enfin de l'établissement, le terrassier avait rôdé aux abords de la maison jusqu'à une heure assez avancée de la soirée, mais sans réussir à surprendre la « Chinoise ».
Vers onze heures celle-ci s'était décidée à sortir.
Vers minuit et demi, Marie Wilhem avait eu chez elle une scène identique à celle que nous avons rapportée plus haut avec un cinquième personnage demeuré inconnu. Celui-ci était parti en l'injuriant. Enfin, vers deux heures et demie, un voisin, rempailleur de chaises, qui occupe près de l'appartement de la victime une petite boutique, aurait entendu une scène suivie d'un cri et le bruit de la chute d'un corps. La police présume que le terrassier qui s'était querellé avec la « Chinoise » l'avait guettée. Il aura pu la surprendre à cette heure de la nuit et se venger.
Hier matin plusieurs des individus mêlés à l'affaire ont été amenés par les agents de la sûreté sur les lieux et devant M. Debeury, qui les a interrogés. Un ancien amant de la victime, un nomme Jacob, qui avait été arrêté, a été relaxé après avoir fourni l'emploi de son temps.
M. Debeury, commissaire de police du quartier de la Maison-Blanche, a continué son enquête au sujet de l'assassinat de la fille Wilhelm, dite la Chinoise Il a procédé à l'interrogatoire du père de la victime, qui, paraît-il, avait fait donner à sa fille une assez bonne instruction. Les deux amis du sieur Pierron, retrouvés par les agents de la sûreté, ont été amenés au commissariat et sur le lieu du crime, mais ils ont pu fournir l’emploi de leur temps.
M. Doppfer, juge d'instruction, a pris connaissance des diverses dépositions recueillies.
D'autre part des nombreux témoignages recueillis, il résulte que la Chinoise s'était attiré la jalousie et la haine de la plupart des prostituées ses voisines, qui ne se faisaient pas faute de la menacer de lui faire un mauvais parti.
Aussi, changeant le cours de ses explorations le chef de la sûreté prit-il le parti do faire arrêter immédiatement par la brigade de l'inspecteur Gaillarde deux individus, repris de justice, qu'on savait être des plus actifs dans Je camp des ennemis de la victime.
Ces deux ignobles personnages, âgés à peine de vingt ans, vivent avec des prostituées ayant dépassé la cinquantaine depuis longtemps déjà.
Ils ont été amenés dans le bureau de M. Goron, Ils se nomment Leroy et Greliche, Leroy, le plus compromis des deux, sur lequel pèsent de lourdes charges, est un blond, presque imberbe, aux regards durs, de taille élancée et haute. Greliche, grêle de corps, a la figure glabre des loustics de barrière. Il feint de rire aux questions qu'on lui adresse, mais, comme disait l'inspecteur chargé de le garder, « il rit jaune. »
Tous deux nient être les auteurs du crime, mais ils vont être confrontés avec plusieurs témoins qui les accusent avec véhémence ; et nul doute qu'ils n'avouent bientôt.
Le crime de la rue Tiers
(Selon les journaux, les noms et prénoms des protagonistes de cette affaire ont varié de même que l'orthographe de ceux-ci. Le choix a été fait de conserver l'orthographe retenue par les journaux reproduits.)
15 avril 1889
16 avril 1889
17 avril 1889
18 avril 1889
19 avril 1889
20 avril 1889
21 avril 1889
22 avril 1889
23 avril 1889
24 avril 1889
25 avril 1889
26 avril 1889
Postérieurement aux articles parus dans les numéros datés du 26 avril 1889, plus aucun journal ne mentionna
l'affaire, ni les noms de Marie Wilhelm, de Leroy ou de Greliche. La chronique judiciaire ne mentionna pas de passage
de quiconque devant la Cour d'assises de la Seine pour le meurtre de Marie Wilhelm. Les archives de Paris qui détiennent
les dossiers de procédures devant les assises ne mentionnent pas, dans leur inventaire, d'affaire évoquant ces faits.
Seul l'ouvrage "La police de sûreté en 1889" par Horace Valbel publié au fil de l'eau dans le quotidien
"La Petite République" et repris en volume en octobre contient, à l'occasion du panégérique consacré à l'inspecteur
Barbaste, un résumé des faits qu'il présente comme l' "affaire Leroy-Greliche". Toutefois, ce résumé ne comprend
aucun élément nouveau par rapport à ceux révélés par les journaux à la date du 26 avril. On le lira ci-dessous dans
les annexes.
M. Goron, lui-même, dans ses mémoires semble n'avoir fait aucune allusion à cette affaire.
On lira
aussi une intéressante chronique parue le 21 avril 1889, avant donc la conclusion ou plutôt l'absence de conclusion
de l'affaire, dans le quotidien Paris relative au traitement de cette affaire par la presse.