Le crime de la rue Tiers.
Le Progrès de la Somme — 26 avril 1889
L’instruction du crime de la rue Tiers se poursuit avec beaucoup d’activité. À la sûreté, on est persuadé que l’on tient les coupables, contre lesquels se dresse, à défaut de preuves matérielles, un ensemble de présomptions morales mal aisé à détruire.
MM. Goron, chef de la sûreté, et Dopfer, juge d’instruction, ont fait subir un nouvel interrogatoire aux inculpés Greliche et Leroy, à la fille Blanche Pinet, dite la Borgne, à la fille Ledouarin, dite Rosi, dite la Boiteuse et à un très grand nombre de témoins.
Greliche et Leroy, en dépit de nombreuses confrontations qui ont eu lieu et qui ont révélé de nouveaux indices de culpabilité, affirment toujours avec énergie être absolument étrangers au crime comme dans les interrogatoires précédents, ils avaient laissé échapper certains mots qui peuvent être considérés comme des aveux, ils ont résolu de ne plus rien dire, afin de ne plus « se couper » (sic). Ils sentent leur position critique et compromise et ils espèrent, par leur mutisme, échapper aux terribles conséquences de leur crime !
Leroy a prétendu s’être promené à la gare de l’Est avec Greliche, le soir du crime. Or, il a été démontré que cette assertion est tout à lait mensongère.
Bien que Leroy affirme n’avoir pas vu la « Chinoise » pendant la soirée qui a précédé leur meurtre, une femme Vaudor, habitant rue Tiers, 15, a déclaré que ce soir là elle a vidé par la fenêtre de sa chambre son vase de nuit, le contenu de cet ustensile intime a précisément failli arroser la « Chinoise » qui se disputait sous sa fenêtre avec Leroy et Greliche, lesquels étaient accompagnés de la Borgne.
La victime, Marie Wilhelm, s’était, d’ailleurs, querellée avec la Borgne et la Boiteuse. Ces créatures s’étaient même crêpé le chignon et il avait fallu l’intervention de Leroy pour mettre fin à ce combat singulier cher aux mégères de bas étage. Dans sa surexcitation, Leroy avait dit à la « Chinoise » :
— Tu ne nous embêteras plus longtemps, va.
On suppose qu’après le crime, les assassins se sont réfugiés chez la Borgne, qui habite à une demi-heure de la rue Tiers, rue Bourgon, 24.
On comprend qu’en présence de semblables témoignages, il n’y ait plus à douter de la culpabilité des inculpés.
Leroy qui, pendant tout le cours de l’instruction, a tenté de faire peser les soupçons sur des tiers, a dû reconnaître qu’il avait « inventé des récits pour se disculper. C’est ainsi qu’il avait prétendu tout d’abord avoir aperçu, vers deux heures du matin, la fille Marie Wilhelm rentrant chez elle en compagnie de l’individu, du terrassier qui, dans la soirée, l’avait menacée. Plus tard, il avait également incriminé un sieur Jacob et un autre individu, tous deux anciens amants de la « Chinoise » et dont l’innocence a pu être aisément établie.
Il est donc à peu près certain que Leroy a assassiné son ancienne maîtresse, car il ne faut pas oublier qu’il a eu naguère avec la « Chinoise » des relations intimes.
Il aurait eu pour complice Greliche, et le crime de la rue Tiers se résout, en fin de compte, en une vengeance de souteneurs et de filles.
Le crime de la rue Tiers
(Selon les journaux, les noms et prénoms des protagonistes de cette affaire ont varié de même que l'orthographe de ceux-ci. Le choix a été fait de conserver l'orthographe retenue par les journaux reproduits.)
15 avril 1889
16 avril 1889
17 avril 1889
18 avril 1889
19 avril 1889
20 avril 1889
21 avril 1889
22 avril 1889
23 avril 1889
24 avril 1889
25 avril 1889
26 avril 1889
Postérieurement aux articles parus dans les numéros datés du 26 avril 1889, plus aucun journal ne mentionna
l'affaire, ni les noms de Marie Wilhelm, de Leroy ou de Greliche. La chronique judiciaire ne mentionna pas de passage
de quiconque devant la Cour d'assises de la Seine pour le meurtre de Marie Wilhelm. Les archives de Paris qui détiennent
les dossiers de procédures devant les assises ne mentionnent pas, dans leur inventaire, d'affaire évoquant ces faits.
Seul l'ouvrage "La police de sûreté en 1889" par Horace Valbel publié au fil de l'eau dans le quotidien
"La Petite République" et repris en volume en octobre contient, à l'occasion du panégérique consacré à l'inspecteur
Barbaste, un résumé des faits qu'il présente comme l' "affaire Leroy-Greliche". Toutefois, ce résumé ne comprend
aucun élément nouveau par rapport à ceux révélés par les journaux à la date du 26 avril. On le lira ci-dessous dans
les annexes.
M. Goron, lui-même, dans ses mémoires semble n'avoir fait aucune allusion à cette affaire.
On lira
aussi une intéressante chronique parue le 21 avril 1889, avant donc la conclusion ou plutôt l'absence de conclusion
de l'affaire, dans le quotidien Paris relative au traitement de cette affaire par la presse.