Le crime de la rue Tiers
Le Réveil — 20 avril 1889
Importante arrestation. — Deux coupables — Le mobile du crime. — L’enquête continue.
L’affaire vient d’entrer dans une phase nouvelle.
La piste de l’ouvrier terrassier que l'on suivait ainsi que nous le racontions hier, est abandonnée, et c'est, on va le voir, le véritable coupable qui avait fait répandre des bruits sur le compte de ce meurtrier imaginaire.
Dans la journée d'hier, une capture plus sérieuse a été opérée par les inspecteurs de la sûreté, Barbaste, Loew et Harpillard ; c'est celle de deux souteneurs de la pire espèce, les nommés Georges Leroy, âgé de vingt ans et Jean Greliche, âgé de vingt-sept ans. Ces deux individus fréquentent assidument le cercle charmant formé par ces dames dont nous avons déjà parlé et connues sous les sobriquets de la « Brunette », la « Boiteuse », la « Borgne », etc. Dans les loisirs que leur laisse leur ignoble métier ces messieurs travaillent quelquefois comme palefreniers dans des dépôts d’omnibus.
Tous deux ont été tenus cachés depuis dimanche, jour de la découverte du crime jusqu’au moment de leur arrestation par la maîtresse de l’un d’eux, la fille Marie Pinet âgée de cinquante-quatre ans, qui n’est autre que la « Borgne » et demeurant rue Bourgon, 24.
Les charges les plus graves pèsent contre eux et on peut dès maintenant affirmer qu’ils sont ou que l’un d'eux est l’auteur de l’assassinat commis sur la Chinoise. Et voici en quelles circonstances ce crime aurait été commis.
La fille Wilhem, racontent les témoins, après avoir eu des rapports suivis avec Leroy, serait devenue la maitresse (sic) de la fille Douarin dite la Boiteuse et logeant 10, rue Tiers, et Leroy, furieux de se voir abandonné, aurait juré de se venger de la Chinoise, ce à quoi il était d'ailleurs excité par la fille Douarin elle-même. Ce serait donc dimanche dernier qu’il aurait mis à exécution son projet et qu’a la suite d’une querelle avec Marie Wilhem, il l’aurait étranglée. Greliche ne serait que son complice.
Leroy, qui, en présence de M. Goron, avait commencé par dire qu’il allait faire des aveux, parole qui serait suffisante déjà pour établir sa culpabilité, s’est renfermé bientôt dans un mutisme absolu dont il ne s’est plus départi.
M. Dopfer, juge d'instruction, a commencé l’interrogatoire des nombreux témoins appelés qui tous sont ou des souteneurs de la société des inculpés ou des filles publiques amies de la victime. Les déclarations de tout ce monde interlope et bizarre forment un ensemble des plus contradictoires. C'est ainsi que comme nous le disons plus haut, Leroy avoue avoir insinué à plusieurs témoins la version d’après laquelle on aurait vu roder une partie de la soirée un ouvrier terrassier aux alentours de la maison ; il prétend même l’avoir vu en compagnie des autres filles publiques et de Greliche. Or, ceux-ci, interrogés à ce sujet, ont déclaré ne pas savoir de quoi il s’agissait.
Toute ces contradictions contribuent à rendre l’enquête plus difficile encore.
Cependant, s'il y a eu réellement crime (car on est encore à douter que la mort ait été directement causée par la strangulation), la double arrestation opérée hier est d’une importance orbitale. L’attention des magistrats a été attirée sur Leroy et son complice d'abord par ce fait qu'ils faisaient partie de cette répugnante société de la rue Tiers, et surtout par leur absence, signalée au dépôt des omnibus depuis le soir du crime.
On le voit, l’autopsie, qui doit avoir lieu prochainement, sera probablement d'un grand secours pour la clarté de l'enquête. Car c'est elle qui répondra définitivement à cette question capitale : Y a-t-il réellement eu assassinat ? Si oui, la justice a déjà les coupables sous la main.
Le crime de la rue Tiers
(Selon les journaux, les noms et prénoms des protagonistes de cette affaire ont varié de même que l'orthographe de ceux-ci. Le choix a été fait de conserver l'orthographe retenue par les journaux reproduits.)
15 avril 1889
16 avril 1889
17 avril 1889
18 avril 1889
19 avril 1889
20 avril 1889
21 avril 1889
22 avril 1889
23 avril 1889
24 avril 1889
25 avril 1889
26 avril 1889
Postérieurement aux articles parus dans les numéros datés du 26 avril 1889, plus aucun journal ne mentionna
l'affaire, ni les noms de Marie Wilhelm, de Leroy ou de Greliche. La chronique judiciaire ne mentionna pas de passage
de quiconque devant la Cour d'assises de la Seine pour le meurtre de Marie Wilhelm. Les archives de Paris qui détiennent
les dossiers de procédures devant les assises ne mentionnent pas, dans leur inventaire, d'affaire évoquant ces faits.
Seul l'ouvrage "La police de sûreté en 1889" par Horace Valbel publié au fil de l'eau dans le quotidien
"La Petite République" et repris en volume en octobre contient, à l'occasion du panégérique consacré à l'inspecteur
Barbaste, un résumé des faits qu'il présente comme l' "affaire Leroy-Greliche". Toutefois, ce résumé ne comprend
aucun élément nouveau par rapport à ceux révélés par les journaux à la date du 26 avril. On le lira ci-dessous dans
les annexes.
M. Goron, lui-même, dans ses mémoires semble n'avoir fait aucune allusion à cette affaire.
On lira
aussi une intéressante chronique parue le 21 avril 1889, avant donc la conclusion ou plutôt l'absence de conclusion
de l'affaire, dans le quotidien Paris relative au traitement de cette affaire par la presse.