Assassinat rue Tiers
Le Gaulois — 15 avril 1889
Un crime, qui rappelle celui commis récemment rue Payenne par le sieur Sauer, a été découvert, hier matin, dans le quartier de la Maison-Blanche. Au n° 15 de la rue Tiers, existe une sorte d'hôtel garni, à l'aspect misérable, habité par des filles publiques, qui louent des chambres pauvrement meublées à raison de soixante-quinze centimes et un franc par nuit.
Depuis une huitaine de jours, la fille Wilhelm, âgée de vingt-cinq ans, habitait cet hôtel. Elle occupait au rez-de-chaussée, dans la cour, au fond d'un couloir sale et humide, un infect réduit de quelques mètres carrés, ayant pour tout ameublement un mauvais lit en fer, une chaise, une table, et une vieille commode en bois blanc.
Cette fille n'était connue dans le quartier que sous le nom de la Chinoise, sobriquet qui lui avait été donné à cause de son teint jaunâtre et de ses yeux retroussés aux commissures des paupières.
Elle avait l'habitude de s'enivrer et était doué d'un caractère violent et emporté. Elle venait de purger une condamnation de quatre mois de prison pour coups et blessures. Elle se trouvait dans la plus grande misère.
Hier matin, vers sept heures, le sieur Pierron, ouvrier corroyeur, pénétrait dans l'hôtel et se dirigeait vers la chambre de la fille Wilhem, quand la logeuse, la femme Frick l'interpella :
—Où allez-vous à cette heure ? lui demanda-t-elle.
Pierron répondit :
— Je vais chercher un de mes camarades, qui est chez la Chinoise ; il m'a prié de venir le prendre ce matin.
Pierron et la logeuse pénétrèrent dans le taudis et virent la fille Wilhelm, seule, étendue de toute sa longueur, au milieu de la pièce, la tête appuyée sur sa main droite, en semblant dormir toute habillée.
La femme Frick pensant que sa locataire s’était endormie en état d'ivresse, sans avoir eu le temps de quitter ses vêtements, et aidé par Pierron, tenta de la transporter sur la lit, mais ils ne purent y arriver.
Le corps était encore souple et chaud ; la logeuse, ne soupçonnant pas encore le meurtre, alla prévenir une voisine de la Chinoise.
Bientôt plusieurs femmes arrivèrent. L'une d’elles s'approcha de la malheureuse et la secoua violemment, sans résultat. —Mais elle est peut-être morte ! cria-t-elle.
Aussitôt on examina le corps de celle que l'on croyait ivre, et l'on s'aperçut qu'elle avait cessé de vivre.
Après examen du cadavre, le praticien reconnut que la fille Wilhelm avait été étranglée, il releva une forte ecchymose à la pommette droite, des éraflures et des traces de doigts au cou.
Il n'y avait aucun doute à avoir, la « Chinoise » avait succombé à la strangulation.
Mais quel pouvait être l'auteur du crime ?
La fille Wilhem avait passé la soirée et une partie de la nuit avec plusieurs individus.
Elle était rentrée dans sa chambre vers trois heures du matin.
Le camarade de Pierron, qui devait se trouver au domicile de la Chinoise, a été entendu et a pu justifier de l'emploi de son temps.
Quant au mobile du crime, on ne pourrait vraisemblablement pas l'attribuer au vol. Comme nous le disons plus haut, la victime était très misérable. Dans l'armoire de sa chambre, on n'a retrouvé qu'un cahier de papier à cigarettes ! Elle ne possédait aucun vêtement ; ceux qu'elle portait appartenaient à une de ses voisines.
Elle avait seulement deux chemises qu'elle avait données à une blanchisseuse de la rue Tiers, et elle ne possédait pas l'argent nécessaire pour aller les reprendre.
Samedi soir, il ne lui restait plus que deux francs.
On suppose donc que c'est à la suite d'une discussion qu’elle aura eue avec un individu rentré avec elle, que la malheureuse aura été étranglée.
Cette version semble être confirmée par la déposition d'un ouvrier maçon, voisin de la Chinoise.
—Il était environ cinq heures, a-t-il dit ; je fus tout à coup réveillé par un violent bruit de lutte, venant de chez la fille Wilhelm. Une voix de femme criait : « Oh ! là là ! Oh ! là là ! » puis je perçus un bruit comme celui de la chute d'un corps... et le calme se rétablit.
» Comme des scènes pareilles se passaient fréquemment dans le logement de la Chinoise, je ne m'en inquiétai pas outre mesure... »
M. Goron a chargé ses inspecteurs de rechercher tous les individus qui avaient été vus dans la soirée avec la fille Wilhelm.
Le crime de la rue Tiers
(Selon les journaux, les noms et prénoms des protagonistes de cette affaire ont varié de même que l'orthographe de ceux-ci. Le choix a été fait de conserver l'orthographe retenue par les journaux reproduits.)
15 avril 1889
16 avril 1889
17 avril 1889
18 avril 1889
19 avril 1889
20 avril 1889
21 avril 1889
22 avril 1889
23 avril 1889
24 avril 1889
25 avril 1889
26 avril 1889
Postérieurement aux articles parus dans les numéros datés du 26 avril 1889, plus aucun journal ne mentionna
l'affaire, ni les noms de Marie Wilhelm, de Leroy ou de Greliche. La chronique judiciaire ne mentionna pas de passage
de quiconque devant la Cour d'assises de la Seine pour le meurtre de Marie Wilhelm. Les archives de Paris qui détiennent
les dossiers de procédures devant les assises ne mentionnent pas, dans leur inventaire, d'affaire évoquant ces faits.
Seul l'ouvrage "La police de sûreté en 1889" par Horace Valbel publié au fil de l'eau dans le quotidien
"La Petite République" et repris en volume en octobre contient, à l'occasion du panégérique consacré à l'inspecteur
Barbaste, un résumé des faits qu'il présente comme l' "affaire Leroy-Greliche". Toutefois, ce résumé ne comprend
aucun élément nouveau par rapport à ceux révélés par les journaux à la date du 26 avril. On le lira ci-dessous dans
les annexes.
M. Goron, lui-même, dans ses mémoires semble n'avoir fait aucune allusion à cette affaire.
On lira
aussi une intéressante chronique parue le 21 avril 1889, avant donc la conclusion ou plutôt l'absence de conclusion
de l'affaire, dans le quotidien Paris relative au traitement de cette affaire par la presse.