Le meurtre de la Chinoise
Le XIXe Siècle — 16 avril 1889
Un crime à la Maison-Blanche. — La vie de Marie Wilhem. — La ficelle révélatrice. — Pas de vol. — À la recherche du meurtrier.
En rendant compte, il y a quinze jours, de l'assassinat de Marguerite Sauer, rue Payenne, nous disions :
« Dans ce monde spécial, on ne peut pas trouver un plus bas degré de l'échelle des filles. » Nous nous étions trompés ; car Marie Wilhem, dite la Chinoise, qui vient d'être étranglée, hier, rue Tiers, 25, était tombée encore plus bas que la pierreuse de la rue Payenne.
Pour logement, la malheureuse n'occupait qu'un petit cabinet au rez-de-chaussée, dans le quartier perdu de la Maison-Blanche. Il fallait, avant de parvenir chez elle, traverser le débit de vin du logeur, M. Fritz, ou bien longer un étroit et puant corridor.
Prix du loyer du cabinet : vingt sous par jour, et congé impitoyable si la locataire ne payait pas en rentrant chaque soir.
Le mobilier de ce taudis est composé d'un lit de fer, d'une commode et d'un vase indispensable. Marie la Chinoise trouvait moyen de ramener là quelques soldats, ou des ouvriers en goguette.
Malgré la vie horrible qu'elle menait, elle n'était pas disgracieuse et avait conservé, n'ayant que vingt-cinq ans, une certaine fraîcheur.
Chaque jour, dès que ses clients de passage lui avaient remis quelques sous, elle allait s'enivrer dans le quartier avec son amie de cœur, Constance Ledoux-Harnin, dite la Boiteuse.
Samedi, depuis deux heures de l'après-midi, Marie et Constance ne dégrisèrent pas ; on les rencontra boulevard de l'Hôpital, place d'Italie, avenue des Gobelins, avec trois ou quatre individus différents.
La Chinoise se disputa violemment avec l'un d'eux, au sujet du prix d'une bougie et d'une pièce de vingt sous.
Vers une heure du matin, les gardiens de la paix, impatientés du bruit que ces deux filles et leurs acolytes faisaient dans le quartier, leur donnèrent une chasse en règle.
Constance la Boiteuse fut emmenée au poste ; Marie put se sauver et rentrer avec un individu inconnu, dans son cabinet de la rue Tiers.
Le crime
C'est là qu'hier matin, vers sept heures, le logeur Fritz a trouvé le cadavre de la malheureuse, étendu sur le tapis au pied du lit.
Deux ecchymoses se voyaient au côté gauche de la figure ; le cou était sillonné d'une marque rougeâtre et on remarquait plusieurs coups d'ongle à la gorge.
Deux femmes placèrent Marie Wilhem sur le lit ; M. de Beury, commissaire de police, assisté d'un médecin, crut d'abord à une congestion cérébrale causée par l'ivresse, mais on trouva sous le corps une ficelle qui avait dû servir à la strangulation.
Marie la Chinoise, prise par derrière, suffoquée à demi par le coup dit « du père François », avait dû arracher, mais trop tard, la ficelle, après s'être abîmé la gorge à coups d'ongle, dans ses efforts suprêmes.
L'enquête
Le vol a-t-il été le mobile du crime ? On ne peut l'admettre un seul instant ; en effet, tout le monde, dans cette ruelle de malheureux, savait que la plus pauvre était encore Marie Wilhem, qui n'avait pour vêtements que les robes de son amie la Boiteuse.
En outre, on a trouvé sur la victime tout son patrimoine d'un jour : une carte de la préfecture de police dans le sabot qu'elle portait au pied droit et trois francs dans un de ses bas.
Il faut donc ne voir en cette affaire que la vengeance d'un amant éconduit, ou plutôt l'accès de fureur ou d'érotisme d'un alcoolique.
Le corps de Marie Wilhem est actuellement à la Morgue.
M. Dœpfer, juge d'instruction, et M. Goron, chef de la Sûreté, ont commencé d'actives recherches.
Le crime de la rue Tiers
(Selon les journaux, les noms et prénoms des protagonistes de cette affaire ont varié de même que l'orthographe de ceux-ci. Le choix a été fait de conserver l'orthographe retenue par les journaux reproduits.)
15 avril 1889
16 avril 1889
17 avril 1889
18 avril 1889
19 avril 1889
20 avril 1889
21 avril 1889
22 avril 1889
23 avril 1889
24 avril 1889
25 avril 1889
26 avril 1889
Postérieurement aux articles parus dans les numéros datés du 26 avril 1889, plus aucun journal ne mentionna
l'affaire, ni les noms de Marie Wilhelm, de Leroy ou de Greliche. La chronique judiciaire ne mentionna pas de passage
de quiconque devant la Cour d'assises de la Seine pour le meurtre de Marie Wilhelm. Les archives de Paris qui détiennent
les dossiers de procédures devant les assises ne mentionnent pas, dans leur inventaire, d'affaire évoquant ces faits.
Seul l'ouvrage "La police de sûreté en 1889" par Horace Valbel publié au fil de l'eau dans le quotidien
"La Petite République" et repris en volume en octobre contient, à l'occasion du panégérique consacré à l'inspecteur
Barbaste, un résumé des faits qu'il présente comme l' "affaire Leroy-Greliche". Toutefois, ce résumé ne comprend
aucun élément nouveau par rapport à ceux révélés par les journaux à la date du 26 avril. On le lira ci-dessous dans
les annexes.
M. Goron, lui-même, dans ses mémoires semble n'avoir fait aucune allusion à cette affaire.
On lira
aussi une intéressante chronique parue le 21 avril 1889, avant donc la conclusion ou plutôt l'absence de conclusion
de l'affaire, dans le quotidien Paris relative au traitement de cette affaire par la presse.