Affaire Leroy-Greliche
Extrait de « La police de sûreté en 1889 » par Horace Valbel
Le 14 avril dernier, à 7 heures du matin, une fille soumise, nommée Marie Wilhelm, dite la Chinoise, était trouvée morte dans sa chambre, rue Tiers, étendue sur le sol à un mètre de son lit.
La Chinoise, qui devait ce surnom à son teint jaune, à ses yeux bridés, appartenait au monde de la plus basse prostitution. Elle figurait sur les registres du dispensaire de la Préfecture de police.
Cette malheureuse, qui habitait un infect taudis dans un garni situé 15, rue Tiers, près de la place d’Italie, payait une location de 1 franc par semaine. Le peu d’argent qu’elle avait, elle l’employait à boire. La veille du crime elle était rentrée chez elle vers deux heures du matin, après avoir fait de nombreuses stations chez les marchands de vins du quartier.
Tout d’abord, sa logeuse, qui plus d’une fois l’avait trouvée ivre-morte, étendue sur le plancher de sa chambre, crut que cette fois, encore la Chinoise était ivre et courut chercher une voisine pour l’aider à la hisser sur son lit.
La logeuse finit par être inquiète de l’immobilité persistante de sa locataire et courut avertir le commissaire de police qui vint aussitôt accompagné d’un médecin.
Des érosions furent constatées au cou de Marie Wilhelm, mais on pensa que peut-être elle se les était faites elle-même en se débattant avant de succomber à un transport cérébral déterminé par l’abus de l’alcool et l’on fut sur le point de conclure à une mort naturelle.
Cependant, M. Goron arrivé sur les lieux, dans l’intervalle, conçut des soupçons et ordonna une enquête.
L’inspecteur Barbaste et son collègue, l’inspecteur Lowe, se mirent à la recherche des filles que fréquentait le plus fréquemment Marie Wilhelm. Barbaste interrogea plus spécialement les filles Ledonarin, dite la Boiteuse, et Pinet, dite la Borgne, demeurant l’une, 10 rue Tiers; l’autre, 24, rue Bourgon.
Il s’aperçut bientôt que ces deux femmes cherchaient à l’induire en erreur et se livra sur leur compte à une information plus complète.
Il apprit alors que, récemment, elles avaient eu de graves discussions avec la Chinoise et que, de plus, leurs souteneurs avaient complètement disparu depuis vingt-quatre heures.
Les deux souteneurs en question, Leroy dit Grain d'avoine, et Greliche, âgés l’un de vingt ans, le second de vingt-six ans, repris de justice des plus dangereux, s’étaient réfugiés dans la chambre de la Borgne, rue Bourgon.
Barbaste se rendit, accompagné de l’inspecteur Harpillard, chez la Borgne et y trouva Leroy et Greliche couchés tout habillés sur le lit, bien qu’il fut deux heures de l’après-midi.
Les deux gredins ne songèrent même pas à s’informer de la qualité des agents et les suivirent sans essayer la moindre résistance.
Leurs réponses à M. Goron, semblèrent si embrouillées que leur arrestation fut maintenue et qu’ils furent écroués au Dépôt.
Or, deux jours après, l’autopsie pratiquée à la morgue par le docteur Descouts, démontrait nettement que la mort de Marie Wilhelm avait été causée par strangulation pratiquée à la main, fort probablement par deux agresseurs.
Barbaste poursuivit ses investigations. Un locataire de la maison de la victime lui fit la déclaration suivante :
« Vous tenez les bons. Leroy et Greliche, que je connais, ont certainement fait le coup. Pendant la nuit où le crime fut commis, je ne dormais pas. Vers deux heures du matin j’entendis le bruit d’une dispute et peu après deux cris rauques, semblables à ceux que pousserait une personne qu’on étrangle.
Je me levai vivement et je descendis sans même prendre le temps de passer mon pantalon. Arrivé au bas de l’escalier qui vient aboutir à côté de la chambre de la Chinoise, je me trouvai en présence de Leroy et de Greliche, qui sortaient de chez la fille Wilhelm.
En m’apercevant, Leroy qui me reconnut dit à Greliche : « Allons, ferme la porte et viens vite ».
Un pareil témoignage renouvelé sous la foi du serment ne pouvait laisser aucun doute. Désormais l’instruction était close.
Le jury de la Seine dira bientôt le dernier mot de cette affaire, dont la réussite est due à la ténacité de l’intelligent inspecteur Barbaste.
Le crime de la rue Tiers
(Selon les journaux, les noms et prénoms des protagonistes de cette affaire ont varié de même que l'orthographe de ceux-ci. Le choix a été fait de conserver l'orthographe retenue par les journaux reproduits.)
15 avril 1889
16 avril 1889
17 avril 1889
18 avril 1889
19 avril 1889
20 avril 1889
21 avril 1889
22 avril 1889
23 avril 1889
24 avril 1889
25 avril 1889
26 avril 1889
Postérieurement aux articles parus dans les numéros datés du 26 avril 1889, plus aucun journal ne mentionna
l'affaire, ni les noms de Marie Wilhelm, de Leroy ou de Greliche. La chronique judiciaire ne mentionna pas de passage
de quiconque devant la Cour d'assises de la Seine pour le meurtre de Marie Wilhelm. Les archives de Paris qui détiennent
les dossiers de procédures devant les assises ne mentionnent pas, dans leur inventaire, d'affaire évoquant ces faits.
Seul l'ouvrage "La police de sûreté en 1889" par Horace Valbel publié au fil de l'eau dans le quotidien
"La Petite République" et repris en volume en octobre contient, à l'occasion du panégérique consacré à l'inspecteur
Barbaste, un résumé des faits qu'il présente comme l' "affaire Leroy-Greliche". Toutefois, ce résumé ne comprend
aucun élément nouveau par rapport à ceux révélés par les journaux à la date du 26 avril. On le lira ci-dessous dans
les annexes.
M. Goron, lui-même, dans ses mémoires semble n'avoir fait aucune allusion à cette affaire.
On lira
aussi une intéressante chronique parue le 21 avril 1889, avant donc la conclusion ou plutôt l'absence de conclusion
de l'affaire, dans le quotidien Paris relative au traitement de cette affaire par la presse.