Extrait des Mémoires de la Société de l'histoire de Paris et de l'Ile-de-France (Tome 48 - 1925)
IV. — La place d’Italie sous la seconde République.
De même que les excès révolutionnaires de 1793 nous valurent Napoléon Ier, de même l’insurrection de Juin 1848, qui fut particulièrement terrible à la barrière d’Italie, nous amena Napoléon III.
Le 23 juin 1848, la rue Mouffetard présentait quatorze barricades, dont trois depuis la rue du Banquier jusqu’à la place, c’est- à-dire sur un espace d’environ 350 mètres ; quant à la place, elle était défendue de la façon suivante : une barricade au travers de la rue Mouffetard (avenue des Gobelins), une autre au travers du boulevard de l’Hôpital, une troisième et une quatrième barraient les boulevards extérieurs ; c’est-à-dire que ce rond-point était transformé en forteresse. Les émeutiers étaient des chiffonniers, des carriers de la banlieue ; ils étaient commandés par un ancien soldat d’artillerie, logeur, marchand de vin et même maçon, nommé Lahr. Le maquignon Wappereau, un sieur Choppart, dit le Chourineur, et un indigent de Bicêtre, Daix, formaient l’état-major de Lahr.

Ce fut au général Bréa qu’incomba, le 25 juin, la mission d’enlever cette forteresse. Au lieu d’employer la force, Bréa voulut parlementer. Il pénétra dans la place d’Italie suivi de M. de Ludre, du major Desmarets, du commandant Goéerf, du capitaine Mangin et du lieutenant Saingeaux. Mais les insurgés, au lieu de le recevoir en parlementaire, l’accueillirent par des cris de mort et l’enfermèrent, avec le capitaine Mangin, dans une maison attenante à la guinguette du Grand-Salon. Le colonel Thomas, qui commandait la troupe, ne voyant pas revenir Bréa, fit avancer ses hommes vers la barricade ; aussitôt retentirent les cris de : « Trahison ! Trahison ! », poussés par les émeutiers, et quand l’armée régulière eut franchi la barricade on trouva de l’autre côté les cadavres de Bréa et de Mangin, qui avaient été fusillés contre tout droit des gens.

Quand l’insurrection fut vaincue, vingt-quatre insurgés de la barrière de Fontainebleau furent traduits en conseil de guerre ; trois furent acquittés, d’autres furent condamnés à la prison ou aux travaux forcés, enfin Daix, Nourrit, Wappereau, Choppart et Lahr furent condamnés à mort; Nourrit, Wappereau et Choppart virent leur peine commuée en celle des travaux forcés à perpétuité ; quant à Daix et Lahr, ils furent exécutés le 17 mars 1849, à la barrière de Fontainebleau, non loin de l’endroit où leur crime avait été perpétré.
Daix fut amené le premier sur l'échafaud, accompagné de l’abbé de Ségur ; il embrassa son confesseur, puis fut remis aux exécuteurs ; à ce moment il s’écria d’une voix forte qui fut entendue sur la place : « Au nom du peuple français, je meurs innocent pour avoir voulu défendre la vie du brave général de Bréa... Ma mère ! Ma sœur ! Ma femme ! Mon enfant, priez pour moi... Dieu, sauvez mon âme ! » Un instant après, sa tête roulait dans le panier.
Lahr monta à son tour les degrés de l’échafaud ; il recevait avec ferveur les exhortations de l’abbé Crapouillet. « Mes frères, s’est-il écrié après avoir embrassé le crucifix, je meurs en chrétien, en vrai chrétien ! » puis il fut pris d’une faiblesse et quand sa tête fut sous le couteau il prononça les noms de « Jésus ! Marie ! » À son tour sa tête roula dans le fatal panier.
On peut évaluer à 2,000 hommes les troupes qui occupaient la place d’Italie à cette occasion ; grâce à ces précautions et malgré le grand concours de population que la nouvelle de l’exécution avait, dès la veille, attiré, aucun désordre ne se produisit dans cette foule qui resta calme et silencieuse.

Ainsi finit un des épisodes les plus poignants de l’histoire de cette modeste place du XIIIe arrondissement ; c’est en souvenir de ce fait que fut élevée la chapelle de Bréa, sur l’emplacement du corps de garde où Bréa et Mangin avaient trouvé la mort ; cette petite chapelle est devenue l’origine de l’église Saint- Marcel de la Maison-Blanche.
Suite
Sur la place d'Italie et ses abords
Une histoire de la place d'Italie
Extrait des Mémoires de la Société de l'histoire de Paris et de l'Ile-de-France (1925)
- I - Topographie
- II - Sous la Révolution
- III - De 1800 à 1848.
- IV - La seconde République
- V - Sous Napoléon III
- VI - Sous la troisième République (1871 à 1925)
XIXe siècle
- La barrière de Fontainebleau (Alfred Delvau - 1865)
- La première boucherie de cheval de Paris - 1866
- Les nouvelles places de Paris 1866
- Travaux publics - 1866
- Le marché des Gobelins - Le Figaro — 6 aout 1867
- L'élargissement de la rue Mouffetard et l'aménagement de la place d'Italie (1867)
- Les travaux dans les 5e et 13e arrondissements (1868)
- La nouvelle place d'Italie en haut de la rue Mouffetard (1868)
- Les travaux de la place d'Italie (1869)
- La nouvelle place d'Italie (1878)