La Cité des Kroumirs
Le Petit Journal — 22 février 1882
Il y a peu de Parisiens qui se doutent de l'existence, dans Paris, de la « cité des Kroumirs ». Cette cité se compose d'un groupe de constructions misérables qui se sont successivement établies, sur des terrains appartenant à l'Assistance publique, à droite du boulevard de la Gare, entre la rue Jenner et la place Pinel (13° arrondissement).

L'attention vient d'être appelée sur elle par des rapports d'ingénieurs du service municipal et par un rapport présenté à la commission des logements insalubres par M. le Dr du Mesnil. Nous empruntons à ces documents la description de cette cité. C'est la révélation d'un état de choses inouï.
La cité des Kroumirs est, en effet, une sorte d'égout à ciel ouvert. La voie qui mène de la place Pinel au fond de cette cité est un chemin de terre boueux dans lequel on enfonce profondément, parsemé de larges flaques d'une boue noirâtre et puante.
De chaque côté de cette voie ont été édifiées des habitations, véritables cabanes faites mi-partie en plâtras, mi-partie en terre, éclairées par deux châssis dormants et couverts en carton bitumé. Le sol de ces huttes est recouvert d'un plancher posé sur la terre. Quelquefois même le sol est constitué par de la terre battue. Des animaux, chèvres, poules, lapins, vivent pêle-mêle avec les propriétaires.
Il n'existe sur aucun point de la cité des Kroumirs de cabinets d'aisances, ni de distribution d'eau. Des petits jardins ou courettes existent au devant de chaque hutte ; mais, comme on y jette les matières fécales avec les ordures ménagères, ces courettes constituent un foyer actif de putréfaction.
« Si quelques cas de fièvre typhoïde se déclaraient dans la cité, dit M. le docteur du Mesnil, il est impossible de prévoir les ravages que la maladie exercerait sur cette population, chez laquelle la résistance vitale est considérablement amoindrie par les privations et par son séjour dans ces horribles demeures.
» Tous les êtres humains qui y résident, présentent les caractères de la déchéance physique complète ; les enfants y sont pâles, étiolés, scrofuleux, les hommes et les femmes vieillis avant l'âge. »
La commission des logements insalubres propose au conseil municipal une série de mesures d'assainissement. Malheureusement, bien du temps s'écoulera avant qu'elles soient exécutées, et, quand elles le seront, nous doutons qu'elles soient efficaces.
Si les propriétaires parisiens ne refusaient pas de louer aux familles nombreuses d'ouvriers, la construction de taudis pareils à ceux que nous venons de décrire ne serait plus possible.
Sur la cité Doré
Le récit
Le lieu
- La cité Doré par Alexandre Privât d'Anglemont (1854)
- La Nouvelle Cour des Miracles. - Revue municipale et gazette réunies — 10 septembre 1859
- La Nouvelle Cour des Miracles. - Réponse de M. Doré - Revue municipale et gazette réunies — 1er décembre 1859
- La Nouvelle Cour des Miracles. - Réponse de la Revue municipale et gazette réunies à M. Doré — 10 décembre 1859
- Le cabinet de lecture des chiffonniers par Charles Yriarte (1863)
- Paris Lugubre : la Cité Jeanne-d’Arc et la cité Doré (1879)
- La cité Doré - Journal des débats politiques et littéraires — 22 mai 1882
- La cité Doré par Marcel Edant (Le Petit-Journal - 1887)
- La cité Doré par Jean Soleil (1889)
- Les cabarets de la cité Doré (1890)
- Un coin curieux de Paris (1901)
- La tournée des édiles par Lucien Descaves (1909)
- Trois îlots à détruire d'urgence (1923)
La catastrophe de la Cité Doré
Faits-divers
Sur la cité des Kroumirs
"Qu'on s'imagine un terrain de 30 mètres de largeur et de 150 mètres de longueur environ, en pente vers la rue Jenner, sans issue et sans écoulement d'eau vers cette rue.
Au milieu de ce terrain, un chemin en terre grasse, détrempé par la moindre pluie et rendu infect par les détritus et les déjections de toute espèce qui s'y sont incorporés.
De chaque côté de ce chemin, des abris, plutôt que des baraques, construits en vieux matériaux, en paillassons, en loques, en tout ce que l'ingéniosité de la plus poignante misère peut assembler et coudre pour se préserver de l'intempérie des saisons.
Près de quelques-uns de ces réduits une fosse en terre, quelquefois un tonneau enfoncé dans le sol, sert de cabinet d'aisances. Un peu partout des ordures ménagères, des matières fécales, des débris de toute sorte. On comprendra maintenant pourquoi cette cité a reçu un surnom qui fait image : la cité des Kroumirs."
Dr Olivier du Mesnil - L'Hygiène à Paris (1890)