À travers les bals
Le Figaro — 26 janvier 1875
La nouvelle nous étant venue que la préfecture de police avait l'intention de fermer plusieurs des bals les plus excentriques de Paris, nous avons voulu faire exactement connaître; à nos lecteurs ce que sont ces bals, et nous avons fait dimanche et hier soir lundi une tournée dans quelques-uns des plus inconnus d'entre eux.
Hâtons-nous de constater que cela ne veut, nullement dire que les bals dont nous allons parler soient ceux que menace la préfecture. Ce sont seulement les moins connus, nous le répétons.
Nous avons entrepris à quatre cette expédition pittoresque.
Voici, — sans narration de notre itinéraire, ce qui allongerait inutilement notre récit, la description sommaire des établissements visités.
La Belle Moissonneuse
Barrière de Fontainebleau. Quand nous arrivons, nous entendons une voix perçante qui sort d'un guichet, criant :
— C'est vingt centimes par tête !
Nous donnons seize sous, nous entrons. La voix perçante nous rappelle et nous apprend; avec bienveillance qu'il y a un supplément de dix centimes pour chaque quadrille «que; nous danserons » Il est vrai que les valses et polkas sont gratis.
La salle est très grande, blanchie à la; chaux. L'estrade des musiciens est à la hauteur d'un entresol.
Ce n'est pas drôle, allez, d'être musicien à la Belle Moissonneuse… L'un des divertissements du lieu est de leur lancer des boulettes. On joue des saladiers à qui attrapera le premier violon à la tête.
À la porte sont de planton deux gardes de Paris choisis parmi les plus solides.
On échange parfois des horions là-dedans, et, nous a dit quelqu'un de la maison, ce sont les femmes qui sont le plus batailleuses. Elles se prennent de querelle pour les don Juans de la place d'Italie.
Nous nous sommes intimement liés, à la Belle-Moissonneuse, avec un jeune gentleman vêtu d'une vareuse et d'un pantalon à côtes enfoncé dans des bottes. Il nous a affirmé que nous devrions venir plus souvent; que, si nous voulions, il nous présenterait à des amies de « sa dame. »
Il nous a ensuite raconté avec une admiration évidente et rétrospective les exploits de deux des célébrités de la Belle Moissonneuse, le Loup blanc et le Cosaque, qui avaient une habitude d'enfance, celle de « manger le nez » de tout individu dont la figure leur déplaisait. Il paraît qu'ils vous coupaient le bout du nez avec une suprême habileté.
Tous deux sont à Cayenne aujourd'hui, En nous quittant, notre collaborateur nous a remis sa carte, dont voici le fac-similé :

Gaston Vassy
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La Belle Moissonneuse - Delvau (1864)
Bals de barrière, cabarets, bouges et assommoirs
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Cabarets, bouges et assommoirs
De septembre 1890 à mars 1891, l'éphémère quotidien socialiste L'Égalité publia, quasi quotidiennement,
sous la signature d'Auguste Lagarde, une série d'articles intitulée "Cabarets, bouges et assommoirs" répartie en plusieurs
groupes dont "Cabarets modernes ayant cessé d’exister
Cabarets modernes ayant cessé d’exister (1890)
Cabarets existant (1891)
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- Le Bois tordu du boulevard de la Gare / Les Deux Moulins du boulevard de l’Hôpital
Autres lieux
Le cabaret de la Mère Marie, barrière des Deux-Moulins
- Le cabaret de la mère Marie vu par Alfred Delvau (1859, version courte)
- Le cabaret de la mère Marie vu par Alfred Delvau (1860, version longue)
- Le cabaret de la mère Marie vue par La Chronique illustrée (1869)
- Le cabaret de la mère Marie vu par Charles Virmaître (1887)
La Belle Moissonneuse
Le bal de la Belle Moissonneuse était installé 31 rue Nationale (ancienne numérotation).