Une nouvelle église à Paris
L’Univers — 7 avril 1900
Nous avons mentionné à la Chronique religieuse la bénédiction de la façade et des tours de la nouvelle église de Sainte-Anne, ainsi que le baptême des trois cloches qui doivent occuper les tours de ce monument.
On nous adresse cette intéressante communication sur le nouveau sanctuaire de la rue de Tolbiac et la cérémonie de lundi :
À l'angle delà rue de Tolbiac et de l'avenue d'Italie, s'élevait il y a quatre ans encore une modeste église, connue sous le nom de chapelle Bréa. À cette même place, durant les journées de 1848, le général Bréa était tombé, assassiné, avec le capitaine Mangin, par les insurgés de la barrière de Fontainebleau avec lesquels il était venu parlementer.
Étroite, insuffisante pour un quartier dont la population va sans cesse s'augmentant, située sur un point peu central d'une immense paroisse de 40,000 âmes, cette chapelle, dont on voit encore les vestiges, était abandonnée et rasée ces années dernières.
Dès 1892, sous l'intelligente et charitable impulsion de M. l'abbé Miramont, curé de Saint-Marcel de la Maison-Blanche, et sous la direction de M. Bobin, architecte, une nouvelle église, placée sous le vocable de Saint-Anne, sortait de terre comme par enchantement, au milieu d'un des quartiers les plus pauvres et les plus déshérités de la grande ville. Les assises s'étageaient les unes sur les autres, au fur et à mesure que s'amoncelaient elles-mêmes les ressources. Un instant, les travaux menacèrent de cesser, quand la famille Lombart, si connue dans le monde industriel et commercial, offrit généreusement d'édifier la majestueuse façade que nous admirons au jourd'hui, encadrée de deux tours qui s'élancent fièrement vers le ciel, flanquées elles-mêmes de clochetons, le tout de style byzantin.
En dépit de leur originale beauté, ces deux tours demeuraient comme un corps sans âme et un aire inhabité. Lundi dernier, une foule nombreuse, formée tout en semble d'une société d'élite et des habitants du quartier, accourait assister au baptême de trois cloches qui bientôt, portées dans leur nid, lanceront au travers des airs leurs notes sonores et leurs joyeuses envolées.
Rien n'est fait de grâce et ne dit la poétique grandeur de la religion chrétienne comme ces prières liturgiques, ces symboliques cérémonies du baptême des cloches, autres nouveau-nés au corps de bronze, à l'âme de fer, dont la voix s'en va porter aux échos d'alentour les sentiments les plus profonds et les plus divers du cœur de l'homme, dans ses joies ou ses douleurs.
Le cardinal Richard, empêché, avait dé légué Mgr Jourdan de la Passardière, évêque de Roséa, pour accomplir la cérémonie. Entouré d'une couronne de prêtres les plus distingués du clergé de Paris, M. Fages, vicaire général ; MM. les curés de Notre-Dame des Victoires, Saint-Germain-l'Auxerrois, Saint-Jacques du Haut-Pas, Saint-Marcel, du clergé de la paroisse et de plusieurs religieux, sous l'attentive et pieuse curiosité de la foule, l'évêque bénissait la façade de l'église et baptisait les cloches.
Suspendues devant le chœur à un énorme chevalet, celles-ci s'offraient à l'admiration de tous, enrubannées, vêtues de leurs gracieuses robes de néophyte, majestueuses, élancées, ornées de fines nervures et de délicates inscriptions. Elles iront bientôt, trois sœurs inséparables, habiter la même tour ; Lucile, la plus puissante, mesure 1 m. 65 de diamètre à sa base ; elle a pour parrain et marraine M. et Mme Nolleval, providence vivante des œuvres à Paris, et qui l'ont offerte à l'Église ; Françoise-Honorine, sœur cadette de Lucile, est entourée de M. et Mme Lombart ; de Jeanne-Marie, la plus petite, Mme la comtesse Foucher de Careil est marraine, M. Miramont, curé de la paroisse, le parrain.
Déjà, dans un gracieux discours, l'abbé Miramont avait rappelé les différentes étapes de la construction du monument, future basilique, dont le chœur reste à édifier et qui réclame de nouveaux sacrifices et de nouvelles générosités ; confiant dans l'avenir, il s'écrie : « Où l'homme s'arrête, Dieu commence » ; Mgr Jourdan, dans un magistral commentaire des Saintes-Écritures, enchante à son tour son auditoire qui l'écoute dans le plus religieux silence. Parole claire, chaude, vibrante est la sienne ; il relie d'un lien plein de force et avec une aise incomparable les textes sacrés, sème çà et là des anecdotes touchantes, évoque les souvenirs les plus doux dans le plus poétique langage. J'ai vu des larmes couler de bien des yeux ; elles seules sont plus éloquentes que toute parole, pour retracer la vive impression produite sur l'auditoire.
Un programme musical, choisi et exécuté par les meilleurs artistes et la maitrise de Sainte-Clotilde, ajoutait un nouvel éclat à cette fête dont le souvenir demeurera longtemps vivant dans ce quartier. Un solo de harpe par Mlle Aubert, élève du conservatoire ; « la Cantate des cloches », mélodie religieuse, du meilleur style et du plus grand effet, composée par M. Samuel Rousseau et exécutée sous sa direction, ravissaient l'immense assemblée.
Huit années ont suffi pour créer cette première partie d'une église, qui doit être un sanctuaire, élevé à la gloire de l'aïeule de Jésus-Christ, par la piété des Parisiens ; nous avons confiance dans l'avenir et la générosité soutiendra le zèle si ardent de l'abbé Miramont pour achever bientôt cette grande œuvre, au milieu d'une population ouvrière et pauvre.
Un Témoin.

Sur l'église Sainte-Anne de la Maison-Blanche
Sur la chapelle Bréa
La chapelle Bréa pendant la Commune
- Saint-Marcel de la Maison-Blanche (Chapelle Bréa)
- La chapelle Bréa (Extrait des convulsions de Paris - Maxime Du Camp)
- La chapelle Bréa (La Croix - 12 février 1939)